Géopolitique. Comment va l'Afrique? Un entretien avec Abdelhak Bassou (PCNS)

Dans cette interview, Abdelhak Bassou, Senior Fellow au Policy Center for the New South, revient sur le Rapport annuel géopolitique de l’Afrique qui a vu la participation, sous sa direction, de plusieurs experts et spécialistes. Partant de son analyse ainsi que celles de ses collègues, notamment celle de Jamal Machrouh dont les travaux portent plus spécifiquement sur la Zlecaf et la géopolitique de la communauté de l'Afrique de l'Est, Abdelhak Bassou décortique pour Médias 24 les faits les plus marquants de la géopolitique africaine ainsi que la place que le Maroc est amené à occuper sur le continent.

Abdelhak Bassou est Senior Fellow au Policy Center for the New South, spécialisé dans les études en sécurité et en stratégies de défense.

Géopolitique. Comment va l'Afrique? Un entretien avec Abdelhak Bassou (PCNS)

Le 25 novembre 2022 à 10h07

Modifié 28 novembre 2022 à 11h28

Dans cette interview, Abdelhak Bassou, Senior Fellow au Policy Center for the New South, revient sur le Rapport annuel géopolitique de l’Afrique qui a vu la participation, sous sa direction, de plusieurs experts et spécialistes. Partant de son analyse ainsi que celles de ses collègues, notamment celle de Jamal Machrouh dont les travaux portent plus spécifiquement sur la Zlecaf et la géopolitique de la communauté de l'Afrique de l'Est, Abdelhak Bassou décortique pour Médias 24 les faits les plus marquants de la géopolitique africaine ainsi que la place que le Maroc est amené à occuper sur le continent.

Médias24 : Parlez-nous de ce rapport annuel de la géopolitique en Afrique. Quels sont ses objectifs et quelle est votre méthodologie de travail ?

Abdelhak Bassou : L’idée a commencé à germer en 2017. Elle se résume dans le fait que les chercheurs et membres du Policy Center for the New South qui traitent de l’Afrique dans leurs travaux durant toute l’année peuvent, chacun dans son domaine de prédilection, participer à un rapport sous forme d’ouvrage collectif qui rassemble les idées, réflexions, constats et observations sur la géopolitique de l’Afrique pendant l’année.

Cette idée initiale a été enrichie par une autre, celle de faire participer aux côtés des auteurs marocains d’autres experts et analystes parmi leurs frères africains. Le rapport devient ainsi une tribune de rencontres africaines où se croisent chaque année les perceptions des Africains sur la géopolitique de leur continent. L’une des ambitions du rapport est également de substituer aux discours afro-pessimistes et afro-optimistes, un narratif afro-réaliste qui raconte l’Afrique telle qu’elle est afin de mieux concevoir ce qu’elle doit être.

- Quels ont été les faits les plus marquants de la géopolitique africaine retracés dans ce rapport ?

- Nos auteurs présentent des analyses qui vont au-delà des faits géopolitiques ; ils analysent une année géopolitique et tentent d’en dégager une vision.

Certains faits géopolitiques ne sont pas traités en eux-mêmes en tant que faits, mais comme générateurs de problématiques géopolitiques. Le rapport raconte l’année 2021 et se trouve donc marqué par les effets de la pandémie et les efforts déployés pour un retour à la normale. Les événements du Mali, du Burkina Faso et de la Guinée ne sont pas sans marquer le panorama général de l’Afrique et par conséquent du rapport ; il en va de même de la persistance du climat d’instabilité en Libye ou de la situation qui secoue la Corne de l’Afrique.

Tous ces événements qui marquent l’année ne détournent pas les esprits de nos auteurs des questions structurelles et des facteurs constants qui doivent être rappelés, et sur lesquels nous revenons constamment, comme les problématiques de la gouvernance, du genre et du changement climatique.

- Comment l’Afrique a-t-elle géré la crise du Covid et comment en est-elle sortie ?

- Je crois que sur la gestion de la Covid-19 ou des crises en général, l’Afrique est à traiter au cas par cas. On ne peut pas, comme le font les analystes non africains, mettre dans un même panier les cinq régions et les 54 pays, pour ne finalement regarder que ceux qui s’en sortent mal, généraliser la vision et conclure que l’Afrique a mal géré la crise.

La réalité est que la gestion de la pandémie a changé d’un pays à l’autre et d’une région à l’autre. Cependant, la pandémie a révélé certaines défaillances africaines.

D’abord, un manque de solidarité entre pays africains. Si le Maroc par exemple a pris certaines initiatives pour soutenir des pays sur le continent, beaucoup d’autres pays africains nantis n’ont pas fait le geste. Ensuite, aucun pays africain n’est suffisamment développé en termes d’industrie médicale pour pouvoir donner à l’Afrique une assistance africaine. Toute l’Afrique est restée dépendante de l’étranger.

- L’Afrique a longtemps souffert de l’insécurité et de la violence. C’est une image qui lui colle. Est-ce toujours le cas ?

- Malheureusement oui. En tout cas jusqu’en 2021, année étudiée par le rapport, le continent n’est pas seulement un foyer de tension et d’insécurité, mais ce climat d’insécurité s’aggrave et s’étend. Aux antres classiques et connus depuis les deux dernières décennies comme le Sahel, la Corne de l’Afrique ou la région des Grands Lacs, s’ajoute le Bassin du lac Tchad, le Mozambique et l’Afrique centrale, sans parler de la situation en Libye et au Soudan.

Si l’on se doit de se féliciter de la quasi-disparition des guerres chaudes entre les Etats africains, force est de constater que les animosités et hostilités entre ces pays continuent de s’exprimer dans des conflits froids ou même tièdes, via des proxys ou par des moyens subversifs divers dont l’encouragement au séparatisme est la forme la plus classique.

- Parlons un peu de la crise du Sahel, qui concerne aussi le Maroc au vu de la proximité géographique. En quoi cette crise est-elle complexe ? Comment peut-on s’attendre à ce qu’elle évolue ?

- Il y a deux perceptions du Sahel : le concept restreint qui calque le Sahel sur les cinq pays du G5 Sahel et le concept élargi qui va de l’Atlantique jusqu’à la mer Rouge. Les deux formules présentent des situations qui ne peuvent être que complexes ; d’abord en considération de la multitude d’acteurs locaux et étrangers qui interviennent et dont les intérêts divergent. Le Sahel est de ce fait un théâtre de confrontation de stratégies multiples et diverses. Cette multiplicité d’acteurs et de stratégies donne naissance à des alliances qui se font et se défont dans des logiques qui défient la raison.

Tous les paysages géopolitiques sont volatiles et rendent les lendemains incertains. La conjoncture internationale qui ne fait que se compliquer avec la guerre de la Russie en Ukraine et les menaces de conflits dans l’Indopacifique, n’est pas de nature à augurer. Les Russes sont déjà au Mali ; les Iraniens arrivent dans la région ; du moins, c’est ce que laisse croire la multiplication des contacts entre Iraniens et Maliens et les solides relations que les deux parties entretiennent avec la Russie. Les Algériens autorisent désormais leur armée à intervenir à l’extérieur et consacrent 5 milliards de dollars de leur budget militaire à des opérations hors de l’Algérie qui ne peuvent être qu’au Sahel. La situation ira donc en se compliquant, par l’arrivée de nouveaux acteurs qui tenteront certainement d’aller plus loin que le Mali et de déstabiliser toute l’Afrique de l’Ouest.

- Les coups d’Etat ont toujours la peau dure en Afrique. Le rapport en parle. Pourquoi un bon nombre d’Etats africains n’arrivent toujours pas à s’en défaire ?

- Les coups d’Etat que l’on a cru disparaître du paysage politique africain, et surtout ouest-africain ont, hélas, connu un retour fracassant ces derniers temps. Cela a été le cas pour le Mali, la Guinée et le Burkina Faso, avec, en plus, un phénomène de coup d’Etat dans les coups d’Etat (Mali et Burkina Faso). Ce télescopage entre le militaire et le politique constitue un frein sérieux au processus de construction de l’Etat de droit dans le contexte africain et impacte négativement les performances économiques des Etats concernés.

A ce phénomène du retour du spectre des coups d’Etat militaires, il conviendrait d’ajouter une pratique largement diffuse connue sous le nom de "coups d’Etat constitutionnels", qui consistent en l’introduction de réformes constitutionnelles dans plusieurs Etats africains, et dont l’objectif premier est de contourner la limite de nombre de mandats présidentiels.

- Changeons pour un ton plus optimiste ! Quelles ont été les bonnes nouvelles en termes de géopolitique africaine ?

- Le tableau géopolitique n’est pas complètement négatif en Afrique, comme le précise mon collègue Jamal Machrouh dans sa contribution au rapport. Plusieurs bonnes nouvelles peuvent effectivement être signalées. Il en est ainsi de la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) opérationnelle en janvier 2021. Il est également question de l’amélioration des relations diplomatiques entre le Rwanda et le Burundi, après l’arrivée au pouvoir en 2020 d’un nouveau président, Évariste Ndayishimiye. Cette amélioration va aboutir à une réouverture des frontières entre les deux pays en 2022.

Une troisième bonne nouvelle est l’arrivée au pouvoir d’un nouveau président en Tanzanie, Mme Samia Suluhu Hassan, en mars 2021. La tournée diplomatique qu’elle a effectuée en Ouganda et au Kenya a participé à la suppression de nombreux obstacles, en particulier les mesures non-tarifaires, qui freinaient les échanges commerciaux entre ces pays, membres de la communauté d’Afrique de l’Est.

- Comment évolue le multilatéralisme en Afrique ?

- Il évolue en dent de scie et oscille entre, d’une part, de bonnes performances institutionnelles et normatives et, d’autre part, des réalisations insuffisantes en termes de volumes d’échanges commerciaux et de coordination politique.

Ainsi, la mise en place de la ZLECAF n’a pas encore produit des effets concrets puisque les négociations sur les questions techniques, comme les règles d’origine et la catégorie des produits sensibles, n’ont pas encore été achevées.

Pareillement, l’adoption d’une architecture de paix et de sécurité africaine, avec au centre un Conseil de paix et de sécurité, ne s’est pas traduite par un management inclusif et efficace des crises et conflits en Afrique.

L’Afrique représente une sorte de dernière frontière de développement et de croissance pour le monde

- Que pouvez-vous nous dire sur l’évolution de l’influence des puissances étrangères en Afrique ?

- L’Afrique représente une sorte de dernière frontière de développement et de croissance pour le monde. Les rivalités entre les puissances étrangères globales, mais aussi régionales, pour s’accaparer des parts additionnelles du marché et des potentialités économiques africaines sont de plus en plus apparentes.

La Chine poursuit sa percée économique en Afrique tandis que l’Occident tente d’y préserver ses marges d’influence. Au même moment, la Russie, la Turquie, l’Iran et bien d’autres conduisent des stratégies cohérentes pour renforcer leur présence en Afrique. La question, c’est de savoir si l’Afrique continuera à être un théâtre sur lequel se déploient les rivalités des puissances étrangères ou, au contraire, si elle réussira à s’imposer comme un partenaire à part entière.

- Quelle place pour le Maroc dans cette Afrique, entre un Maghreb qui a l’air impossible, un retour réussi à l’Union africaine et le renforcement des relations bilatérales avec un bon nombre de pays africains ?

- Le Maroc a forgé une vision globale et cohérente pour son action africaine. Celle-ci privilégie la conception et la réalisation de projets de développement structurants dans une approche de coopération Sud-Sud et win-win. Le projet du gazoduc Nigéria-Maroc en est une parfaite illustration. Il s’agit d’un projet d’acheminement du gaz à partir du Golfe de Guinée jusqu’en Europe en passant par onze pays ouest-africains, en plus de la Mauritanie et du Maroc. L’acheminement du gaz n’étant pas une fin en soi mais uniquement un moyen de participer à l’autonomie énergétique de l’ensemble des parties et au développement économique de toute la région.

L'expert, Abdelhak Bassou

Abdelhak Bassou est Senior Fellow au Policy Center for the New South, spécialisé dans les études en sécurité et en stratégies de défense. Il est également professeur affilié à la faculté de gouvernance et des sciences économiques et sociales de l’Université Polytechnique Mohammed VI.

Il a précédemment occupé plusieurs fonctions au sein de la Direction générale de la Sûreté nationale marocaine, où il a été chef de la division des frontières de 1978 à 1993. Il a exercé en tant que directeur de l’Institut royal de la police en 1998. Il a également occupé le poste de chef de la sécurité régionale (Errachidia 1999-2003, Sidi Kacem 2003-2005) et a été chef des renseignements généraux centraux de 2006 à 2009.

Abdelhak Bassou a contribué aux travaux de plusieurs organisations internationales, notamment le Conseil des ministres de l’Intérieur arabes de 1986 à 1992, où il a représenté la Direction générale de la sécurité nationale lors de nombreuses réunions. Abdelhak Bassou est titulaire d’une maîtrise en sciences politiques et études internationales de la faculté de droit, d’économie et de sciences sociales de l’Agdal à Rabat.

L'expert, Jamal Machrouh

Jamal Machrouh est Senior Fellow au Policy Center for the New South, où il se concentre sur les questions de géopolitique et de relations internationales.

Il est également professeur associé à la Facultés de Gouvernance, Sciences Economiques et Sociales de l’Université Mohamed VI Polytechnique et professeur de relations internationales à la National School of Business and Management, Ibn Toufaïl University à Kenitra.

Par ailleurs, Pr. Machrouh est chargé de conférences au Collège royal de l’enseignement militaire supérieur de Kénitra et à l'université Södertörn de Stockholm, en Suède. Il est l'auteur d'un livre intitulé « Justice and Development under World Trade Organization » et de divers articles traitant des relations internationales et de la géopolitique.

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