Pr Miloud Loukili : “Une grande partie de l'avenir du Maroc se joue en mer”

ENTRETIEN. Le Maroc siègera de 2023 à 2028 au sein de la Commission des limites du plateau continental. Une première pour le Royaume qui sera représenté par le Professeur Miloud Loukili.

Pr Miloud Loukili : “Une grande partie de l'avenir du Maroc se joue en mer”

Le 20 juin 2022 à 17h57

Modifié 20 juin 2022 à 18h03

ENTRETIEN. Le Maroc siègera de 2023 à 2028 au sein de la Commission des limites du plateau continental. Une première pour le Royaume qui sera représenté par le Professeur Miloud Loukili.

Le Maroc a décroché un siège à la Commission des limites du plateau continental. Le Royaume s'engage pour un mandat de cinq ans (de 2023 à 2028) au sein de cet important organe onusien, émanation de la Convention sur le droit de la mer (1982).

Objet d'un communiqué lapidaire, l'élection du Maroc a un poids historique qu'explique en partie son contexte, marqué ces dernières années par le dynamisme notable du corps diplomatique sur la question maritime.

La commission a pour attribution de formuler des recommandations aux États côtiers sur les questions liées aux limites extérieures de leur plateau continental, au-delà de 200 miles marin. Elle compte en son sein 21 experts élus sur la base d'une répartition géographique.

Pour le représenter, le Maroc a jeté son dévolu sur un ponte de la scène juridique marocaine, le professeur Miloud Loukili. Dans cet entretien, ce spécialiste du droit de la mer nous livre la portée et les enjeux de l'évènement.

Médias24 : En quoi est-ce important pour le Maroc d’obtenir un siège à la commission des limites du plateau continental ?

Pr Miloud Loukili :  Il faudrait saluer cet événement avec force. C’est une victoire pour le Maroc, qui est légitimement en droit de revendiquer un siège au sein de la Commission des limites du plateau continental, et ce pour plusieurs raisons.

Je mentionnerai tout d’abord le fait que le Maroc a été au rendez-vous dès l’enclenchement du processus de révision du droit de la mer, lequel a abouti à l’adoption de la Convention Montego Bay en 1982. Il a pris une part active à tout le processus, a signé cette convention en 1982 avant de la ratifier en 2007.

Cet engagement reflète la maritimité du Maroc. Le Royaume est un pays maritime par excellence puisqu’il est bi-océanique, étant à la fois méditerranéen et atlantique. Mieux encore, il est riverain d’un des trois détroits [Gibraltar] les plus importants du globe.

Depuis l’adoption de la zone économique maritime de 200 miles marins au début des années 1980, le Maroc dispose d’un domaine maritime qui dépasse de loin le territoire terrestre. Il est tout à fait en droit de siéger au sein de cette commission. D’autant que le pays dispose d’une expertise en la matière.

Comme le Maroc est africain et fier de l’être, il est fermement conscient que sa présence au sein de la commission sera également utile aux autres pays du continent qui bénéficieront de son réseau et de son expertise.

- La présence du Maroc au sein de la commission renforcera-t-elle sa position dans ses différents dossiers en la matière ?

- Force est de rappeler que le Maroc est un pays légaliste. Il a toujours œuvré, dans le cadre de sa doctrine juridique et diplomatique, pour le respect des règles du droit international. Il a tout récemment complètement indexé les dispositions de la Convention du droit de la mer dans son corpus juridique interne.

Le Maroc se trouve en pleine osmose avec le droit international, mais aussi avec la jurisprudence de la Cour internationale de justice et du tribunal international du droit de la mer, de même qu’il s’inspire de la pratique diplomatique en la matière. La politique juridique maritime du pays s’inscrit dans cet esprit.

Il est intéressant de remarquer que le Maroc a adopté, depuis déjà plusieurs années, une stratégie maritime intégrée dans le cadre de sa politique de l’économie bleue. Et cette stratégie a une dimension de coopération Sud-Sud intra-africaine. Le Maroc, comme le disait feu S.M. Hassan II, est un arbre dont les racines plongent profondément en Afrique. Sa stratégie s'inscrit dans cette éthique de coopération win-win avec les pays africains.

- Comment le Maroc a-t-il préparé son dossier ? Quelles sont les étapes qui ont précédé son élection ?

- En tant que juriste, spécialiste du droit de la mer, j’estime que l’action menée par la diplomatie marocaine a porté ses fruits. En effet, le Maroc a mené, pour la promotion de sa candidature, une campagne intelligente et dynamique qui a mobilisé tout le corps et toutes les représentations diplomatiques.

Ici, il m’échoit de rendre un hommage, et ce n’est que justice, à l’action menée par le ministère des Affaires étrangères, par la Direction des organisations internationales et des Nations unies, par la  représentation permanente du Maroc à New-York et par toutes les missions diplomatiques à travers le monde.

Je pense que l'élection du Maroc à la Commission des limites du plateau continental témoigne, si besoin est, de la confiance et de la crédibilité dont jouit le Maroc sur le plan international.

En effet, le Royaume est crédible de par sa position géographique, de par son attachement indéfectible aux principes du droit international et de la coopération entre les Etats, à la philosophie qui sous-tend la charte des Nations unies, et sa pleine adhésion à la Convention de Montego Bay. Les Etats ont ainsi fait confiance à la candidature du Maroc et ont voté en sa faveur. C’est une réussite pour le Maroc, et elle est à mettre à l’actif de la diplomatie marocaine.

- Le Maroc a entrepris, depuis quelques années, la modernisation de son corpus juridique en la matière, notamment par la refonte de la loi sur les eaux territoriales et celle instituant la zone économique exclusive, deux textes aujourd’hui réadaptés au droit international. Cet élément a-t-il plaidé en faveur du dossier marocain ?

- Incontestablement. Je peux dire que le Maroc a une doctrine constante en la matière. Tout en étant un acteur engagé dans le processus de réforme du droit de la mer qui a donné lieu à la Constitution des océans [la Convention de Montego Bay], le Royaume s’est engagé résolument depuis la ratification de celle-ci pour le respect des traités des Nations unies en la matière, en transposant les règles internationales dans son arsenal juridique interne.

- Que dit cette première de la présence marocaine à l'international ?

- Oui, c’est la première fois et cela s'inscrit dans la dynamique consistant à renforcer le positionnement du Maroc sur l'échiquier international et, plus particulièrement, dans les organisations internationales et régionales.

Il suffit de rappeler que le Maroc est présent à la Cour internationale de justice par le biais du juge Mohammed Bennouna, et à la Commission de droit international à travers le professeur Hassan El Ouazzani. Le Royaume est également présent au sein des instances internationales des droits de l’Homme à travers les professeurs Mohamed Bennani et  Mahjoub El Haiba. A quoi il faut ajouter d’autres organismes internationaux comme l’Organisation maritime internationale où il a été élu pour la énième fois membre du conseil. Sans compter que le Maroc a organisé récemment un évènement d’une importance extraordinaire sur le plan géopolitique et géostratégique, à savoir la conférence des Etats africains riverains de l’océan Atlantique.

Le Maroc, vous le voyez, est très présent sur le plan international. Mais pour ce qui est du droit de la mer, c’est la première fois qu’il siège au sein de la Commission des limites du plateau continental. C’est une manière d’affirmer davantage la maritimité de notre pays.

- Une idée sur les prérogatives de la commission ?

- C’est un organe ad hoc. Il a été spécialement créé par la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982. Elle a un mandat particulier, celui d’étudier les demandes adressées par les Etats côtiers souhaitant étendre le plateau continental au-delà de 200 miles marins.

C’est un organe onusien indépendant, composé de 21 experts. Il constitue la clé de voute de toute la procédure d'extension du plateau continental, dans la mesure où il fait des recommandations après analyse minutieuse des demandes qui lui sont soumises par les Etats côtiers qui jugent que leur plateau continental dépasse les 200 miles marins.

- Les positions de la commission ont-elles une portée obligatoire ou contraignante ?

- Je rappellerai que la Commission des limites occupent une place de choix au sein de l'architecture de la Convention de Montego Bay. C'est, en effet, une institution originale au rôle pro-actif. C'est un organisme ad hoc créé par la Convention au même titre que les deux autres organes que sont l’Autorité internationale des fonds marins, dont le siège se situe à Kingston (Jamaïque), et le Tribunal international du droit de la mer qui siège à Hambourg (Allemagne).

Pour ce qui des recommandations émises par la Commission, force est de relever qu'elles ont un poids extrêmement important. C’est pourquoi il faut s’y astreindre. Elles font office de jurisprudence, et ont un caractère particulier dans la mesure où elles impactent la position et la posture du pays qui prétend à un plateau continental étendu.

La Commission des limites émet des recommandations sur les dossiers d’extension du plateau continental des Etats côtiers qui s'étend au-delà des 200 miles nautiques des lignes de base. Elle n’a pas vocation ou mandat de statuer sur les différends ou contentieux de délimitations entre les pays.

- Vous y siègerez en tant qu’expert. En quoi consistera votre rôle ?

- Je voudrais d’abord dire la fierté et l’honneur de voir que le Maroc a porté son choix sur ma candidature. C’est un honneur de représenter mon pays au sein de cet organisme.

J’ai eu le privilège de suivre le processus d’élaboration du droit de la mer depuis son enclenchement en 1975, au sein de la troisième conférence des Nations unies. J’ai eu également le privilège de suivre les travaux préparatoires de l’Autorité internationale des fonds marins. Et comme j’ai exercé des responsabilités de directeur de l’Institut supérieur d’études maritimes et de la marine marchande à Casablanca, j’ai acquis une certaine expérience à la fois théorique, juridique et pratique au niveau des techniques de négociation que je serais amené à partager avec mes pairs au sein de la commission.

Mais l’essentiel dans tout cela, c’est de travailler en pleine intelligence et osmose avec les autres membres de la commission, conformément à la lettre et à l’esprit de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer.

- Le Maroc a ratifié la Convention Montego bay, a modernisé son arsenal juridique sur le domaine maritime, et a récemment repris les négociations avec l’Espagne au sujet des frontières atlantiques. Son élection au sein de la commission onusienne semble s’inscrire dans une dynamique plutôt favorable… 

- Encore une fois, cette élection reflète la confiance que l’on place dans la stratégie maritime du Royaume, sous la haute vision de Sa Majesté le Roi que Dieu l’assiste. D’ailleurs, je vous renvoie au discours de Sa Majesté en 2020 marqué par une forte empreinte maritime.

Le Maroc est un pays maritime, ouvert sur la mer, et qui veut sauvegarder ses droits souverains sur les espaces maritimes avec deux orientations principales : la première, c’est le respect du voisinage. Le Maroc a toujours prêché le dialogue dans ses relations internationales, et surtout dans ses liens avec les pays du voisinage proche, notamment avec l’Espagne. C’est extrêmement important à souligner. Le Maroc n’impose pas le fait accompli, il est ouvert au dialogue et garde la main tendue dans le respect de sa souveraineté et de ses droits.

La seconde idée sur laquelle repose la doctrine marocaine, c’est qu'étant un pays foncièrement africain et fier de l’être, il veut utiliser son positionnement géographique au profit des pays africains. Le Maroc dispose d’atouts considérables, à la fois sur le plan de l’expertise, des instituts de formation, et sur le plan de l’audience dont il bénéficie à l’international.

Au final, j’estime que l’élection du Maroc miroite l’image positive dont il dispose en ce qui concerne sa stratégie maritime et le regard qu’il jette sur les affaires maritimes au niveau national, régional et international.

- Vu cette bonne dynamique, à quoi peut-on s’attendre ? Quelle est la prochaine étape, le prochain chantier ?

- Permettez-moi de m’exprimer en tant que juriste et expert. Je ne suis ni diplomate ni homme politique. Mais pour répondre à votre question, je voudrais me référer à la citation d’un grand poète de la Méditerranée, Paul Valéry, qui disait que « le regard sur la mer est un regard sur le possible ».

Il faut avoir confiance dans notre pays sous le leadership de Sa Majesté. Une grande partie de notre avenir se joue en mer. Le regard qu'a le Royaume du Maroc sur le royaume de la mer est un regard sur tous les possibles.

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