Le FMI doute de la faisabilité des objectifs du nouveau modèle de développement

Dans son dernier rapport au titre de l'article IV, le FMI a salué les efforts du Maroc dans la mise en place de réformes structurelles dans le cadre du nouveau modèle de développement, mais s’interroge sur la faisabilité des objectifs fixés, notamment sur le financement de cet ambitieux programme et le séquençage des réformes en un temps si court. Lecture.

Le FMI doute de la faisabilité des objectifs du nouveau modèle de développement

Le 9 mars 2022 à 19h43

Modifié 10 mars 2022 à 8h15

Dans son dernier rapport au titre de l'article IV, le FMI a salué les efforts du Maroc dans la mise en place de réformes structurelles dans le cadre du nouveau modèle de développement, mais s’interroge sur la faisabilité des objectifs fixés, notamment sur le financement de cet ambitieux programme et le séquençage des réformes en un temps si court. Lecture.

Le dernier rapport du FMI sur le Maroc, publié le 9 février, a consacré tout un chapitre à la lecture du nouveau modèle de développement (NMD) produit par la commission Benmoussa. Le staff du FMI se félicite dès le départ de l’engagement des autorités, en faveur d’une nouvelle vague de réformes structurelles, ainsi que des recommandations du NMD qui seront utiles, selon les termes du FMI, pour renforcer la compétitivité des entreprises marocaines, améliorer la gouvernance, renforcer le capital et bâtir une société plus inclusive.

Mais il souligne, toutefois, que la mise en œuvre de ce nouveau modèle de développement n’est pas aussi facile que cela. Et nécessite des préalables, comme l’espace budgétaire nécessaire pour le financement des réformes proposées.

« Une mise en œuvre prudente des réformes sera essentielle à leur succès. Déjà les réformes en cours et celles suggérées dans le rapport, sur le nouveau modèle de développement ont le potentiel de générer une trajectoire de croissance plus forte, plus inclusive et durable pour le Maroc. Pourtant, étant donné les besoins de financement potentiellement importants associés à ces réformes, l'impact incertain sur la production potentielle et l'étroitesse de l'espace budgétaire, une conception et un ordonnancement soigneux sont nécessaires, sur la base d'un plan de financement adéquat et dans un cadre macroéconomique cohérent et stable », lance le rapport du FMI dès son introduction, avant d’affirmer que les impacts attendus du NMD sont de ce fait « entourés  d'une grande incertitude ».

« Si la mise en œuvre effective de ces réformes pourrait stimuler de manière significative la croissance potentielle du Maroc, la taille et le calendrier de leur impact sur la croissance économique sont entourés d'une grande incertitude et des besoins de financement substantiels résultant des réformes ne seront probablement pas satisfaits par une croissance plus rapide du PIB », peut-on lire dans le rapport du FMI.

Le FMI appelle le Maroc à taxer le patrimoine et l’héritage !

Le FMI appelle donc à « la prudence » compte tenu de la situation budgétaire du pays et du manque de visibilité sur le plan de financement des réformes qui seront engagées dans le cadre du NMD. Sa principale crainte : un creusement du déficit budgétaire et une montée de l’endettement public.

Le staff du FMI part ici des données du rapport de la commission Benmoussa qui dit clairement que la mise en œuvre complète des réformes du (NMD) coûtera environ 4 % du PIB chaque année, au cours des cinq prochaines années, pour passer à 10 % du PIB par année d'ici 2030.

« Ceci pourrait augmenter considérablement la dette publique si la prévision de l'accélération de la croissance ne se concrétise pas », estime le FMI. Selon les prévisions du staff du FMI, la dette publique atteindra environ 95,5 % du PIB d'ici 2026 si la croissance ne monte pas à 7%, comme prévu dans le NMD.

Et le FMI doute fort que ce scénario de forte croissance se réalise, car il est le seul à pouvoir aider le pays à financer les mesures comprises dans le NMD sans dégrader sa situation budgétaire et ses équilibres macro-économiques.

« L'incertitude quant à l'ampleur et au calendrier de l'impact des réformes structurelles sur la production invite à la prudence, en considérant que les réformes s'amortissent d'elles-mêmes. Compte tenu du niveau d'endettement déjà élevé, les autorités devraient introduire des mesures budgétaires qui créent suffisamment d'espace budgétaire pour financer les réformes structurelles, tout en veillant à ce que le taux d'endettement public soit placé sur un chemin descendant », insiste le rapport du FMI.

Sur ce registre, le staff du FMI recommande une réforme fiscale profonde, comme celle portée par la loi-cadre sur la fiscalité, qui drainera plus de recettes à l’Etat et appelle à introduire de nouvelles formes d'imposition comme l’impôt sur la fortune, les successions, ou encore une taxe carbone.

En parallèle du levier recettes, le FMI appelle à une rationalisation des dépenses de l‘Etat. « Un examen systématique des dépenses publiques, avec des objectifs clairs à moyen terme et intégrés dans le processus budgétaire annuel, redéfinirait les priorités des dépenses, augmenterait l'efficacité et le ciblage et libérerait des ressources supplémentaires pour financer les réformes. Le niveau élevé de la masse salariale et les risques autour de sa baisse, prévue à moyen terme, appellent à la mise en œuvre d'une réforme de la fonction publique qui modifierait le statut national de 1958 et inclurait, entre autres, des dispositions plus simples avec une réglementation et des structures salariales flexibles, une plus grande mobilité et le recours à une carrière fondée sur le mérite progression », indique le rapport du FMI.

Ces deux mesures, combinées à un recours modéré à l’endettement, semblent être le seul moyen selon le FMI, pour le Maroc de financer de manière saine sa nouvelle série de réformes.

Dans leur réponse au FMI, qui est contenue dans le rapport, les autorités marocaines conviennent de la nécessité de réduire la dette à moyen terme, et la réduction progressive du déficit qui est justifiée compte tenu de l'incertitude résiduelle et de la nécessité de financer les réformes en cours.

Cela étant dit, les autorités marocaines ne sont pas prêtes à suivre le FMI à 100%. En tous les cas pas pour l’instant. « À la lumière des menaces imminentes de la pandémie, ils estiment qu’un assainissement budgétaire plus rapide pourrait nuire à la reprise et saper la mise en œuvre des réformes indispensables », peut-on lire dans le rapport.

« Dans la mise en œuvre du programme de réformes structurelles, les autorités ont souligné qu’elles sont bien conscientes de la nécessité de trouver l'espace budgétaire approprié pour financer les réformes, tout en préservant la stabilité budgétaire. Cela peut nécessiter un ordonnancement minutieux des réformes, à mesure que de nouveaux efforts sont déployés pour mettre en œuvre la refonte prévue du système fiscal, rationaliser davantage les dépenses publiques et renforcer le rôle du secteur privé, en utilisant des financements à effet de levier et des PPP », ajoute le rapport du FMI.

Doutes sur la réalisation des objectifs du NMD d’ici 2035

Outre cette question du financement, qui est d’une importance cruciale, le staff du FMI doute dans son analyse du fond même de l’ambition marocaine, qu’il trouve surdimensionnée. Le rapport du FMI ne le dit pas comme cela, mais de manière diplomatique et en des termes plus policés.

Le staff du FMI a développé ainsi toute une analyse pour challenger l’impact des réformes recommandés par le NMD sur la production potentielle du Maroc. Et s’est basé dans cette analyse sur les écarts du Maroc avec la moyenne des pays de l’OCDE dans plusieurs domaines : la qualité du capital humain (environ 76 % de moins que la moyenne de l'OCDE), les réformes des marchés (le score du Maroc est inférieur d'environ 20 % à la moyenne de l'OCDE), la gouvernance, la qualité du cadre réglementaire, le degré de la corruption, l’efficacité du gouvernement (le score du Maroc est de 62 % inférieur à la moyenne de l'OCDE) et le taux de participation des femmes au marché du travail (FLFP) inférieure à 20 % au Maroc en 2021, taux inférieur de 40% à la moyenne des économies de l'OCDE.

Cette analyse suppose que la relance de la croissance à des taux proches, de ce qui est envisagé dans le rapport NMD, n'est possible que si les réformes ont réussi à combler une part importante des écarts structurels du Maroc, par rapport aux moyennes de l'OCDE. Pour illustrer la grande incertitude entourant les estimations du FMI, trois scénarios différents sont présentés :

-Une réforme à succès médian, où le FMI suppose que les réformes structurelles réduiraient la moitié du chemin avec la moyenne de l'OCDE sur 15 ans, tandis que le taux de participation des femmes au marché du travail (FLFP) augmenterait de 0,05 point de pourcentage par an (atteignant 21,25% en 2035). Dans ce scénario, la production potentielle augmenterait de 0,8% d'ici 2026 et, sur une base cumulative de 2,1% d'ici 2035, augmentant le PIB par habitant de près de 50%.

-Un scénario de réforme à faible succès, dans lequel le Maroc comblerait seulement 20 % de cet écart sur 30 années tandis que le FLFP resterait constant. Le potentiel de la production augmenterait de 0,3 % d'ici 2026 et jusqu'à 0,8 % d'ici 2035. Cela augmenterait le PIB réel par habitant de 2019 d'environ 30 % d'ici 2035.

-Un scénario de réforme à haut succès, dans lequel les réformes structurelles combleraient 80 % des lacunes du Maroc sur 10 ans, tandis que FLFP augmenterait pour combler 20 % de l'écart avec la moyenne de l'OCDE en 30 ans. Dans ce cas, la production potentielle pourrait augmenter de 2 % d'ici 2026 et jusqu'à 6,1 % (sur une base cumulative) d'ici 2035, soit presque le double du PIB réel par habitant de 2019.

Et c’est ce dernier scénario de doublement du PIB par habitant qui colle aux ambitions du NMD. Un scénario sur lequel le FMI émet des doutes.

« Bien que le rapport fixe des objectifs très ambitieux, il est important d'être réaliste quant à la taille et le calendrier de l'impact des réformes. Doubler le PIB par habitant du Maroc d'ici 2035 exige une croissance annuelle du PIB d'environ 7 % au cours des 13 prochaines années. Les estimations du staff suggèrent que la réalisation de cet objectif nécessitera la mise en œuvre, d'une série de réformes structurelles qui parviennent à combler une partie importante des principaux écarts structurels du Maroc par rapport aux économies avancées, dans une période relativement courte. Compte tenu de l'incertitude quant à l'impact des réformes sur la croissance, l'existence de complémentarités entre elles et leur coût élevé attendu, les autorités peuvent avoir besoin de hiérarchiser et de séquencer soigneusement les réformes, sur la base d'un plan de financement et un cadre macroéconomique cohérent et stable », estime le staff du FMI.

Un point de vue que les autorités marocaines semblent partager selon ce qui est rapporté dans le document du FMI. « Les autorités sont d'accord avec les services du FMI sur l'importance cruciale des réformes structurelles et la nécessité d'une approche pragmatique dans leur conception et leur mise en œuvre. Elles ont souligné la forte volonté politique pour faire avancer les réformes. Elles ont convenu qu'il est important d'être prudent et prendre en compte l'impact des réformes, sur la croissance dans la planification de leur financement. Elles ont reconnu la nécessité de hiérarchiser les réformes, de concevoir soigneusement leur séquencement dans un cadre plus macro-budgétaire général et mesurer leur impact ex-post », peut-on lire dans le rapport du FMI.

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