Le Maroc leader africain du vaccin : le point avec Samir Machour

La vision marocaine de production de vaccins, la portée africaine du projet, l’état d’avancement de la plateforme industrielle... Autant de points abordés avec Samir Machour, membre du comité de direction de Sensyo Pharmatech et architecte de la mise en œuvre de la vision royale.

Le Maroc leader africain du vaccin : le point avec Samir Machour

Le 20 février 2022 à 21h39

Modifié 22 février 2022 à 10h12

La vision marocaine de production de vaccins, la portée africaine du projet, l’état d’avancement de la plateforme industrielle... Autant de points abordés avec Samir Machour, membre du comité de direction de Sensyo Pharmatech et architecte de la mise en œuvre de la vision royale.

La souveraineté vaccinale nationale et continentale est un objectif pour le Maroc, porté par la plus haute autorité du pays. Le Roi Mohammed VI veille en effet de près à l'avancement du projet, dont il a donné le coup d'envoi du volet industriel en janvier dernier.

La stratégie marocaine s'articule autour de trois phases complémentaires, qui permettront au Maroc de concrétiser l'ambition de couvrir ses besoins propres et jusqu'à 60% des besoins continentaux de certains vaccins prioritaires, dès fin 2023.

"C'est tout d’abord une vision de Sa Majesté le Roi. C’est également un projet porté par l'état marocain et par une grande partie de ses institutions. C’est un projet ambitieux avec des objectifs précis : devenir un acteur important dans la fabrication des vaccins et des produits biopharmaceutiques dans le monde à moyen terme, et un acteur avec lequel on doit compter dans la recherche et développement des produits biopharmaceutiques à long terme", explique Samir Machour, membre du comité de direction de Sensyo Pharmatech et par ailleurs Executive Vice-President & Chief Quality Officer de Samsung Biologics, en Corée du Sud.

La vision Royale ne se limite pas à la construction de l'usine de remplissage de Benslimane. Samir Machour livre à Médias24 les contours de cette vision, son état d'avancement ainsi que l'importance de sa portée africaine.

La vision Royale ne se limite pas à la construction de l'usine de remplissage de Benslimane.

Médias24 : La stratégie marocaine comporte plusieurs phases à des horizons temporels différents. Pouvez-vous nous les décrire ? 

Samir Machour : La Vision de Sa Majesté le Roi, que Dieu l'assiste, inclut plusieurs éléments dans le temps - à court, moyen et long terme. La construction de l'usine de remplissage de Benslimane est un départ. Le projet Fox (le nom donné à cette Vision) se compose de trois phases principales.

La phase 1 Atlas (2021-2022) vise à assurer une disponibilité immédiate du vaccin anti-Covid au Maroc en le remplissant localement. Nous avons réussi, en travaillant étroitement avec la Direction du médicament et de la pharmacie et l’Institut Pasteur - qui tous ont fait un excellent travail -, à effectuer un transfert de technologie à très court terme du vaccin Sinopharm, que nous importions en tant que produit fini. Nous pouvons aujourd’hui le remplir localement. Nous avons la capacité, en travaillant en partenariat avec Sothema, de remplir et de conditionner approximativement 3,1 millions de doses de vaccins anti-Covid par mois. La qualité du vaccin rempli par Sothema est équivalente à celle de Sinopharm.

La phase 2 comporte deux éléments différents. Le projet Lion 1 (2022 - remplissage aseptique et conditionnement) est porté par l’entreprise marocaine Sensyo Pharmatech. Cette phase a pour objectif de construire une capacité installée de plus de 120 millions d’unités (flacons et seringues pré-remplies, d’ici à fin 2022). Cette capacité est équivalente à une production entre 300 et 450 millions de doses de vaccins (tous vaccins confondus). Sensyo Pharmatech installera trois lignes à grande vitesse d’ici fin août (flacons liquide, lyophilisat et seringues pré-remplies).

Le projet Lion 2 (2022-2024, production de substance active, ou vrac, vaccins et produits biothérapeutiques) a pour objectif d'installer une capacité d’environ 50.000 litres, tous produits confondus, pour la fabrication de substance active. L'objectif est d’identifier et d'effectuer le transfert de technologie de plus de 20 vaccins et produits biothérapeutiques prioritaires, Fill & Finish, et de substances actives incluant les vaccins anti-Covid de plateformes technologiques différentes. Lion 2 se fera probablement avec d’autres laboratoires pharmaceutiques internationaux en tant que partenaires. Ils accompagneront le Royaume dans l'accélération de sa montée en puissance dans la fabrication de substance active.

La phase 3 Dakhla (2023-2030) vise à créer un pôle africain d'innovation biopharmaceutique et vaccinale dans le Royaume. La Vision de Sa Majesté se complète, en pérennisant la partie industrielle par une structure forte, crédible et reconnue dans le monde de la recherche et développement des vaccins et des produits biothérapeutiques au Maroc et en Afrique. D’ailleurs, plusieurs ministères et institutions scientifiques au Maroc comme à l’étranger sont déjà impliqués dans ce projet. Parmi eux, les ministères de l’Enseignement supérieur, de la Santé, de l’Industrie, des Finances, et bien sûr les ministères des Affaires étrangères et de l’Intérieur. L’objectif de la phase 3 est de pouvoir nous-mêmes, et avec nos partenaires africains, développer les vaccins du futur et la biotechnologie de demain.

- En janvier dernier, le Roi Mohammed VI a donné le coup d'envoi de l'usine Lion 1. Quel en est l'état d'avancement ?

- Il y a quatre éléments importants qui vont ensemble concernant l’usine de remplissage de Benslimane. La construction de l'usine elle-même en Chine par un groupe japonais : nous sommes à peu près à 60% d’avancement. La construction et l’assemblage des équipements de remplissage et de conditionnement : nous sommes à peu près à 30% d’avancement. La construction de l’infrastructure au Maroc qui recevra l’usine, et qui est actuellement gérée par JESA : nous sommes à peu près à 20% aujourd’hui. Enfin, les recrutements, l’infrastructure informatique, la qualité, etc. Sur ce dernier point, nous avançons dans la bonne direction. 

- Quand vous dites que la construction de l'usine est réalisée en Chine, qu'est-ce que cela signifie ? 

- Fabriquer un vaccin ou un produit biopharmaceutique en général se fait dans des salles blanches, et donc dans une infrastructure qui protège le produit et les personnes contre toute contamination intrinsèque ou extrinsèque. Les salles blanches doivent répondre à des normes strictes, notamment en matière de stérilisation. Si l'on avait construit nous-mêmes ces salles blanches, cela nous aurait pris au mieux deux, sinon trois ans.

- Quand les premiers lots seront-ils produits ?

- L'unité de remplissage de Benslimane (Lion 1) produira les premiers lots d’essai (ou ce que l’on appelle des lots engineering) fin juillet 2022. Ces lots d’essai seront remplis dans des flacons. La ligne de seringues pré-remplies sera installée vers la fin août 2022. Nous fabriquerons ensuite les lots de validation règlementaires. Ce seront les premiers lots commerciaux. Ces lots seront produits (remplissage aseptique et conditionnement) vers la fin 2022.

Nous aurons, d’ici la fin de l'année, une capacité installée de plus de 120 millions d’unités, toutes technologies confondues. Cela équivaudra, si toutes les lignes fonctionnent à 90% de capacité (ce qui ne sera pas le cas puisque l'on démarre à peine), à plus de 400 millions de doses de vaccins.

Dès la fin de cette année, le Maroc aura une capacité installée de plus de 120 millions d'unités (flacons et seringues), avec une production potentielle de plus de 400 millions de doses.

 - Le vaccin Covid est le premier vaccin que le Maroc va produire. Le démarrage se fait avec le vaccin inactivé, notamment Sinopharm. Vous avez déclaré que le Maroc négociait la production de deux vaccins à ARNm. Peut-on avoir plus de détails sur ce point ?

- Nous sommes en cours de discussion avec plusieurs laboratoires afin d'acquérir les droits de transfert de technologie du remplissage et du vrac vers le Maroc de vaccins Covid et autres. En ce qui concerne les plateformes ARNm, nous discutons avec plusieurs partenaires sans en éliminer aucun.

- L'ARNm est une technologie nouvelle dans le monde. Comment le Maroc se prépare-t-il à assurer une bonne qualité ?

- Il faut d’abord souligner que la technologie ARNm et le développement des vaccins via cette plateforme ne représentent pas quelque chose de nouveau contrairement à ce que l'on pense. La plateforme ARNm date de 1978 et a connu, entre-temps, plusieurs développements. La technologie elle-même a été découverte dans les années 1960. Du point de vue industriel, la fabrication de vaccin ARNm est beaucoup plus facile et plus rapide que la fabrication d'un vaccin inactivé par exemple. Je suis confiant sur le fait que le Maroc pourra fabriquer toutes les plateformes technologiques de vaccins et les produits biothérapeutiques (biologics).

- L’usine marocaine est donc adaptée pour la production de vaccins inactivés et ARNm...

- L’usine de Benslimane (remplissage et conditionnement) est adaptée pour réaliser le remplissage en flacon et en seringue de toutes les plateformes vaccinales.

- Le projet marocain comporte une deuxième unité industrielle qui vise à produire du vaccin liquide. Cette unité peut produire jusqu’à 20 vaccins différents, dont 3 ou 4 anti-Covid. Quand sera-t-elle opérationnelle ?

- L’unité Lion 2 devra être opérationnelle en 2023 ; les études démarreront donc cette année. Nous n’aurons pas la capacité de fabriquer la substance active de plus de 20 vaccins. Nous choisirons, bien entendu sur avis du ministère de la Santé, les vaccins qui constitueront une priorité nationale et continentale.

 

D'ici fin 2023, le Maroc sera capable de subvenir à au moins 60% des besoins du continent, pour les cinq vaccins dont l'Afrique a le plus besoin. 

- Quels autres vaccins le Maroc ambitionne-t-il de produire? 

- Le Maroc produira tous les vaccins importants dont notre pays et le continent ont besoin. Quelques exemples : le vaccin contre l’hépatite B, le vaccin contre la rage, le vaccin pneumocoque, l’HPV, le vaccin contre le rotavirus, la diphtérie, la rougeole, la grippe, et bien sur la Covid-19, pour n'en nommer que quelques-uns. 

- En quoi consiste la phase 3 dénommée Dakhla?

- On ne peut pérenniser une industrie sans la recherche et le développement. On ne peut grandir en tant que nation, se développer et concurrencer les autres pays, sans l’innovation. Pérenniser la Vision de Sa Majesté, que Dieu l’assiste, c’est y inclure le jalon le plus important : celui de la recherche et développement biopharmaceutique. Une souveraineté nationale et continentale, cela signifie être capable de développer nos propres médicaments. Les fabriquer seulement n’est pas suffisant. D'ici fin 2023, le Maroc sera capable de subvenir à au moins 60% des besoins du continent, pour les cinq vaccins dont l'Afrique a le plus besoin.

- La dimension africaine est présente dans la stratégie et la vision que vous nous avez présentées. L’ambition est de répondre à 60% des besoins du continent africain en vaccins. A quel horizon ?

- La Vision de Sa Majesté le Roi est très claire : élever le niveau de santé de notre pays et du continent en y contribuant avec une capacité de production et de recherche et développement de vaccins et de produits biopharmaceutiques. Le projet Fox est un projet avant tout continental, en continuité avec la Vision que Sa Majesté a toujours eue pour notre continent.

L'Afrique fabrique aujourd’hui moins de 1% des vaccins qu'elle consomme. Nous avons, par conséquent, un devoir d’aider à ce que le continent africain puisse fabriquer lui-même la majorité de ses vaccins dans les plus brefs délais. Le Maroc sera capable de fabriquer plus de 60% des besoins du continent en vaccins d'ici fin 2023. C’est un défi énorme que l’on se donne, mais que l’on est capable de tenir.

- Pour résumer, quelles sont les dates clés des prochaines étapes à retenir ?

- Les voici :

Juillet 2022 : mise en place des deux lignes production (liquide et lyophilisé).

Août 2022 : mise en place de la ligne des seringues préremplies.

Octobre/novembre 2022 : production des lots industriels de validation.

Fin 2022 : démarrage de la fabrication des lots industriels.

2023 / 2024 : au cours de ces deux années, nous allons élargir le portefeuille de vaccins fabriqués au Maroc. Il sera marqué par les transferts de technologie. Au fur et à mesure, on transfère et on fabrique. Et dès que la fabrication est assurée, on arrête l'importation.

Le Roi préside le lancement des travaux de l’usine de fabrication de vaccins à Benslimane

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