Omicron, frontières, restrictions... : un entretien avec le Pr Jaâfar Heikel

Sous-variant BA2, réouverture des frontières, mesures sanitaires et résilience du système de santé... Jaâfar Heikel, professeur d’épidémiologie et spécialiste des maladies infectieuses, revient sur les principaux sujets d'actualité en relation avec le Covid-19.

Omicron, frontières, restrictions... : un entretien avec le Pr Jaâfar Heikel

Le 1 février 2022 à 18h47

Modifié 1 février 2022 à 20h51

Sous-variant BA2, réouverture des frontières, mesures sanitaires et résilience du système de santé... Jaâfar Heikel, professeur d’épidémiologie et spécialiste des maladies infectieuses, revient sur les principaux sujets d'actualité en relation avec le Covid-19.

Dans cet entretien avec Médias24, le Pr Heikel nous livre les dernières données scientifiques sur le nouveau sous-variant BA2. Il partage son point de vue sur la décision de rouvrir les frontières et les conditions d'accès qui devraient l'accompagner d'un point de vue épidémiologique, ainsi que sur les dimensions à prendre en considération pour un système de santé plus résilient.

Médias24 : Tout d’abord, que sait-on du nouveau variant BA2 dont on parle aujourd’hui dans plusieurs pays étrangers?

Pr Jaâfar Heikel : Ce qu’il faut savoir en premier, c’est qu’il ne s’agit pas d’un nouveau variant. Toutes les données scientifiques à travers le monde s’accordent à dire que c’est un dérivé (un sous-variant) de l’Omicron.

En fait, depuis son apparition, le variant Omicron avait un premier dérivé appelé BA1, qui était d’ailleurs le plus prévalent en Angleterre et dans d’autres pays à travers le monde, et qui a totalement supplanté Delta. Ce BA1 est caractérisé par sa mutation au niveau de la protéine Spike, au niveau du RBD et d’autres parties du virus, mais aussi par une transmissibilité plus élevée (que le variant Delta, NDLR) et une gravité plus faible. Ce sous-variant cause également moins de décès et implique moins d’hospitalisations par rapport au nombre de cas. Toutefois, en ce qui concerne la vaccination, son efficacité contre les formes graves a baissé de 80%-90% avec le Delta à environ 70%.

Est arrivé le BA2. Au début, nous avons cru qu’il s’agissait d’un nouveau variant parce qu’il ne dispose pas de la principale caractéristique de l’Omicron qui est la délétion du gène S, qui rendait son diagnostic difficile. Le BA2 a donc retrouvé le gène S, mais garde les mêmes autres caractéristiques du BA1 relatives à la transmissibilité, à la présence essentiellement au niveau des bronches, et aux symptômes qui sont assez spécifiques, à savoir essentiellement un mal de gorge, des éternuements, un nez qui coule, une grande fatigue et des maux de tête. L’odorat et le goût ne sont pas perdus. Ce n’est donc qu’une nouvelle branche de l’Omicron, et sa différence avec le BA1 c’est qu’on peut le diagnostiquer plus facilement, ce qui explique notamment la hausse du nombre de cas BA2 dans les pays étrangers.

Les dernières études publiées récemment ont par ailleurs démontré que le BA2 est beaucoup plus transmissible que le BA1, mais il permet une protection contre ce dernier. Cette protection persiste au moins à 70% contre les formes graves, les hospitalisations et les décès.

La deuxième grande nouvelle révélée par les dernières études sur le BA2, c’est que les porteurs de ce sous-variant sont protégés contre le BA1 et le Delta. Pour résumer, le BA2 est en fin de compte l’Omicron sous une forme différente. C’est un dérivé de l’Omicron de base. Dans les pays européens par exemple, il est devenu dominant. Au Maroc, la majorité des cas Omicron sont probablement des BA1, mais nous suivrons la même dynamique épidémiologique que dans le monde. Dans les prochaines semaines, le BA2 deviendra plus prédominant que le BA1. Ce n’est pas une mauvaise nouvelle, au contraire, c’est peut-être une confirmation que grâce au BA2 nous passerons d’un statut de pandémie à un statut d’endémie.

- La réouverture des frontières a été annoncée pour le 7 février. Que pensez-vous de cette décision?

- Je suis toujours préoccupé par l’inquiétude excessive de certains. Évidemment, il faut s’inquiéter et être prudent lorsque la situation l’exige. Il n’y a aucun pays ou gouvernement au monde qui voudrait du mal à la santé de sa population. Par contre, l’excès n’est pas utile au vu de la situation épidémiologique actuelle.

Depuis le 26 novembre dernier, soit environ deux mois, nous avons les preuves scientifiques dans le monde, y compris dans le contexte marocain, que l’Omicron circule beaucoup plus, donne une forme d’immunité contre les anciens variants, échappe à la vaccination ; mais aussi que celle-ci reste protectrice contre ce nouveau variant et les précédents à hauteur d’environ 70%, et contre les formes graves et hospitalisations.

Aujourd'hui, il n'y a plus de raison que les mesures restrictives soient très importantes

Si on a plusieurs nouveaux cas, cela ne veut pas dire qu’on a davantage de cas graves. Notre système de santé marocain n’a jamais été débordé avec l’Omicron. Les lits de réanimation affectés à la Covid ont atteint une occupation de 14% à 15%, et la létalité a baissé, passant de près de 2,7% il y a deux ans, au début de la pandémie, à environ 1,4% actuellement. Également, les cas intubés par rapport aux cas graves représentent moins de 20%, le taux de guérison est estimé à 97%, et plus de 90% de nos patients sont traités en ambulatoire, chez eux. Tous ces indicateurs démontrent que le Maroc a bien fait les choses.

Il n’y a donc pas de raison aujourd’hui que les mesures restrictives soient très importantes. En Angleterre, par exemple, les responsables n’ont pas tenu compte des cas quotidiens infectés par l’Omicron, qui se sont élevés à plus de 300.000 nouveaux cas par jour. La France a aussi atteint près de 500.000 cas par jour, et pourtant les stades sont ouverts, et tout le monde ne porte pas des masques partout.

Les problèmes causés par les restrictions dépassent désormais les bénéfices escomptés

Les mesures de politique publique sont importantes et doivent être mises en place et en œuvre au vu de la situation épidémiologique. Elles ne doivent pas être restrictives lorsque la situation ne l’exige pas, parce que les problèmes que ces mesures causeront à la population d’un point de vue sanitaire, social et économique dépasseront les bénéfices escomptés. Or, une politique publique doit avoir plus de bénéfices que d’effets négatifs pour qu’elle soit bien adaptée. C’est ce que l’on appelle en épidémiologie la proportionnalité. Il faut qu’une mesure soit proportionnelle aux objectifs et aux résultats attendus. Donc oui, je suis en faveur de la réouverture des frontières.

- Quelles sont, d’un point de vue épidémiologique, les conditions qui devraient accompagner cette réouverture très attendue, par le secteur du tourisme notamment ?

- En ce qui concerne la réouverture des frontières, que nous avons demandée depuis plusieurs semaines, les conditions qui l’accompagnent doivent être liées à la situation épidémiologique au Maroc, mais aussi dans les pays avec lesquels nous risquons d’avoir énormément d’échanges, tels que les pays européens. Cependant, elles ne doivent pas être draconiennes parce qu’elles n’empêcheront pas l’entrée d’un virus, ni sa circulation.

La preuve en est que le Maroc a décidé de fermer ses frontières avec l’ensemble des pays à travers le monde bien avant la circulation de l’Omicron dans certains d’entre eux. Et pourtant, nous avons eu des milliers de cas de ce variant. Comme indiqué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la fermeture des frontières n’empêchera pas la circulation du virus. Cette mesure peut la freiner au début, mais en aucun cas elle n'empêchera la diffusion et la multiplication du virus dans une population.

Les conditions qui seront exigées doivent par ailleurs répondre à une logique épidémiologique et scientifique. Dans plusieurs pays, lorsqu’une personne fait une infection au Covid avec un certificat médical en plus d’un test qui prouve qu’elle a été infectée, cela équivaut à une vaccination. Toutes les études scientifiques le montrent : une dose d’un vaccin anti-Covid plus une infection équivaut à deux doses de vaccin. La science montre que la protection immunitaire est identique.

On sait également que si on est vacciné à deux reprises, et qu’on effectue une 3e dose on est mieux protégé. Parce qu’au bout de quatre mois après la 2e dose, notre niveau de protection immunitaire baisse. On doit donc le booster. Donc une personne avec un schéma vaccinal de deux doses qui fait une infection, équivaut à une personne ayant effectué trois doses du vaccin.

Ces données scientifiques doivent être analysées avec sérénité pour que le Maroc continue à protéger la santé de sa population, mais également à poursuivre une dynamique de développement social, économique et humain dont nous avons besoin.

Un schéma vaccinal complet doit suffire pour entrer sur le territoire

Tout cela pour dire qu’il est important que les conditions d’accès au territoire marocain soient certes déterminées par les autorités compétentes, mais si j’ai un avis scientifique à donner sur le sujet, je pense qu’il est important que les personnes qui ont un schéma vaccinal complet puissent rentrer sur le territoire, car une PCR négative ne veut rien dire. Il peut bien y avoir de faux tests négatifs comme on peut être infecté dans les 48 h avant le voyage. Par contre, un schéma vaccinal complet avec trois doses ou un schéma vaccinal à deux doses plus une infection récente dans les six derniers mois permettent une bonne protection. Si on veut aller plus loin, le Maroc peut également exiger un schéma vaccinal complet en plus d’un test PCR négatif effectué dans les dernières 48h. Je pense donc que les mesures d’accès au territoire doivent se concentrer sur un schéma vaccinal complet.

Pour ceux qui - pour des raisons de conviction personnelle ou d’allergie importante contre-indiquant la vaccination - ne sont pas vaccinés, le Royaume peut simplement demander un test PCR négatif, avec une traçabilité dans les trois jours après leur arrivée au pays, et un test de contrôle dans un laboratoire au niveau national. S’ils sont négatifs ils pourront ainsi circuler librement, mais s’ils sont positifs, ils doivent s’isoler entre cinq et sept jours au maximum avant de pouvoir circuler librement dans le pays. Il y a donc plusieurs options que l’on peut étudier.

Rappelons-le, les conditions d'accès au territoire marocain n'ont pas encore été annoncées par le gouvernement.

- La crise du Covid a démontré que plusieurs pays, à l'instar du Maroc, ne disposaient pas d'un système de santé résilient. Que doit-on faire pour y remédier ?

- En termes de gouvernance de la crise sanitaire, il y a eu des échecs, mais les différents pays et l’OMS ont plutôt réussi. Par contre, ce qui est commun dans la majorité des pays qui ont eu des difficultés à gérer cette crise, c’est qu’ils se sont aperçus que leur système de santé n’était pas suffisamment résilient et réactif en cas de crise majeure. Évidemment on ne peut pas prévoir une crise, mais les pays doivent prévoir un système de santé qui soit assez résilient pour gérer ce genre de crise, c’est-à-dire savoir ce qu’on doit faire en ambulatoire et en hospitalisation par exemple. En revanche, les pays nordiques notamment, qui ont un système de santé assez réactif, n’ont jamais été débordés.

L'enjeu majeur est de préparer dès à présent, un système de santé résilient et réactif

Je crois ainsi que l’enjeu majeur est de préparer, dès à présent, notre système de santé pour qu’il soit résilient et réactif dans trois dimensions :

- Infrastructures : il faut se demander si nous avons des infrastructures à même de répondre aux crises. La réponse est claire. Aujourd’hui le partenariat public-privé devient essentiel. L’État devrait pouvoir compter sur le secteur privé en cas de crise.

- Moyens généraux (moyens matériels) : il s'agit de savoir si on a suffisamment de gants, de masques, et, dans le cas contraire, comment les fabriquer, et décider ainsi de la planification stratégique pour disposer des équipements, du matériel et du consommable nécessaire pour gérer une crise.

- Ressources humaines : la principale difficulté rencontrée par de nombreux pays, durant cette crise, a trait au manque de personnel et non aux lits d’hospitalisation. Quand nous n’avons pas suffisamment de personnel, on est amené à fermer des unités et des services.

Enfin, il faut procéder à une analyse objective des chiffres. Nous pouvons remarquer que plusieurs personnes ont analysé les chiffres à leur manière, notamment ceux relatifs au taux d’occupation des lits, à la létalité et à la positivité. Quand on dit que les lits de réanimation sont occupés à 100% ou plus, il faut préciser le nombre de lits affectés au Covid. Lorsqu’on parle de létalité par le Covid, il faut préciser le nombre de personnes décédées avec le Covid, et celles décédées à cause du Covid. De nombreuses personnes décédées avaient probablement des comorbidités, en plus du Covid. Par ailleurs, la positivité n’a d’intérêt que par rapport au nombre de tests réalisés. Nous avons énormément de Marocains qui font de l’automédication, et c’est d’ailleurs l’un des problèmes majeurs de notre système de santé.

Au Maroc et ailleurs, on n’a pas eu un système de santé suffisamment réactif et résilient. On ne s’attendait pas à la crise, certes, mais maintenant il s'agit de mieux se préparer si cela devait arriver de nouveau. On parle de planification optimale des politiques publiques.

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