La Covid 19 accélérateur de la nécessaire refonte du système de santé au Maroc (Pr. Heikel)

Pouvons nous mesurer l’Impact des indicateurs épidémiologiques sur les décisions politiques au cours de la période 2020-2021?

La Covid 19 accélérateur de la nécessaire refonte du système de santé au Maroc (Pr. Heikel)

Le 6 septembre 2021 à 16h03

Modifié 6 septembre 2021 à 16h30

Pouvons nous mesurer l’Impact des indicateurs épidémiologiques sur les décisions politiques au cours de la période 2020-2021?

La Covid 19 a été un cas d’école de management de crise sanitaire très révélateur. La population a appris de nouveaux termes ou indicateurs épidémiologiques comme l’incidence (nouveaux cas), le pourcentage de positivité des tests de dépistage, le nombre de cas hospitalisés, le nombre de cas graves ou critiques et la létalité. Cela n’avait jamais été le cas pour les autres maladies pourtant plus fréquentes au Maroc. C’est dire l’impact de cette crise sans précédent.

Ces indicateurs ont été l’argument majeur de décisions politiques et d’urgences sanitaires : fermetures des écoles, mosquées, commerces, lieux de loisirs et  espace aérien etc…; application de mesures restrictives ;  le confinement. Cela a conduit à mettre en place des mesures d’accompagnement sociales et économiques; ce dont il faut se féliciter.

Des efforts et des défis

La crainte d’une hécatombe, le peu de connaissances scientifiques sur la maladie la première année, la peur de ne pas anticiper des mesures adaptées ont été également à l’origine de décisions pertinentes ou non sur le plan des protocoles thérapeutiques, de la surveillance épidémiologique, de l’ouverture du dépistage aux laboratoires privés et des modalités de suivi des patients. Il faut rappeler que, pendant les 6 premiers mois de la crise, plusieurs patients asymptomatiques ou peu symptomatiques étaient «hospitalisés» dans des hôtels pris en charge par l’état et que l’hospitalisation était gratuite pour les cas graves ou compliqués. D’ailleurs, le budget alloué à la Covid 19 pour les aspects sanitaires à avoisiné les 2,2 milliards de DH, ce qui est important et représente déjà 10% du budget du ministère.

La même logique «épidémiologique» a été appliquée lorsqu’il a été décidé de lever le confinement et d’aménager les mesures restrictives ; d’exiger des résultats de test PCR pour les déplacements à l’étranger ou l’accueil d’étrangers; ou de permettre une reprise des activités commerciales ou industrielles.

La vaccination dont le Maroc peut s’enorgueillir de l’avoir démarrée très tôt en janvier 2021 et menée de façon exemplaire a laissé croire qu’elle allait contrôler la pandémie et infléchir tous les autres paramètres épidémiologiques. En 6 mois, plus du tiers de la population cible était vaccinée et les données d’incidence et de gravité de la Covid 19 étaient au vert.

Pourtant, les indicateurs épidémiologiques ne sont pas toujours prédictibles dès lors que d’autres paramètres sont déterminants; et c’est tout le défi: le comportement humain en matière de respect des mesures barrières et l’arrivée de variants dont la transmissibilité ou la pathogénicité sont plus importantes que la souche classique et dont les caractéristiques réduisent l’efficience des vaccins administrés. C’est pour cela que la « grosse deuxième vague » de juillet 2021 a ébranlé le système de santé non pas à cause d’une aggravation de la létalité (au contraire elle a baissé) et qu’il ne faut pas confondre avec le nombre brut de décès ;  mais à cause de la pression nouvelle exercée sur le système de santé, à partir de la dernière semaine de juin 2021, avec plus de 10.000 cas enregistrés par jour pendant plus d’une semaine, un taux de positivité qui est passé de 2% à 20%, un taux d’occupation des lits de réanimation Covid qui est passé de de 5% à 55% et un nombre de patients sous surveillance médicale qui est passé de 3.500 à 65.000.

Le politique a dû s’adapter avec de nouvelles restrictions de circulation à partir de 21h , de rassemblements et d’entrée ou sortie du pays. Cela pour ne pas hypothéquer les gains acquis par la vaccination en cours d’accélération et surtout pour ne pas risquer un confinement généralisé impactant le social, l’économique et le psychologique.

C’est la situation actuelle mais qui impose aujourd’hui encore de nombreuses questions à venir ? Quel impact de la vaccination des 12 à 17 ans ? Quelles données sur les variants actuels sachant que le système d’information épidémiologique n’est pas complet puisqu’il n’inclut pas le privé ? Quelle est l’efficience de la vaccination actuelle des 15 millions de personnes entièrement vaccinées ?  Faudra t-il une troisième dose  ?

Quels sont les défis auxquels le système de santé a dû faire face depuis 18 mois malgré  les acquis indéniables de la lutte contre la pandémie  ?

En fait il faut être honnête ;  des décisions royales majeures appliquées par les  ministères de la Santé , de l’Intérieur, des Affaires étrangères, des Finances, ont permis de relever des défis majeurs. Une réactivité immédiate en matière de confinement, une planification stratégique en matière de disponibilités des médicaments, un soutien précoce  social et économique à travers un fond de solidarité et une vision pragmatique en matière de commande et de logistique vaccinales.

D’un autre côté, nous avons observé des insuffisances qui ont posé des problèmes aux citoyens : une insuffisance de communication des autorités sanitaires dès le mois de juin 2020 voir des décisions dont les fondements rationnels n’ont pas été compris ; l’insuffisance de publications de données épidémiologiques ou cliniques permettant d’adapter la lutte contre la pandémie dans sa deuxième phase majeure à partir de juin 2021 ; la non implication du secteur privé en 2021 dans la stratégie de lutte contre le virus ( surveillance épidémiologique et vaccination de la population par exemple) ; le manque de coordination avec le secteur privé depuis 2021 en matière de gestion des lits d’hospitalisation pour la Covid-19 ; un retard et une insuffisance de réactivité de certains organismes assurantiels pour la prise en charge des patients Covid-19 ; plusieurs décisions non étayées au sujet des tests de diagnostics ou encore des infrastructures et équipements.

Tirer des leçons

Par contre, ce que la Covid a fait ressortir comme l’ont révélé d’ailleurs le rapport parlementaire ou celui de la commission sur le nouveau modèle de développement de 2021, ce sont les problèmes de gouvernance stratégique du système de santé à l’échelle nationale et régionale, les iniquités d’accès intra et inter-régions aux services de santé particulièrement par les populations vulnérables, un échec relatif du modèle de CSU mis en place graduellement entre 2005 et 2012, une gestion et une allocation des ressources humaines, matérielles et  des budgets  de la santé peu optimaux, une insatisfaction patente et répétée des citoyens par rapport à leur système de santé dans ses composantes publique et privée.

Mais ce que nous devons souligner c’est une organisation fonctionnelle du ministère qui ne répond plus aux besoins de santé et à la demande de soins, une nécessité d’évaluer et de corriger la réduction pendant la pandémie de la prise en charge des maladies chroniques (diabète, hypertension, cancers, insuffisances rénales, maladies mentales, maladies dégénératives) depuis deux ans et qui, je le rappelle, sont responsables de 78% des décès au Maroc.

2020 c’est  l’année Covid qui aura marqué la nécessité de la refonte du système de santé ?

En fait, ce n’est pas tout à fait vrai car rappelez vous les discours de Sa Majesté le Roi en juillet 2018 et 2019 où il faisait déjà le diagnostic et demandait une refonte (non pas une réforme) du système de santé au vu de son iniquité et de sa performance. De même, en 2020 Sa Majesté a réitéré ses instructions au gouvernement en matière de couverture sociale avec des axes clairs dont celui de la couverture sanitaire universelle à mettre en place avant 2023.

La Covid a montré qu’il fallait aller encore plus vite et c’est tout le sens des orientations royales que le prochain gouvernement se devra de mettre en œuvre.

Ainsi dans toutes les crises il en sort des expériences et celle que nous traversons fera du ministère de la Santé un acteur d’une importance cruciale dans le prochain gouvernement. Tout d’abord parce que les crises sanitaires existeront toujours et il faudra s’y préparer pour éviter ou réduire les conséquences . Ensuite parce que cette crise a révélé nos capacités en tant qu’Etat, nos forces en tant que professionnels de santé marocains, mais également certaines insuffisances du secteur de la santé aussi bien en terme de leadership qu’en terme de gouvernance technique et de réponse à la demande et aux besoins de santé des citoyens.

Comme pour tout projet titanesque de dimension sociétale, il ne peut être construit sur les mêmes bases ou être porté par la même organisation fonctionnelle. Il faut un nouveau paradigme, une nouvelle vision, une nouvelle  prérogative et organisation nationale et régionale ( le secteur de la santé doit intégrer en son sein l’assurance maladie et la solidarité), un financement et une gouvernance innovante, une intégration optimale avec les autres politiques publiques et les autres acteurs du changement social.

Par le Pr. Jaâfar HEIKEL, MD,PhD

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