Fragilité sociale et perte d’espoir, l’autre visage de l’exode massif vers Sebta

Le coup joué par le Maroc a fait mal à l’Espagne et lui a rappelé combien son partenariat avec son voisin du Sud est précieux. Mais les scènes de milliers de jeunes, d’enfants et de familles entières débarquant sur les côtes de la ville occupée ont été douloureuses, nous rappelant combien une partie de la population n’a plus foi en son avenir au pays.

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Fragilité sociale et perte d’espoir, l’autre visage de l’exode massif vers Sebta

Le 19 mai 2021 à 19h43

Modifié 20 mai 2021 à 9h42

Le coup joué par le Maroc a fait mal à l’Espagne et lui a rappelé combien son partenariat avec son voisin du Sud est précieux. Mais les scènes de milliers de jeunes, d’enfants et de familles entières débarquant sur les côtes de la ville occupée ont été douloureuses, nous rappelant combien une partie de la population n’a plus foi en son avenir au pays.

Inéluctable, voire prévisible, au vu du coup tordu de l’Espagne contre le Maroc, la crise migratoire survenue à Sebta ces trois derniers jours a montré combien le partenariat avec le Maroc est quelque chose de précieux pour Madrid.

Jouant depuis des années le rôle de gendarme de l’Espagne et de toute l’Europe, le Maroc s’est senti trahi par celui qu’il considérait comme un partenaire fiable, et a réagi en rappelant à son voisin que ce partenariat a un coût.

Résultat : au moins 8.000 migrants sont entrés illégalement dans la ville occupée depuis le Maroc comme le signale l’agence EFE. « C’est le plus grand nombre de migrants jamais arrivé sur le sol espagnol en une journée », écrit l’agence officielle espagnole. Sur les deux jours qu’a duré la crise (le Maroc ayant renforcé mercredi le contrôle), ce ne sont pas moins de 15.000 migrants, selon les estimations des médias espagnols, qui sont passés de l’autre côté de la barrière, créant une crise sans précédent en Espagne.

Une crise qui rappelle la fragilité sociale de la jeunesse marocaine

Ce coup de l'« œil pour œil » joué par le Maroc a certainement produit ses effets sur le plan diplomatique. Et a montré que Rabat peut déstabiliser l’Espagne et l’Europe tout entière en moins de deux jours…

Mais sur le plan interne, ces scènes de jeunes marocains, de mineurs, d’enfants ou de familles entières débarquant à la nage sur les plages de Sebta sont douloureuses à voir. Et ont aussi écorché l’image du Maroc à l’international, les clichés et vidéos ayant tourné en boucle sur les chaînes d’information européennes.

Cette crise nous rappelle deux choses : l’importance du Maroc en tant que partenaire pour l’Europe, un partenaire avec lequel il ne faut pas badiner (le message est passé), mais aussi l’extrême fragilité de notre tissu social, la misère d’une partie de notre jeunesse qui, perdant tout espoir, ne rêve que d’une seule chose : quitter le Maroc par n’importe quel moyen.

Médias24 a consacré plusieurs articles à ce sujet, à la situation fragile de cette jeunesse que l’on a désignée par la notion de NEET (Not in Employment, Education or Training), qui mesure le pourcentage de jeunes âgés entre 18 et 24 ans, qui ne sont ni en situation d’emploi, ni étudiants ni en formation professionnelle.

C’est une partie de cette jeunesse-là qu’on a vu débarquer sur les côtes de la ville occupée. Et dont certains ont accepté de témoigner devant les caméras des médias en ligne marocains, exprimant leur désespoir, la misère dans laquelle ils vivent et leur envie de quitter leur pays coûte que coûte. Un phénomène que l’on connaissait déjà, qui a été mesuré par des sondages, des études, mais dont on a vu le visage réel avec cette crise de Sebta.

Dans un débat sur la panne de l’ascenseur social organisé par la Fondation marocaine de l’Etudiant, et couvert par Médias24 en juin 2020, Amine Zariat, président de la Fondation TIBU, qui travaille notamment sur l’insertion des jeunes par le sport, avait signalé que le Maroc comptait 2,7 millions de jeunes en situation de NEET.

Des laissés pour compte dont l’insertion est une problématique fondamentale qui doit être au cœur des politiques publiques et du nouveau modèle de développement.

Créer le rêve marocain doit être une priorité du nouveau modèle de développement

Assurer un avenir meilleur à sa jeunesse, c’est une mission régalienne de l’Etat qui doit être au centre de son action. D’autant que cette mission est à la croisée de plusieurs problématiques : l’éducation, la formation professionnelle, la culture, l’insertion professionnelle, la vie de quartier, le sport, la croissance, la création d’emplois durables, l’égalité des chances dans tous les domaines, du préscolaire à l’emploi… Bref, le développement dans son sens le plus large.

Pris dans une spirale d’échec à cause du dysfonctionnement de l’ascenseur social, à tous les étages,  ces jeunes que l’on a vus à Sebta, et les centaines d’autres qui ont essayé de les rejoindre à partir de Casablanca, de Salé, de Kénitra, parfois en marchant à pied vers Fnideq pour tenter leur chance, ont besoin de reprendre confiance en l’Etat, en leur avenir. Il leur faut tout simplement un rêve marocain. Au lieu d’un rêve européen, qui n’est en réalité qu’un mirage. Surtout pour des jeunes qui n’ont ni diplômes, ni qualifications…

Et c’est ce que plaide justement le président de la Fondation Zakoura, Jamal Balahrach, qui s’investit dans le domaine du préscolaire:  « Il faut créer un nouveau contrat social, créer un rêve marocain. L’Etat pour l’instant n’est pas très présent sur ces sujets. La méritocratie n’est pas non plus présente dans la gouvernance de nos institutions aussi bien publiques que privées. Il faut faire en sorte que notre jeunesse puisse se dire qu’elle peut grandir, vivre et travailler au Maroc ».

Un rêve marocain qui n’existe pas aujourd’hui, comme le confirme Abdelhafid Reghay, vice-président et cheville ouvrière de la fondation Académia, estimant que cette problématique ne concerne pas que les NEET, mais toutes les couches de la société marocaine, même les plus instruites, et qui vivent dans une situation très confortable. Son effet miroir, selon lui, est le phénomène de la fuite des cerveaux, de migration des cadres, qui traduisent « cette foi perdue en un avenir meilleur au Maroc ». « Car le pays ne valorise pas assez ses compétences, ne promeut pas le mérite, et n’assure pas aux jeunes un bien-être au sens large ».

Abdelhafid Reghay touche ici un point fondamental : le bien-être. « Un jeune aujourd’hui, quel que soit le salaire que vous lui proposez, s’il ne se sent pas bien là où il vit, s’il ne voit pas qu’il y a une contrepartie aux impôts qu’il paie, à travers une école et des hôpitaux de qualité, il partira là où il se sentira mieux, où il pourra se réaliser, trouver une raison d’être, du bien-être et un sens à sa vie et celle de sa famille », explique-t-il.

Exacerbé par la crise du Covid-19 et ses effets socio-économiques et psychologiques, ce phénomène de perte d’espoir dans l’avenir du pays a été mis à nu par cette crise migratoire. Un sujet sur lequel la commission sur le nouveau modèle de développement a travaillé, en écoutant notamment plusieurs spécialistes de la question comme le Professeur Said Hanchane, qui officie à la faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales de l’Université Mohammed VI Polytechnique et qui a été auparavant directeur central chargé de la recherche à Bank Al Maghrib et directeur général de l’Instance nationale de l’évaluation.

Son intervention, entre plusieurs autres témoignages et contributions, avait fait la lumière sur l’ampleur de ce phénomène des NEET, de la panne de l’ascenseur social et de l’absence de politiques publiques ciblant cette catégorie de population. Un sujet qui doit être le moteur du futur modèle de développement et être mis à la tête des priorités des politiques publiques.

>>>Lire aussi :

Les recommandations de l'initiative Moustaqil pour réduire le nombre de jeunes NEET

La situation des jeunes NEET au Maroc demeure inquiétante (ONDH et UNICEF)

 

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