Saïd Hanchane : “Il faut stopper l'extension de l'informel et des NEET”

Comment réduire la taille de l'informel ? Quels indicateurs pour favoriser la justice scolaire ? Voici l'analyse et les propositions du Pr Saïd Hanchane. 

Saïd Hanchane : “Il faut stopper l'extension de l'informel et des NEET”

Le 7 octobre 2020 à 17h14

Modifié 10 avril 2021 à 22h56

Comment réduire la taille de l'informel ? Quels indicateurs pour favoriser la justice scolaire ? Voici l'analyse et les propositions du Pr Saïd Hanchane. 

Mardi 6 octobre, la Commission spéciale sur le modèle de développement a organisé un échange sur le thème de la recherche économique nationale et les enseignements à en tirer pour le nouveau modèle de développement, avec la présence d’économistes dont Saïd Hanchane. 

Ce dernier est un professeur à la faculté de gouvernance, sciences économiques et sociales de l’Université Mohammed VI polytechnique. Auparavant, il a été chercheur au centre national de la recherche scientifique (CNRS) en France (2001-2008), avant d’occuper le poste de directeur central chargé de la recherche à Bank Al Maghrib (2008-2009), puis directeur général au sein de l’Instance nationale de l’évaluation entre 2009 et 2014.  

Ses publications portent sur les inégalités, l’évaluation des politiques publiques en matière d’éducation, de formation professionnelle, d’emploi, de protection sociale et de développement territorial. 

A l’occasion de cet événement organisé par la CSMD, Saïd Hanchane a axé son intervention sur deux aspects du système économique et social marocain, “dont la faiblesse et les dysfonctionnements ont été spectaculairement révélés par les effets du Covid”. 

Dans ce sens, l’universitaire à pointé du doigt les indicateurs à abandonner et ceux à utiliser afin de “stopper l’extension de l’informel et des NEET” (jeunes qui ne sont ni en emploi, ni en formation, ni en apprentissage). 

"En 2014, le taux d'achèvement scolaire était inférieur à 6% au Maroc, contre 84% en Corée du Sud"

Lors de son intervention, Saïd Hanchane a soulevé l’absence d’indicateurs sur le taux d’abandon dans les études supérieures et dans la formation professionnelle et a rappelé que le système éducatif marocain est marqué par un taux “très élevé d’abandon”. 

“Entre 2000 et 2018, on a pu recenser près de 7 millions de jeunes qui sont sortis sans qualifications et donc sans diplômes, dont une infime partie accède à la formation professionnelle dans de très mauvaises conditions; c’est-à-dire avec de très faibles requis, contrairement à ce qu’exige l’approche par compétence, souvent appliquée par la pédagogie dans ce secteur”.

Pour Professeur Hanchane, le ministère de l’Education nationale “fait de moins en moins de planifications et d’études démographiques, voire pas du tout de prospectives. Notre système éducatif est piloté par ce qu’on appelle dans la littérature: des taux nets, bruts et spécifiques qui, lorsque tout marche bien, convergent tous vers 100”. 

C'est pourquoi l’universitaire propose “d’aller au-delà d’un pourcentage parmi une génération d’élèves” et de privilégier des indicateurs de “persévérance scolaire”. Il suggère d’abandonner “la norme de l’obligation scolaire jusqu'à 16 ans”, expliquant que c’est ce qu’ont fait plusieurs pays émergents et développés.

“Nos objectifs ainsi que nos critères d’évaluation et de planification, devraient reposer sur deux autres indicateurs très importants: le taux d’achèvement scolaire et la valeur ajoutée éducative”. 

En 2014, le taux d’achèvement scolaire au Maroc, était “pour la génération de 2002 inférieur à 6%. Alors qu’en Corée du Sud, avec laquelle certains ministres osent se comparer, le taux d’achèvement a atteint 84%”, signale-t-il. 

La valeur ajoutée éducative est, quant à elle, définie par Professeur Hanchane comme “un taux d’achèvement conditionnel à l’origine sociale et à la zone géographique”. 

“C’est un indicateur de plus en plus utilisé pour évaluer équitablement les taux de réussite au baccalauréat, les taux de mentions entre un lycée dans un quartier populaire et un lycée dans un quartier favorisé. Cet indicateur mesure la capacité à promouvoir une justice par l’égalisation des résultats et non par l’égalité des chances. Inégalités que nous voulons tous réduire dans notre pays”, explique le professeur. 

Pour ce dernier, il est nécessaire d’abandonner certains indicateurs comme celui du PNUD qui, selon lui “ne sert à rien”. En parallèle, il faudrait “développer d’autres indicateurs, plus récents et synthétiques, à partir de travaux dont ceux de "Aart Kraay" parus en 2018, qui combinent entre qualité et espérance de vie scolaire”. 

“Ce sont des indicateurs beaucoup plus intéressants qui permettront au Maroc d’avoir un meilleur classement, celui attendu de tous”, ajoute-t-il. 

“La carte scolaire est un scandale et une question sérieuse pour un nouveau modèle de développement”

“Il faudrait arriver à simuler un certain nombre de données sur les acquis des élèves pour parvenir, par exemple, à la taille optimale des classes, ou encore à un degré de mixité sociale sans réduire la qualité des acquis pour revoir en profondeur la carte scolaire, qui est un scandale et une question sérieuse pour un nouveau modèle de développement”.  

Ce que propose l’universitaire ne se limite pas à “une simple question d’indicateurs”. Il s’agit plutôt “de faire un choix de société assumé” pour savoir comment combiner trois 3 piliers de ce qu’il appelle “la justice scolaire”. Ces piliers sont l’égalité d’accès, l’égalité des chances et l’égalité des résultats”. 

Par ailleurs, M. Hanchane s’est également arrêté sur l’absence d’un dispositif national “permanent et régulier” axé sur l’insertion professionnelle des jeunes, “alors que le taux de chômage des jeunes est le double de la moyenne nationale et que celui des diplômés atteint jusqu’à quatre fois la moyenne nationale”. 

“Je défie quiconque de me dire quelle est la vitesse d’insertion d’un jeune sortant du système d’éducation et de formation, qu’il soit diplômé ou non. Parce que répondre à cette question implique des choix de politique publique pouvant être radicalement différents”. 

Said Hanchane considère que les enquêtes d’insertion effectuées par le département de la formation professionnelle (DFP), l'OFFPT ou encore l’ANAPEC “méritent d’être abandonnées et ne même pas être citées”. Il estime même que le rôle de l’ANAPEC est à revoir, car il “repose sur un modèle français dépassé”. 

Dans une optique de changement, M. Hanchane propose deux possibilités. La première, moins coûteuse, est selon lui “extrêmement efficace et rapide”, qui peut faire l’objet d’un lancement imminent. 

Elle consiste à “développer un dispositif d’insertion à partir d’une enquête auprès d’une génération de sortants du système éducatif, qui retrace le cheminement des premiers sortants de la formation initiale, tous niveaux confondus, confrontés à la même conjoncture économique et sociale”. 

Cette proposition correspond au modèle appliqué en France et en Amérique latine et auquel s’intéresse également la Tunisie. 

Le deuxième dispositif proposé est celui appliqué en Allemagne, en Suisse, aux Etats-Unis et vers lequel se dirige désormais la France. Il repose sur “un panel représentatif d’une corolle de jeunes définis par leur communauté”.

Segmentation de l'informel: entre le bon et le mauvais

Pour Saïd Hanchane, "nos politiques publiques et économiques seraient orientées, consciemment ou inconsciemment par une vision biaisée, car elles sont pour l’essentiel fondées sur le paradigme et le dictat du secteur informel. Dans ces conditions, la transmission de leurs effets ne peut être que très faible pour concerner une infime partie de la population et des organisations productives". 

L’informel, “qui fut depuis longtemps considéré comme une simple étape dans le processus de développement, devrait être la priorité de nos politiques publiques”. Il est devenu “un phénomène structurel avec lequel il faut s’adapter”, estime l’universitaire. 

Au Maroc, les salariés informels représentent 70% du secteur privé. “Si on ajoute les indépendants et les emplois non-rémunérés, on avoisine 79%. Cela veut dire que près de 80% de la population ne serait pas concernée par les politiques publiques et économiques du pays”. 

Cette “réalité structurelle” peut être expliquée par plusieurs raisons, dont deux principales selon Pr. Hanchane. Celles-ci contribuent à élargir la sphère de l’informel d’une part et à accroître, d’autre part, les effectifs d’un phénomène nouveau qu’est "les NEET". 

En évoquant les statistiques relatives au secteur informel, Said Hanchane met l’accent sur un élément important. Il précise que “les enquêtes spécifiques à l’informel donnent les effectifs des salariés informels opérant dans le secteur informel. Or, nous retrouvons au Maroc des salariés informels dans le secteur formel. Ce n’est qu’en faisant la somme des deux que nous arriverons à saisir la population dans son ensemble”. 

“Un travail fondateur de Gary Fields sur l’informel en Tanzanie, publié en 2010, montre une hétérogénéité, voire même une segmentation dans l’informel. Un certain nombre de tests réalisés sur les données marocaines, via ce qu’on appelle des modèles non-emboîtés, parviennent à identifier les critères du bon et du mauvais informel, avec une nette différence entre les hommes et les femmes”. 

Quels sont les segments à cibler pour réduire la taille de l’informel ? Faut-il donner la priorité à l’informel de bonne qualité en premier, ou l’inverse? 

Saïd Hanchane estime que, pour répondre à ces questions, il est nécessaire de “développer des études sérieuses”, notamment relatives aux “bénéfices de la variation du SMIG sur la mobilité de l’informel vers le formel”. 

Dans ce sens, il annonce qu’un travail récemment finalisé par ses soins révèle que “des modèles assez robustes et réalistes montrent que l’amélioration du SMIG augmente significativement la mobilité, notamment pour les femmes, de l’informel vers le formel”, ce qui constituerait une condition parmi d’autres favorisant l’amélioration de l’activité des femmes.

"Une nouvelle loi sur les statistiques doit être élaborée"

“Indépendamment de cela, les travaux que nous avons menés depuis de nombreuses années sur le plan national ont pointé de sérieuses difficultés pour alimenter le système statistique actuel sur le marché du travail. Ces difficultés émanent d’une gouvernance quelque peu aléatoire et très peu structurée pour la conception, la production, l’accessibilité, la diffusion et l’appropriation des données. C’est la raison pour laquelle la réflexion sur une nouvelle 'loi de la statistique' doit être faite”, souligne-t-il. 

“Bien que des avancées ont été observées quant au volet offre de travail, grâce aux progrès réalisés par le HCP dans le cadre des enquêtes sur l'emploi, il n’en demeure pas moins que la demande de travail et de compétences reste un aspect absent, occulté par le système statistique marocain actuel. Par exemple, comment évaluer un plan sectoriel ou l’accélération industrielle si les indicateurs décisifs, qui doivent être mobilisés sur la création nette des entreprises, la création nette de postes de travail, à distinguer de la création nette d’emplois, n’existent pas ?”, interroge M. Hanchane. 

Ce dernier précise que ces indicateurs peuvent être mesurés, “au moins pour le formel”, à partir des données de la CNSS qu’il estime être une “source très bien exploitée”. 

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