Le Maroc pourra-t-il fabriquer un générique contre le Covid-19, le cas échéant ?

Dans les prochaines semaines, des géants pharmaceutiques vont commencer à annoncer avoir validé l'efficacité de traitements contre le Covid-19. Le Maroc doit s'y préparer, car il n'y en aura pas pour tout le monde. Pour cela, il y a deux obstacles. Ci-dessous, nous nous intéressons à l'aspect industriel.

Le Maroc pourra-t-il fabriquer un générique contre le Covid-19, le cas échéant ?

Le 19 mai 2020 à 22h38

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Dans les prochaines semaines, des géants pharmaceutiques vont commencer à annoncer avoir validé l'efficacité de traitements contre le Covid-19. Le Maroc doit s'y préparer, car il n'y en aura pas pour tout le monde. Pour cela, il y a deux obstacles. Ci-dessous, nous nous intéressons à l'aspect industriel.

L'autre obstacle est l'obstacle juridique : le brevet. Pour cela, nous avons déjà montré qu'il faut recourir à la licence d'office (ici et ici).

Si le Maroc émet une licence d'office pour un médicament contre le Covid-19, saura-t-il le fabriquer?

Pour répondre à cette question, nous nous sommes adressés à Myriam Lahlou-Filali, DG du groupe Pharma 5. Ce groupe avait génériqué avec succès, en 2015, le Sofosbuvir de Gilead, un produit contre l'hépatite C. Le même Gilead assure d'ailleurs que son médicament, le Remdesevir, est efficace contre le Covid-19. 

A l’origine, l’hépatite C ne figurait pas parmi les aires thérapeutiques de Pharma 5. La découverte du traitement mis au point par Gilead s’est faite de façon fortuite : ''Un membre de notre famille était atteint de l’hépatite C, or nous nous sommes rendus compte que le médicament, aussi bien l’original que le générique, était indisponible au Maroc'', se souvient Myriam Lahlou-Filali.

Le laboratoire marocain parvient finalement à se procurer des boîtes du princeps, le médicament original (une opération sur laquelle Myriam Lahlou-Filali maintient le secret), et commence à ''disséquer le produit pour comprendre comment un comprimé pouvait valoir à lui seul 1.000 dollars''. A l’époque, Pharma 5 tente à plusieurs reprises de contacter Gilead, en vain. Idem du côté du ministère de la Santé, qui enverra au laboratoire américain pas moins de trois courriers, au début de l’année 2015. ''Trois courriers, zéro réponse.''

Face au silence de Gilead, le ministère de la Santé prend langue avec Pharma 5 pour jauger les capacités du laboratoire marocain à produire le traitement contre l’hépatite C. ''On travaillait déjà dessus quand le ministère de la Santé nous a contactés'', nous assure Myriam Lahlou-Filali. Pour acquérir la matière première de ce produit, Pharma 5 diversifie ses sources et sécurise son approvisionnement auprès de plusieurs fournisseurs dans différents pays, afin de ne pas dépendre d’un seul fournisseur et prendre le risque de se retrouver le bec dans l’eau dans le cas où ce dernier aurait suspendu l’exportation des molécules.

Une fois le dossier déposé auprès de la Direction du médicament et de la pharmacie au ministère de la Santé, aussi bien pour le sofosbuvir que pour l’autre produit auquel il est associé, le daclatasvir, Pharma 5 attendra neuf mois avant d’obtenir l’autorisation de mise sur le marché (AMM) pour ces deux molécules. ''Nous avons eu les deux AMM en même temps, mais le prix du daclatasvir nous a été communiqué avec du retard. In fine, le traitement complet a pu être commercialisé non pas en décembre 2015, mais en mars 2016 puisqu’il a fallu attendre de connaître le prix du daclatasvir'', précise Myriam Lahlou-Filali.

''Les matières premières font rarement l’objet d’un monopole''

Concernant le futur traitement du Covid-19, Myriam Lahlou-Filali n'y va pas par quatre chemins : ''Le seul moyen d’en assurer l’approvisionnement pour la population marocaine, c’est de recourir à la fabrication locale''. Et d'ajouter : ''Certains laboratoires marocains fabriquent leurs produits au Maroc mais la quasi-totalité des matières premières viennent de l’étranger.'' L’enjeu est donc le suivant : se procurer la matière première du futur médicament.

Pour le cas du Remdesevir, l’Inde possède la matière première, mais le risque, c’est que ce pays en bloque l’exportation afin de sécuriser son marché. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé début mars : l’Inde avait limité l’exportation d’une trentaine de médicaments et de principes actifs pharmaceutiques (API), notamment le paracétamol et certains antibiotiques. Elle avait rouvert ses frontières un mois plus tard sous la pression des pays les plus touchés par le Covid-19, soulageant ainsi les professionnels de santé européens.

''Quand vous fabriquez localement, même si l’Inde ne veut plus ou ne peut plus fournir la matière première, il y a toujours la possibilité de se fournir en Chine, en Corée du Sud ou dans certains pays d’Amérique du Sud. Les matières premières font rarement l’objet d’un monopole. Il y a donc des gymnastiques possibles quand vous êtes un fabricant national, mais pas quand vous êtes un fabricant importateur. Quand vous êtes exclusivement importateur, vous êtes otage'', avertit Myriam Lahlou-Filali.

L’épineux dossier des brevets

En réalité, l’enjeu dépasse largement l’approvisionnement en matières premières. Pour Myriam Lahlou-Filali, toute la problématique s’articule autour de la volonté des autorités marocaines d’atteindre l’autosuffisance, et donc l’indépendance, en termes de fabrication des médicaments, et ainsi de s’assurer une sécurité sanitaire hautement capitale en période de crises comme celle du Covid-19 : l’indépendance thérapeutique d’abord, qui consiste, pour un pays, à choisir le traitement qu’il va mettre à la disposition de ses citoyens plutôt que de se le voir imposer par d’autres pays ; l’indépendance sanitaire ensuite, qui permet de disposer des traitements en quantité suffisante.

Or, l’indépendance thérapeutique que le Maroc aurait pu arracher est rendue impossible par le fait que les brevets de l’Union européenne validés ont le même effet juridique qu’un brevet marocain. ''Tout ce qui est breveté dans l’Union européenne est automatiquement breveté au Maroc. Nous avons perdu notre souveraineté nationale dans notre capacité à accepter ou non la légitimité d’un brevet'', déplore Myriam Lahlou-Filali.

De nouvelles molécules peuvent en effet être nouvellement brevetées alors qu’elles ont en réalité les mêmes propriétés que d’autres molécules déjà existantes et déjà brevetées. Des entreprises peuvent ainsi se voir octroyer des brevets à l’excès lorsqu’un pays veut favoriser son industrie et créer un monopole mondial. ''Une molécule brevetée peut avoir été découverte il y a très longtemps et dans ce cas, le caractère nouveau d’une autre molécule est rejeté par des experts en propriété intellectuelle. Un autre cas de figure est celui d’une molécule récemment découverte mais dont les propriétés sont très proches d’une molécule qui existe déjà et est déjà brevetée. Dans ce cas, il n’y a donc pas lieu de breveter cette nouvelle molécule.''

Le problème avec la molécule du Remdesevir (qui fait l'actualité en ce moment), c’est qu’elle n’est pas récente car elle a été initialement développée pour lutter contre le virus Ebola qui a sévi en Afrique de l’Ouest entre 2013 et 2016. ''Si le Remdesevir est breveté en Europe, le brevet sera d’office reconnu au Maroc et les autorités marocaines n’ont aucun moyen d’en rejeter la pertinence'', souligne Myriam Lahlou-Filali. D’autant que sur le front sanitaire, l’importation n’est pas la meilleure des solutions : ''L’importation, c’est parfait quand tout se passe bien, mais en cas de pépin, c’est tout l’approvisionnement qui est menacé.''

Il y a bien une autre solution qui est celle de la licence d’office, mais elle ne peut être émise que par l’État, en l’occurrence le ministère de la Santé, sans attendre la permission du détenteur du brevet.

''C’est l’une des armes du Maroc pour se procurer le Remdesevir (ou tout autre futur médicament contre le Covid-19) sans l’autorisation de Gilead. En cas de force majeure, l’État a la possibilité de rompre un brevet, c’est-à-dire de ne plus le reconnaître, et ainsi de pouvoir produire lui-même le médicament'', nous explique Mohamed Houbachi, président de l’Association marocaine du médicament générique (AMMG). Pour lui qui souligne le caractère ''éminemment politique et diplomatique'' d’une telle décision, la balle est donc désormais dans le camp de l’État.

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