La parole aux médecins libéraux: “On ne peut pas aller au front sans armes”

Les médecins même s'ils sont de libre pratique, ont certes une obligation de service public en cas de menace grave pour le pays et doivent soutenir l'Etat dans ses efforts. Mais cela justifie-t-il qu'on leur adresse des "injonctions" paradoxales, selon le mot d'un célèbre praticien, en "les envoyant combattre le virus" sans qu'ils aient les armes pour le faire? Toute la problématique est là.

La parole aux médecins libéraux: “On ne peut pas aller au front sans armes”

Le 30 mars 2020 à 6h11

Modifié 11 avril 2021 à 2h45

Les médecins même s'ils sont de libre pratique, ont certes une obligation de service public en cas de menace grave pour le pays et doivent soutenir l'Etat dans ses efforts. Mais cela justifie-t-il qu'on leur adresse des "injonctions" paradoxales, selon le mot d'un célèbre praticien, en "les envoyant combattre le virus" sans qu'ils aient les armes pour le faire? Toute la problématique est là.

Ce lundi, doit commencer, dans la région de Casablanca, la distribution d'équipements de protection promise par l'Etat, aux médecins de la région. Cette distribution a été confiée par l'Etat au Conseil de l'ordre des médecins. Ce dernier a reçu les équipements et les a distribués vendredi aux conseils régionaux, selon deux sources de l'intérieur du conseil national. Jusqu'au dimanche 29 mars dans la soirée, aucune distribution n'avait eu lieu. Finalement, le conseil régional a effectué la distribution pour ce lundi. Il s'agissait d'une boîte de gants en latex ainsi que d'une boîte de bavettes en guise de masques.

Ces difficultés de distribution, surtout par temps de confinement, sont compréhensibles et prévisibles. Ce n'est pas la vocation du conseil de l'ordre. Mais que dire des médecins? Peuvent-il partir au front sans armes? Sans une protection suffisante? Sans masques? Et peut-on accepter, au moment où une grave épidémie menace, qu'il y ait autant de lenteur? Si l'on met autant de temps pour un simple trajet Raba-Casa, qu'en est-il des régions éloignées?

L'absence d'équipements de protection (casaque jetable, charlotte, visière, masque) a créé de grosses inquiétudes au sein d'une partie du corps médical. Craintes légitimes de contamination amplifiées par les cas de médecins qui ont reçu des patients qui se sont avérés plus tard positifs au Coronavirus. Ces médecins se sont mis en quarantaine chez eux.

Selon des éléments que nous avons recueillis auprès de nombreux praticiens, il y a eu peu de fermetures de cabinets, constatation confirmée par le président du conseil national, Dr Mohamadine Boubekri, joint au téléphone. La majorité d'entre eux déclarent être restés joignables au téléphone et fournir leurs conseils en attendant de trouver des équipements de protection.

De son côté, le président du conseil régional de l'ordre des médecins de Casablanca a publié sur son site, un courrier daté du vendredi 27 mars, adressé aux médecins exerçant dans la région et inscrits à l'ordre. Un courrier qui rappelle une disposition peu respectée mais réelle; le médecin qui doit fermer son cabinet doit déposer un dossier auprès du conseil de l'ordre puis, le jour où il décide de pratiquer de nouveau, obtenir l'autorisation de rouvrir, fusse pour des vacances, a fortiori par les temps qui courent.

Le conseil national et les conseils régionaux appellent les médecins à ne pas déserter leurs postes. Et c'est normal dans une situation d'urgence sanitaire.
Mais la question n'est pas simplement juridique ou éthique. Elle relève parfois de la pure panique: lorsqu'on reçoit, sans équipements de protection, sans masques, sans "charlotte", sans casaque à manches longues, sans visière, des malades présentant certains symptômes évocateurs, on peut s'inquiéter pour sa santé et celle de ses proches.

Le problème se pose d'ailleurs pour l'ensemble du personnel soignant et pas seulement pour les médecins de libre pratique. Nous consacrerons des articles au personnel soignant [héroïque] de la santé publique.

Dans les groupes de médecins sur WhatsApp ou les réseaux sociaux, plusieurs textes circulent. Des textes où les médecins paraissent révoltés, indignés. D'autres contactés au téléphone par Médias24 sont dans le même état d'esprit. Nous avons également reçu des témoignages spontanés par mails. Extraits.

Aucun soldat au front n’achète lui-même ses armes !

"Certains vont même jusqu’à écrire : un soldat n’abandonne pas le champ de bataille pour exprimer leur désapprobation. Même le conseil de l’ordre des médecins s’en mêle et brandit des « sanctions » avec des références légales très contestables sur le plan juridique. NON ! les médecins privés dans leur ensemble n’ont pas « abandonné le champ de bataille ». Nombreux d’entre eux ont été infectés par le coronavirus, ou ont été invités à se confiner volontairement car ils ont été en contact avec des patients Covid positifs. Certains d’entre eux travaillaient sans masques, parce qu’ils n’en ont tout simplement pas trouvé sur le marché. Pire, les prix ont flambé, à tel point que les masques FFP2 ont atteint le prix indécent de 90 DH la pièce. Quand on sait que pour se protéger valablement, il faut mettre un masque au patient, un au médecin et un autre à l’assistante pour espérer diminuer le risque, on imagine le désarroi du médecin. Du jamais vu. Aucun soldat au front n’achète lui-même ses armes ! J’ai personnellement acheté des casaques jetables à 65 DH pièce, auxquelles il faut ajouter le prix des charlottes, des gants jetables, de l’alcool, etc...," écrit un médecin.
"Les médecins libéraux n’ont pas pour vocation de faire les urgences en temps normal. La plupart d’entre eux ne sont pas formés pour faire face aux épidémies", poursuit la même source.

Il témoigne sur la détresses du médecin qui se retrouve seul face devant l'incertitude et le risque de contamination. Et rappelle que "les pays qui ont le plus souffert de cette épidémie, les médecins libéraux ont payé un lourd tribut à cette pandémie, et que la contamination de nombreux patients a eu lieu dans les structures sanitaires".

"Des médecins âgés et malades continuent à travailler car ils n'ont ni assurance maladie ni retraite"

"Tous les médecins libéraux du monde ont changé leur mode de travail depuis le début de l’épidémie. La plupart sont passés à la téléconsultation et à la consultation sur rendez-vous avec une sélection stricte des patients, et des circuits dédiés aux patients suspects. Les médecins allemands ont même installé des tentes devant les cabinets de médecins généralistes pour recevoir les patients suspects avec le minimum de danger pour eux-mêmes et pour les autres patients. Chez nous, ce genre de choses est impensable et la téléconsultation est encore balbutiante, ce qui ne nous empêche pas de passer notre journée à répondre gratuitement à nos patients en les encourageant à rester chez eux, notamment pour les patients âgés ou porteurs de tares pour qu’ils ne s’exposent pas à la contagion". 
"Il ne faut pas oublier aussi, que contrairement à ce qui se passe dans la fonction publique, beaucoup de médecins âgés et malades continuent à travailler malgré eux car ils n’ont ni assurance maladie, ni retraite. Je connais des confrères sous chimiothérapie qui continuent à travailler. Et on n’a pas le droit de demander à un médecin de 70, ou 75 ans, avec les pathologies de l’âge, de s’exposer au risque, sans aucune protection juridique. A moins que le pays ne déclare la mobilisation générale, ou l’état d’exception, personne ne peut obliger ces gens là à être en premières lignes, SAUF leur conscience et leur amour pour leur prochain et leur dévouement pour leurs pays, ce qui est le cas de beaucoup de confrères".

Le praticien rappelle également que les propriétaires des cliniques "ont mis leurs établissements à la disposition des autorités", au cas où les structures du public seraient dépassées.

Où sont vos actions pour anticiper la distribution des masques pour les médecins libéraux dès le début de l’épidémie

Dans une lettre ouverte au président du conseil national de l'ordre, un médecin écrit:

"Je vous rappelle monsieur que c’est notre engagement moral envers les patients qui nous pousse à travailler malgré le grand risque de contamination (...). 

"Monsieur le président : 

"1- où sont vos actions pour anticiper la distribution des masques pour les médecins libéraux dès le début de l’épidémie ? 

"2- où sont vos actions pour nous faciliter d’avoir le gel hydroalcoolique à notre disposition en signant une collaboration avec un laboratoire pharmaceutique dans ce sens ? 

"3 - où sont vos actions pour permettre aux médecins libéraux surtout ceux les plus exposés à avoir accès facilement au test de COVID 19 ? 

"4- où sont vos actions en faveur des jeunes médecins installés avec des charges mensuelles en cette période creuse ? 

"5- si un médecin libéral contracte cette infection, est-ce que le CNOM peut lui assurer une indemnisation ? "

"(...) Soyez dans l’action positive Monsieur le président et non pas dans la sanction, ce n’est pas l’école primaire. (...)

 

Dans un courrier adressé à Médias24, un lecteur écrit:

"(...) Vous l'avez vous vous-même évoqué sur l'un de vos articles : aucune distribution de matériel de protection n'a été constatée. Et quand bien même les médecins voudraient-ils s'en procurer par leurs propres moyens, la rupture de stock persistante les en empêche.

"Or que se passe-t-il lorsqu'un médecin est contaminé ?

"Non seulement il risque d'infecter ses patients (et l'on parle de contaminer des gens pendant 2, 3 voire 4 semaines avant constatation potentielle des symptômes) mais qui plus est, ces patients de par leur présence dans un cabinets sont forcément des individus à risques puisque déjà affaiblis par les raisons qui les poussent à aller consulter.

"Certes, les supermarchés, les bouchers ou les boulangeries sont des hubs à risques où il faut adopter un comportement prudent mais vous en conviendrez, il n'est pas d'environnement plus risqué que les organismes de santé aujourd'hui, quels qu'ils soient.

"Les médecins ont un devoir inéluctable envers leurs concitoyens et doivent répondre à l'appel, c'est indéniable. Tout comme l'est celui des forces de l'ordre qui répondent bravement à l'appel, équipés autant que faire se peut comme nous le voyons à travers les vidéos des différentes ville du Royaume.

"Néanmoins, négliger de mettre en place les moyens nécessaires à leurs protection revient à négliger la protection même de leurs patients et par là l'affaiblissement de la stratégie marocaine qui, je le répète, me semble plus consistante que celle de bon nombre de pays développés.

"Tout devoir implique des droits et inversement (...)".
 

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