Coronavirus : Droite et gauche pour le retour de l’Etat providence

Depuis l’apparition du coronavirus au Maroc, en dehors de l'Istiqlal, les partis politiques restent silencieux. Deux économistes, de la majorité et l’opposition, jugent les mesures économiques gouvernementales très insuffisantes et demandent le retour à l'Etat-providence.

Coronavirus : Droite et gauche pour le retour de l’Etat providence

Le 17 mars 2020 à 17h11

Modifié 11 avril 2021 à 2h45

Depuis l’apparition du coronavirus au Maroc, en dehors de l'Istiqlal, les partis politiques restent silencieux. Deux économistes, de la majorité et l’opposition, jugent les mesures économiques gouvernementales très insuffisantes et demandent le retour à l'Etat-providence.

Pour faire face aux retombées négatives du coronavirus sur plusieurs pans de l’économie marocaine, le comité de veille mis en place par le gouvernement s’est limité à suspendre le paiement des charges sociales et à accepter un moratoire sur le remboursement des crédits bancaires des entreprises, avec la condition d'un traitement au cas par cas.

Interrogés par Médias24 sur la pertinence de ces mesures, deux experts économiques de l’Istiqlal et de l’USFP, un parti d’opposition et l’autre de la majorité, ont dénoncé à l'unisson leur faible portée.

Chômage technique de très nombreuses personnes vulnérables

Pour Abdelatif Maâzouz, président de l’Alliance des économistes istiqlaliens, les mesures gouvernementales sont un bon début mais restent très insuffisantes pour faire face aux circonstances actuelles

"Dès le 7 mars dernier, nous avions proposé une première série de mesures et au moment où je vous parle, l’alliance est en train de travailler sur d’autres qui seront rendues publiques dès demain soit mercredi 18 mars.

"Ces mesures d’urgence sont destinées aux entreprises, aux ménages ainsi qu’aux personnes vulnérables au sens économique du terme.

"En effet, s’il y a des mesures qui pourront être prises pour aider les salariés et les entreprises, la situation actuelle va mettre de nombreuses personnes sur le carreau sachant qu'elles ne sont ni salariées ni affiliées à des régimes de prévoyance sociale.

"A partir de là, il convient donc de faire preuve de solidarité à leur égard", recommande l’ancien ministre.

Questionné sur les moyens de l’Etat pour aider les dizaines voire centaines de milliers d’employés de restauration, de cafés, de services touristiques, en chômage technique, qui ne bénéficieront pas d’indemnités ni de filet social, Maâzouz temporise en affirmant que l’Istiqlal travaille dessus et que des propositions appropriées seront faites demain.

Les grandes sociétés doivent mettre la main à la poche

"Si nous ne sommes pas aux manettes du pouvoir, cela ne nous empêche pas d’être une force de proposition pour alléger les souffrances actuelles et à venir de nos concitoyens.

"Je ne peux pas encore révéler le contenu de notre plan d’urgence mais en résumé, il se base sur la nécessité de créer un élan de solidarité non seulement du côté étatique mais aussi des grandes entreprises qui dégagent des milliards de dirhams de résultat net.

"C’est le cas de plusieurs sociétés (banques, télécoms, hydrocarbures, grande distribution, assurances …) habituées à brasser depuis de nombreuses années des gros bénéfices. Elles doivent mettre la main à la poche et se montrer solidaire avec leurs concitoyens qui sont aussi leurs clients et donc leur source de richesse.

"De plus, il ne faut pas oublier les citoyens aisés ou même de classe moyenne qui devront aider leurs prochains défavorisés (femmes de ménages, gardiens …) appelés peut-être à devenir chômeurs.

"Sans élan généralisé de solidarité et de générosité, il sera difficile voire impossible de dépasser la phase actuelle de cette crise inédite", avance l’économiste.

L’Istiqlal prépare d’autres mesures d’urgence

"Encore une fois, les mesures gouvernementales sont un bon début mais restent très insuffisantes.

"Selon l’Istiqlal, il faut commencer par décréter un moratoire fiscal et social, prévoir des indemnités pour perte d’emploi en faveur des bas salaires … mais au regard de l’évolution de la situation, nous allons présenter demain d’autres mesures basées sur des benchmarks et les particularités de la société marocaine", promet Maâzouz.

A la question importante de savoir si le budget actuel de l’Etat est en mesure d’indemniser tous les employés non déclarés qui se sont retrouvés au chômage technique, notre interlocuteur déclare: "A situation exceptionnelle, mesures et moyens financiers exceptionnels".

"Lorsque vous êtes malades, il y a des priorités ce qui implique souvent de renoncer à certaines choses pour pouvoir se soigner. En économie, c’est pareil et dans notre cas, ce constat est valable pour les arbitrages qui seront pris au niveau du budget de l’Etat.

L’Etat doit s’endetter pour financer les besoins des démunis

"Hormis les sacrifices budgétaires auxquels devront se soumettre certains départements ministériels, il y a aujourd’hui d’autres possibilités de financement avec notamment des organismes internationaux qui permettent d’obtenir des crédits sans intérêts.

"Il faut juste du courage et ne pas hésiter à recourir à ces moyens particuliers quitte à sortir des sentiers battus de l’orthodoxie budgétaire. D’ailleurs, pourquoi refuserait-on de s’endetter davantage alors que plusieurs grandes puissances l’ont fait récemment?

"En matière de courage, Sa Majesté le Roi a d’ailleurs pris les devants en réclamant la constitution d’un fonds d’urgence de 10 milliards de dirhams.

"Maintenant, nous nous devons de poursuivre cet élan en faisant contribuer tous les donateurs possibles", conclut l’économiste en ajoutant qu’au regard de la situation actuelle, "le Maroc ne sera ni le 1er ni le dernier à revenir à l’Etat-providence".

"2020 sera une année blanche voire de récession"

Très marqué à gauche en termes de politique économique, Tarik El Malki, membre du bureau politique de l’USFP, pense également que l’Etat marocain se doit de revenir à l’Etat providence.

"Tout comme mon confrère, je pense que les mesures techniques prises par le gouvernement sont un bon début mais largement insuffisantes au regard de l’évolution de la situation.

"Pour tâcher de contenir la crise liée au coronavirus mais aussi à la sécheresse qui se profile, il faudra prendre le plus rapidement des mesures d’envergure dont  le cadre d'une loi rectificative de Finances.

"Au Centre marocain de conjoncture, nos estimations provisoires laissent penser que le Maroc se dirige vers une année blanche voire de récession.

"S’il convient de rester prudent, il est probable que nous revenions à des performances économiques dignes des années 80-90", prévoit le directeur du CMC.

"Dépister massivement et traiter gratuitement"

Questionné sur les moyens médicaux publics pour soigner d'éventuelles dizaines de milliers de personnes infectés, El Malki pense que le fonds récemment créé par le Roi devrait, dans un premier temps, permettre de préparer le terrain sanitaire en améliorant la qualité des infrastructures. 

"Sachant que l’épidémie est bien présente au Maroc et qu’elle risque de s’accélérer dans les jours et semaines à venir, il faut que l’Etat multiplie en masse les tests de dépistage qui doivent être gratuits.

"Les pouvoirs publics doivent également assumer intégralement les frais de traitement à toutes les personnes qui présentent des symptômes du coronavirus et qui n’ont pas de couverture médicale.

"Au regard de la faible capacité litière des hôpitaux marocains, les cliniques privés et les hôtels doivent être réquisitionnés", réclame le directeur général de l’école de commerce ISCAE de Rabat.

Une politique de rationnement pour les démunis

Selon lui, les deux mesures gouvernementales annoncées le lundi 16 mars sont orientées uniquement vers les entreprises alors qu’il faut aussi soutenir le pouvoir d’achat des Marocains.

"Pour éviter la spéculation, l’Etat doit veiller à plafonner les prix des denrées alimentaires de première nécessité mais il doit aussi et surtout mettre en œuvre une politique de rationnement pour les plus nécessiteux.

"En effet, il n’est pas normal de voir certains Marocains sortir avec des chariots débordants de victuailles alors que d’autres ne savent même pas s’ils auront de quoi se nourrir ou nourrir leurs enfants au dîner.

"Si la faisabilité sera compliqué, l’Etat doit créer des tickets gratuits de rationnement qui allouent chaque semaine des denrées de base à une famille.

Problème d’identification des personnes dans le besoin

"La difficulté sera de savoir à qui distribuer ces bons sachant que la majorité des indigents ou nouveaux chômeurs techniques qui n’étaient pas déclarés ne figurent sur aucune liste de l’Etat.

"Quoi qu’il en soit, il faudra trouver des solutions très rapidement sans quoi la situation sera dramatique pour de nombreux supports de famille qui se retrouveront sans emploi alors qu'ils doivent nourrir leur famille.

"Que ce soit pour les aides gratuites alimentaires ou d’éventuelles indemnités de perte d’emploi, le problème sera identique pour identifier une population non déclarée à la CNSS.

"Le seul outil qui aurait pu être exploité pour recenser les démunis est le registre national unifié mais malheureusement, cette crise est venue trop tôt car il n’est pas encore finalisé et donc opérationnel.

"Au niveau sanitaire, ce sera moins compliqué car inscrit ou pas au RAMED par exemple, l’Etat se doit de tester et de prendre en charge les éventuels malades sans quoi on se retrouvera comme les USA qui laissent mourir ceux qui n’ont pas de couverture médicale.

Le moment ou jamais d’être solidaires pour les riches

"Sachant que l’on est dans une situation de quasi-guerre, les riches doivent contribuer comme viennent de le faire Othman Benjelloun (BMCE) ou Aziz Akhannouch (Afriquia) à travers leurs groupes.

"C’est le moment ou jamais de faire preuve de solidarité", réclame El Malki en ajoutant que le montant du fonds contre le covid 19 devra être augmenté pour faire face à la pauvreté qui va s’accélérer.

"N’ayant pas encore chiffré l’impact du chômage technique, personne n'est en mesure d’évaluer les besoins à venir mais il est sûr que ce fonds sera très vite insuffisant par rapport à la demande d’aide.

"10 milliards de dirhams, c’est c'est très bien pour traiter les urgences mais nous aurons peut-être très vite besoin de 10 fois plus", avance l’économiste qui ajoute que cette crise a montré l’utilité de l’Etat.

L’Etat-providence, de retour sur la planète

"L’impact du coronavirus sur notre économie a prouvé qu’il était primordial d’avoir un secteur public qui tienne  vraiment la route.

"Au Maroc, nous payons 30 ans d’ultralibéralisme avec un système médical défaillant. A partir de là, il faut retrouver un Etat protecteur car cette crise a montré que la régionalisation avait aussi de mauvais côtés.

"C’est notamment le cas de l’Italie qui a confié la gestion de ses services sanitaires aux régions qui n’ont fait qu’aggraver la crise actuelle et au final l’Etat central a perdu beaucoup de temps en intervenant trop tard. 

"Ce qui est incroyable, c'est qu'aujourd'hui on n'entend plus du tout les nombreux économistes qui hier encore dénonçaient le «trop d’Etat, l’Etat-intrusif».

"Désormais, droite et gauche de toute la planète s’accordent à dire qu’un virage vers l’Etat-providence s’impose plus que jamais", conclut l’économiste qui ajoute que cette crise aura eu le mérite de rabattre totalement les cartes de la gestion économique avec un retour en force des valeurs de solidarité pour protéger les plus démunis, hier encore négligés ….

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