Les privatisations, une fausse bonne idée?

Le processus de privatisation des entreprises publiques reprend avec des recettes prévues de 5 MMDH en 2019. S’il est vrai que l’Etat a besoin d’argent et que son portefeuille de participations nécessite une gestion active, la question se pose sur le choix des entreprises à céder, leur valorisation et le manque à gagner pour l’Etat en termes de bénéfices distribués.

Les privatisations, une fausse bonne idée?

Le 22 octobre 2018 à 14h53

Modifié 11 avril 2021 à 2h49

Le processus de privatisation des entreprises publiques reprend avec des recettes prévues de 5 MMDH en 2019. S’il est vrai que l’Etat a besoin d’argent et que son portefeuille de participations nécessite une gestion active, la question se pose sur le choix des entreprises à céder, leur valorisation et le manque à gagner pour l’Etat en termes de bénéfices distribués.

Le gouvernement prévoit des recettes de privatisations de l’ordre de 5 MMDH dans le PLF 2019. Le processus reprend donc après son arrêt en 2008. Une opération isolée a eu lieu en 2016, celle de l’introduction en bourse de 40% du capital de Marsa Maroc.

Au moins deux objectifs sont recherchés à travers la réactivation du processus:

Entamer la gestion active du portefeuille de participations de l’Etat: la gestion de ce portefeuille est critiquée, notamment par la Cour des comptes qui pointe du doigt la gouvernance, l’orientation stratégique, l’endettement et la contribution au budget de l’Etat des entreprises publiques. Le gouvernement s’y emploie actuellement.

Mobiliser des ressources supplémentaires dans un contexte de pression sur les finances publiques: le déficit budgétaire prévu dans le PLF 2019 est de 3,7% hors recettes des privatisations (3,3% en les intégrant), un chiffre supérieur à l’objectif des 3%.

>>Lire aussi: Le déficit budgétaire pourrait atteindre 3,8% du PIB en 2018

Outre ces objectifs, les privatisations ont un impact positif sur l’économie nationale:

Amélioration de la gouvernance et des rendements industriel et financier des entreprises concernées.

Augmentation des IDE.

Relance de l’investissement.

Dynamisation du marché des capitaux.

Malgré ces apports, le recours aux privatisations soulève plusieurs interrogations:

- L’Etat fait-il une bonne affaire en cédant des entreprises rentables ou qui ont le potentiel de le devenir ?

- Valorise-t-il correctement ces entreprises avant leur cession ?

- Pourquoi n’améliore-t-il pas lui-même la gouvernance de ces entités pour profiter de leurs bénéfices ?

Maroc Telecom: un manque à gagner de 20 MMDH depuis la première ouverture du capital

Prenons deux exemples pour analyser les impacts positifs et négatifs des privatisations: Maroc Telecom et Marsa Maroc.

La privatisation de Maroc Telecom a démarré en 2001 :

- Cession en 2001 de 35% du capital à Vivendi pour 23,3 MMDH.

- Cession en 2004 de 14,9% du capital à la Bourse de Casablanca et celle de Paris pour 8,9 MMDH.

- Cession en 2005 de 16% supplémentaires à Vivendi pour 12,4 MMDH.

- Cession en 2006 de 0,1% du capital sur le marché boursier casablancais.

- Cession en 2007 de 4% du capital à des investisseurs institutionnels marocains via placement privé pour 4 MMDH.

A l’issue de ce processus, l’Etat avait cédé 70% du capital de Maroc Telecom. Montant des recettes: plus de 48 MMDH. Une somme importante qui a permis de renforcer le budget de l’Etat et de dynamiser les investissements publics.

Les 48 MMDH représentent-ils la juste valeur de 70% du capital de l’opérateur historique ?

Lors de son introduction en bourse en 2004, l’action IAM a été cédée à 68,25 DH. Un peu plus d’un an plus tard, soit avant que l’opérateur ne change de dimension (internationalisation), le titre valait 140 DH (avril 2016). Deux ans après, il atteignait 212 DH (mai 2008). Actuellement, il s’échange à 144 DH.

Le prix de cession a-t-il été bradé ? Certes, après le démarrage du désengagement de l’Etat du capital d’IAM, le secteur des télécoms a connu une véritable révolution avec le développement de l’internet haut débit et du mobile. Révolution qui s'est traduite par une croissance à deux chiffres de l’activité et donc une envolée du cours en bourse. Mais était-ce difficile d’intégrer ces prévisions de croissance dans la valorisation de l’opérateur ?

L’Etat s’est également désengagé d’une véritable machine à cash. Maroc Telecom est une entreprise qui a commencé à distribuer d’importants dividendes depuis l’entrée de Vivendi dans son capital. Elle verse 100% de son bénéfice annuel à ses actionnaires.

Alors que les bénéfices distribués ne dépassaient pas 1 MMDH par an avant 2001, ils sont passés 2,5 MMDH en 2002, à 5,1 MMDH en 2003 pour culminer à 9,5 MMDH en 2008.

Au total, Maroc Telecom a distribué 103,9 MMDH de dividendes à ses actionnaires entre 2002 et 2017, dont un peu plus de 35 MMDH à l’Etat et 68,6 MMDH à Vivendi (qui a vendu sa part à Etisalat en 2013), aux institutionnels et aux petits porteurs.

Bilan: 83,8 MMDH pour l’Etat depuis 2001 (48,6 MMDH pour les cessions et 35,2 MMDH pour les dividendes). Soit 20 MMDH de moins que les 103,9 MMDH de dividendes qu’il aurait entièrement encaissés s’il était resté actionnaire à 100%.

Bien entendu, rien ne garantit que Maroc Telecom aurait connu le même développement s’il était resté propriété de l’Etat: internationalisation, innovation, bonne gouvernance… Mais ça ne peut constituer une excuse, une entreprise publique doit être gérée avec les meilleurs standards du secteur privé.

Devait-on privatiser pour libéraliser le secteur des télécoms (arrivée de Méditelecom puis de Wana Corporate) ? Il faut savoir que l’Etat est toujours présent dans des secteurs concurrentiel sans que cela ne pose un problème: banques, assurances, immobilier…

Et puis la privatisation n’a pas permis de résoudre les problèmes de concurrence dans le secteur. La preuve, le litige opposant Maroc Telecom et inwi sur le partage des infrastructures.

Marsa Maroc, vendue à 65 DH l'action, valorisée actuellement à 182 DH

L’autre exemple est celui de Marsa Maroc, introduite en bourse en juillet 2016 par la cession de 40% du capital au prix de 1,93 MMDH.

L’action de Marsa Maroc a été valorisée à 65 DH lors de la cession. Six mois après son inscription à la cote, son cours avait plus que doublé pour atteindre 136 DH. Il a ensuite franchi de nouveaux paliers pour frôler les 200 DH, avant de descendre au cours actuel de 167 DH.

La question de la valorisation se pose sérieusement. En six mois, les perspectives, la dimension et la stratégie d’une entreprise changent rarement. Si le cours d’une action s’envole juste après son introduction en bourse, cela signifie que le niveau de la décote offerte lors de sa cession était important.

>>Lire aussi: L’Etat a-t-il perdu 2 milliards de DH dans l'opération Marsa Maroc?

On peut attribuer en partie les niveaux de cours atteints en bourse à l’effet spéculation. Sauf que les analystes qui se basent sur les fondamentaux économiques et financiers confirment que les cours actuels sont largement justifiés.

Récemment, CFG Capital Markets a même qualifié Marsa Maroc d’entreprise sous-évaluée compte tenu de son multiple de valorisation (valeur d’entreprise / cash-flows) qui est de 9 fois en 2018 contre une moyenne à l’international de 9,5 fois. Ses analystes valorise l’action à 182 DH.

Marsa Maroc est également une entreprise généreuse en termes de dividendes. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle elle est plébiscitée par les investisseurs institutionnels. En 2016, elle a distribué 785 MDH. En 2017, plus de 587 MDH. Au cours de ces deux années, près de 550 MDH ont profité aux investisseurs, donc échappé à l’Etat. Ce qui représente plus de 28% du prix encaissé lors de la cession.

Sur les années à venir, les analystes s’attendent à ce que Marsa Maroc adopte une politique de distribution de dividendes encore plus généreuse compte tenu de ses perspectives de croissance.

Les produits des participations de l'Etat se tassent

Finalement, la gestion active du portefeuille des participations de l’Etat, et les opérations de privatisation qui peuvent en résulter est nécessaire, elle est même bénéfique au budget et à l’économie. A condition de savoir de quels entités se désengager, à quel prix et s’il y a possibilité d’améliorer la gouvernance, le rendement et les investissements sans recourir à la vente.

La Cour des comptes recommande à l’Etat de sortir des secteurs concurrentiels. Un avis que tout le monde ne partage pas. Avoir un Etat stratège et régulateur est certes la priorité, mais ces vocations peuvent se concilier avec celle de l’Etat actionnaire qui investit non seulement dans les secteurs sociaux et les services que les opérateurs privés ne peuvent ou ne veulent assurer, mais aussi dans des activités rentables qui peuvent constituer une source de financement des programmes sociaux.

Les produits des participations de l’Etat demeurent limités: 9,8 MMDH en 2018 après un pic de 13,3 MMDH en 2013. Pour 2019, le gouvernement prévoit 11,4 MMDH.

Le nombre des principaux contributeurs est limité: Conservation foncière, OCP, Maroc Telecom, Marsa Maroc, Bank Al-Maghrib, CDG

 

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