Cancer: Un appel d'offres du ministère de la Santé suscite des interrogations

Le ministère de la Santé publique a lancé un appel d’offres pour acquérir des médicaments destinés à ses 12 centres d’oncologie. La pathologie concernée (le cancer), tout comme les montants élevés et les choix thérapeutiques attirent l’attention sur l’évolution de la santé vers des médicaments innovants coûteux et vers la nécessité d’arbitrages fins dans l’intérêt du malade et du budget public.

Cancer: Un appel d'offres du ministère de la Santé suscite des interrogations

Le 9 septembre 2018 à 15h08

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

Le ministère de la Santé publique a lancé un appel d’offres pour acquérir des médicaments destinés à ses 12 centres d’oncologie. La pathologie concernée (le cancer), tout comme les montants élevés et les choix thérapeutiques attirent l’attention sur l’évolution de la santé vers des médicaments innovants coûteux et vers la nécessité d’arbitrages fins dans l’intérêt du malade et du budget public.

Dans les années à venir, on s’attend à une accélération de la production de biomédicaments dans le monde. Ils représentent déjà 25% du marché du médicament en France et dans quelques années, cette part sera de 50% dans les pays développés.

Les biomédicaments sont des médicaments de nouvelle génération. Leur production recourt aux ressources d’organismes vivants, telles que les gènes, les anticorps ou l'ADN. Ils permettent de combattre d’une manière ciblée et personnalisée, des affections invalidantes, graves ou mortelles, telles que des maladies auto-immunes ou des cancers.

Ce sont des médicaments qui ne ciblent pas la maladie mais le patient, dont ils boostent par exemple le système immunitaire.

Le problème, c'est que ces produits coûtent cher.

Et comme le dit l’adage, "la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût".

Au Maroc, l’intérêt pour l’économie de la santé ne date pas d'aujourd'hui. Il devrait être amplifié par les défis que rencontre la santé publique. De la part de la population, on constate une demande élevée, un niveau d’exigence légitime et un déficit indéniable dans la qualité des prestations et dans la couverture de la population.

Feu Abderrahim Harouchi, ministre de la Santé, répétait souvent qu’avant d’augmenter le budget, il fallait combattre la non-qualité.

Tout cela pour dire qu’en matière de santé publique, chaque décision doit être “pesée avec œufs de fourmis“, comme disait un illustre soviétique.

Choisir la bonne thérapie, un dilemme

Le ministère de la Santé publique dépense 2 milliards de DH par an en médicaments.

Entre 2013 et 2016, la part du générique est passée de 30% à 39%. Dans le cas de l’hépatite par exemple, le Maroc a lancé ses propres génériques, en un laps de temps record, ce qui est remarquable.

L’objectif d’une politique publique d’achat des médicaments n’est pas de faire des économies budgétaires. Pour mieux traiter, il faut apprendre à mieux dépenser.

Le nouvel appel d’offres pour l’acquisition de médicaments d’oncologie est un bon exemple pour illustrer ce débat qui va devenir essentiel au Maroc.

L’ouverture des plis de l’Appel d’offres n°10/2018/DA/CS/MDT/ONCO est programmée pour le 18 septembre 2018. Le montant global estimatif est de 127 MDH, soit plus de 6% du budget annuel d’achat de médicaments de la santé publique.

Dans l’appel d’offres, il y a des biomédicaments. Le plus visible d’entre eux est l’Herceptin du laboratoire suisse Roche. Il s’agit d’un médicament remarquable contre certains cancers du sein, avec ou sans métastases.

Ce biomédicament est disponible au Maroc. Les autorités sanitaires marocaines ont par ailleurs accordé à son biosimilaire (*), Hertraz (de la multinationale Mylan), son AMM (autorisation de mise sur le marché) dès janvier 2017, bien avant de nombreux pays.

Hertraz a un prix nominal 40% moins élevé que la molécule d’origine qui est l’Herceptin.

Malgré cela, l’appel d’offres du ministère de la Santé consacre 41,9 MDH à l’acquisition d’Herceptin et seulement 10,5 MDH à l’Hertraz.

L’explication de ce choix va illustrer toute la complexité des prises de décisions d’achat, ainsi que la nécessité de mener des réflexions scientifiques et économiques, transparentes et publiques, sur les meilleures pratiques thérapeutiques dans les cas similaires. Car il y a un gros enjeu de santé publique. L’enjeu deviendra encore plus important dans les prochaines années.

L’explication du ministère

Contactée par nos soins, une source proche du ministère de la Santé nous a fourni cette réponse:

“C’est une question de présentation et de dosage. L’Herceptin propose une forme d’injection sous-cutanée (**) facile à utiliser, plus confortable et ne nécessitant pas le recours à des chambres implantables chères et compliquées à poser et à gérer.

“L’injection sous-cutanée est réalisée facilement en ambulatoire et évite les hospitalisations longues pour des cures parfois mal tolérées.

“En termes de comptabilité analytique et en tenant compte des coûts, c’est aussi plus économique.  Autant d’avantages que le biosimilaire n’offre pas.

“Nous prenons en même temps une bonne quantité de forme intraveineuse chez le biosimilaire au cas où l’injection sous-cutanée est contre-indiquée“.

Des avis partagés

Cette explication n’est pas totalement partagée par les milieux concernés. Deux interlocuteurs scientifiquement inattaquables, dans deux CHU du Maroc, critiquent en partie ces propos. Voici en substance les réponses de ces deux interlocuteurs joints par Médias24:

“-Il est faux de dire que l’Herceptin est administré en ambulatoire mais uniquement en milieu hospitalier et sous contrôle médical.

“-Il est souvent donné en association avec une chimiothérapie, donc la pose de la chambre est réalisée dans la majorité des cas.

“-Les deux protocoles nécessitent la pose d’une chambre : toujours pour l’Hertraz, souvent pour l’Herceptin.

“-La forme sous cutanée fait gagner du temps dans la gestion des fauteuils de chimiothérapie. On va gagner un roulement des fauteuils de deux ou trois malades au lieu de passer un seul malade pour le même laps de temps.

“-L’injection intraveineuse nécessite un contrôle et un suivi. Elle est moins pratique. Certains effets secondaires s’en trouvent réduits.

“-Opter pour l’un ou pour l’autre, nécessite un calcul des coûts directs et indirects et de la rotation des fauteuils.

“-Pour nos commandes, nous voulons toujours avoir les deux produits, ne serait-ce qu’en raison de la différence de dosage.

“-Effectivement, la différence de prix peut permettre d’acheter des médicaments supplémentaires, pour d’autres pathologies“.

Ce genre de décisions doit être précédé, pour chaque protocole thérapeutique, de la confection de guidelines, de réunions scientifiques de consensus, car l'enjeu est majeur. Comme pour l'appel d'offres de médicaments contre l'hépatite C fin 2017 et qui a été retiré depuis.

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(*) Un médicament biosimilaire n’est pas le générique d’un biomédicament.

Le générique est identique puisque la molécule active est la même que la molécule chimique d’origine (du princeps).

Par contre, le biosimilaire est “similaire“, pas identique, au biomédicament d’origine. Il s’agit en effet d’un médicament issu de ressources du vivant, donc il peut y avoir des variations dans les procédés de production. Ces variations sont acceptées si l’efficacité est prouvée.

En France, on l’appelle médicament biosimilaire. Au Canada, “un produit biologique ultérieur“. Aux Etats-Unis, on parle de “Follow on biologics“.

(**) Les biomédicaments sont administrés en injections (sous-cutanée, intraveineuse ou intramusculaire) car ils sont rapidement détruits par l’appareil digestif en cas d’administration par voie orale.

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