Entretien. Bochra Bel Haj Hmida, Madame réforme de l'héritage en Tunisie

Le 13 août 2018, le président tunisien Beji Caïd Essebsi a annoncé un projet de loi instaurant l'égalité successorale entre les hommes et les femmes. La commission qu'il avait constituée un an auparavant, composée d'intellectuels libéraux, de juristes, de militants, a été présidée par Bochra Bel Haj Hmida, avocate, députée et militante des droits humains et des droits de la femme. Médias24 l'a interviewée. Voici.

Entretien. Bochra Bel Haj Hmida, Madame réforme de l'héritage en Tunisie

Le 30 août 2018 à 15h48

Modifié le 11 avril 2021 à 2h48

Le 13 août 2018, le président tunisien Beji Caïd Essebsi a annoncé un projet de loi instaurant l'égalité successorale entre les hommes et les femmes. La commission qu'il avait constituée un an auparavant, composée d'intellectuels libéraux, de juristes, de militants, a été présidée par Bochra Bel Haj Hmida, avocate, députée et militante des droits humains et des droits de la femme. Médias24 l'a interviewée. Voici.

Médias24: Après l'annonce du président, quelle sera la prochaine étape?

Bochra Bel Haj Hmida: Comme il l’a promis, le président va présenter un projet de loi à l’Assemblée. Ce sera à l’Assemblée de décider bien sûr, après des discussions au niveau de la commission.

- Ce projet de loi a-t-il vraiment des chances d'être voté?

-Je crois qu’il a beaucoup de chances, beaucoup...

-Il est également question d'un code des libertés individuelles et droits individuels...

-Le président a parlé d'un projet de loi concernant l’héritage. La commission lui a présenté également un projet de code des libertés et des droits individuels. Il en a parlé dans son discours du 13 août, sans dire s’il allait le présenter au parlement ou si c'est le gouvernement ou un parti qui le présenteraient.

-Qu’en est-il pour les Tunisiens non musulmans? Les juifs par exemple…

-Il n’y a pas un empêchement légal au sujet de la succession entre non-musulmans. Donc la loi devrait être appliquée, si elle est adoptée, à tous sans exception.

-Ce sera donc l'égalité successorale sauf s'il y a un choix différent effectué par la personne concernée...

-Dans l’état actuel de la législation, l’inégalité est la règle.

Ce que nous voulons, c'est que l’égalité devienne la règle et l’inégalité l’exception.

Si on n’est pas d’accord, on a le droit de prendre ses précautions avant son décès et d'indiquer que l'on opte pour l'ancien système.

Jusqu'à présent, il n'y avait que les donations pour contourner l'inégalité. Les donations avaient été encouragées en Tunisie par l'exonération des droits d’enregistrement.

-L’argumentaire du président se base sur une lecture de la Constitution tunisienne*, les articles 2 et 20*, en passant sous silence l'article 1er et le préambule*. Il a tranché, il a interprété la Constitution en affirmant que la Tunisie est un Etat civil.

-C’est le cas. La Tunisie est un Etat civil. Et le projet tient compte de l’article 1er puisque ceux qui ne sont pas d’accord auront le droit de rester dans l’ancien système.

-Si vous arrivez à obtenir un vote favorable au projet de loi, c’est une déclaration de laïcité en fait...

-C'est un processus. Je dirais que c’est plutôt la consécration de l’article 2*. C’est-à-dire aujourd’hui, il faut que nous soyons clairs sur le fait que l’Etat tunisien est civil. Et que les lois ne peuvent être que civiles et produites par les humains.

-En fait, votre démarche revient à dire que la loi est autonome, elle est le produit des humains et du contexte de l’époque. C’est l’autonomie de la loi que vous consacrez.

-Voilà. C’est un renforcement continu de la modernité.

Il y a une grande question dans le monde arabe, celle de la relation entre la modernité et l'Islam. Est-ce que la modernité est en contradiction avec la religion ou pas ? il y a même des penseurs tunisiens qui disent il n’y a pas de modernité sans islam. D’autres disent il n’y a pas d’islam sans modernité. Et il y a bien sûr plusieurs autres courants.

On ne peut pas réduire l’islam à une seule interprétation, ce serait faire preuve d’étroitesse d’esprit.

Donc ce qu'il me paraît important, c’est de dire qu’aujourd’hui, nous sommes dans une Constitution qui consacre le caractère civil de l’Etat, nous y allons, nous continuons, cette initiative n'est pas une rupture, c'est une continuité dans un processus. Le code du statut personnel de 1956 était un fondement de l’Etat civil. Aujourd’hui, nous sommes sur cette voie.

Nous sommes donc plutôt dans  la consécration de l’article 2 (*) qui lui-même est dans la continuité de l’Etat moderne, adapté à l'évolution de la société et à l’aspiration des humains à faire reconnaître leurs droits légitimes.

-Comment la commission a-t-elle travaillé ?

-Dès le premier jour, nous avons constitué un comité de suivi, et je tiens à lui rendre hommage, car il a fait tout le travail juridique et même logistique de coordination, logistique, rédaction, impression…

A chaque pas ou presque, il y avait des débats.

La question la plus importante, dès le début, était une question de principe, de concept, qui allait déterminer la suite:  fallait-il se diriger vers des propositions consensuelles ou aller dans les droits humains  indépendamment de la conjoncture politique ?

Finalement, nous avons choisi la seconde option. Nous savions que ce serait difficile, que certains seraient choqués, la question des droits humains et de leur portée a toujours été la question difficile, c’est un débat qui existe partout dans le monde arabe.

Nous avons choisi la voie la plus difficile, celle de passer par les droits humains tels qu'ils ont été adoptés, tels que nous interprétons la Constitution, c'est-à-dire la fin de toute forme de discrimination et l’égalité totale au niveau des libertés individuelles.

A partir du moment où nous avons fait le choix d’avoir une démarche uniquement "droitdelhommiste", la voie était claire, avec quelques divergences normales et naturelles au sein d’un groupe. Nous sommes allés jusqu’au bout de la logique droitdelhommiste, de l’égalité, de la suppression des discriminations, des libertés individuelles, et ce dans tous les domaines. Dès lors que nous avions choisi cette voie, on ne pouvait pas faire de concessions, choisir ceci plutôt que cela, tenir compte de ce qui peut choquer ou pas, et nous avons laissé les politiques trancher et décider.

Il y aussi le travail de la société civile tunisienne, comme cela se passe d’ailleurs au Maroc.

Ce que je trouve extraordinaire, c’est que le féminisme de l’Etat et le féminisme autonome, de la société civile, se rejoignent, ça donne cette synergie que je trouve personnellement très intéressante.

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(*) La Constitution tunisienne est le résultat de compromis entre les deux camps. Celui de la tradition libérale tunisienne et celui des conservateurs menés par les islamistes du parti Ennahdha. Les termes islam, identité islamique, Etat civil, Ummah, droits de l'homme, valeurs universelles, y cohabitent. Le texte intégral peut être consulté ici.

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