Législatives. PJD: un électorat massivement urbain, une nouvelle stratégie rurale, un réseau caritatif

ENTRETIEN. L’analyse ci-après porte essentiellement sur l’électorat et la stratégie du PJD entre 2007 et 2011, ainsi que son score aux précédentes législatives et une tentative de définir une typologie de son électorat. Des constats qui éclairent le présent.

Législatives. PJD: un électorat massivement urbain, une nouvelle stratégie rurale, un réseau caritatif

Le 25 septembre 2016 à 14h21

Modifié 11 avril 2021 à 2h38

ENTRETIEN. L’analyse ci-après porte essentiellement sur l’électorat et la stratégie du PJD entre 2007 et 2011, ainsi que son score aux précédentes législatives et une tentative de définir une typologie de son électorat. Des constats qui éclairent le présent.

David Goeury travaille sur les élections marocaines depuis plusieurs années, dans leurs dimensions géographiques, territoriales et sociologiques. Ce chercheur français du laboratoire ENeC de Paris-Sorbonne, docteur en géographie, est installé à Rabat, où il est professeur en classe préparatoire.

Son travail sur les élections marocaines s'inscrit dans sa participation au programme Procelec, "Processus électoraux en Afrique du Nord: recherche comparative en géographie et en sociologie (Égypte, Maroc, Tunisie)".

"Ce projet vise à comprendre les processus liés à la transition démocratique en Afrique du Nord, à travers l’analyse électorale. Le croisement des approches de la géographie et de la sociologie électorales permettra d’éclairer les clivages profonds des sociétés de la région, en particulier lorsque ceux-ci ont une dimension territoriale. S’appuyant sur des recherches en analyse électorale menées en Tunisie, au Maroc et en Egypte, et confrontant les approches et les méthodes mobilisées par les équipes associées, le projet vise à développer un cadre d’analyse permettant d’appréhender et de comparer les formes que prennent les processus électoraux et la transition politique dans la région".

Au cours d'un atelier sur la sociologie électorale et les territoires organisés au Centre Jacques Berque à Rabat, vendredi 23 septembre, David Goeury a exposé quelques unes des conclusions de ses travaux, notamment sur les élections marocaines de 2007, 2009 et 2011. Ci-dessous, une interview du chercheur. Nous publions par ailleurs un résumé très succinct de son intervention.

Les travaux marocains dans le cadre du projet Procelec comprennent différentes phases, dont les analyses des résultats des élections depuis 1963 (travail colossal de l'association Tafra dont nous parlons par ailleurs), ainsi qu'une enquête "à vocation qualitative" auprès de 500 électeurs potentiels dans 5 quartiers urbains à Marrakech, Tiznit, Rabat, Agadir et Inezgane.

Ces croisements et rapprochements, ainsi que les travaux de Tafra dans le cadre de l'Afrobaromètre, ont permis de confirmer des hypothèses, des mécanismes, des profils récurrents et d'aboutir à une certaine lecture sociologique et territoriale des élections. Les auteurs ne fournissent aucune clé politique et ne vont pas sur ce registre. Ils mettent simplement à la disposition du public des données qui sont le fruit de leurs recherches.

Parmi les conclusions de ces études, on apprend que l'électorat du PJD est "massivement urbain", que l'enjeu et les mécanismes sont complètement différents dans les zones rurales ou à dominante rurale et dans les grandes villes (ou grandes préfectures), que les couches les plus précaires ne votent pas, que l'abstention continue à progresser d'élection en élection et que ce sont les couches moyennes, et même médianes qui votent d'abord PJD. Le plus grand parti du Maroc sont les abstentionnistes, répète David Goeury.

David Goeury, docteur en géographie, chercheur, travaille sur les élections marocaines depuis plusieurs années

Médias 24: Votre étude s'arrête aux chiffres de l'élection 2011, et là vous vous demandez si, entre 2011 et 2016, le PJD va pouvoir sortir de ses fiefs urbains pour aller vers la campagne?

David Goeury: En fait, c'est en 2007 que le PJD a pris conscience véritablement des limites de sa première stratégie, qui était une stratégie progressive de limitation de la couverture territoriale.

Sa défaite de 2007, où il est arrivé second derrière l'Istiqlal en nombre de sièges a été analysée comme le reflet de sa faiblesse dans les zones rurales.

Dès 2008, lors de la législative partielle dans la circonscription d'Azilal Bzou, on perçoit sa volonté d'aller sur ce terrain.

Il y a eu au final très peu de voix pour le PJD (moins de 2.000 voix sur plus de 60.000 suffrages exprimés, soit à peine 3%). A Zaouiat Ahansal par exemple, il a obtenu une dizaine de voix sur 10.000 électeurs potentiels. Des militants PJD présents sur le  terrain m'expliquent que ce n'est pas un échec: "notre objectif était de connaître, étudier, identifier des candidats qui pourraient ultérieurement se présenter et servir de relais".

Ainsi, en 2009, ils ont réussi à présenter des candidats dans cette commune extrêmement enclavée et à obtenir 12% des sièges.

Cette stratégie a été poursuivie avec une présence croissante sur le  terrain. Au cours des différentes crises sanitaires, comme celle qui a touché les Ayt Abdi en 2009, il y a eu une grande implication du PJD sur le terrain, associant une délégation politique et une aide caritative. En 2011, le parti a atteint les 6% et a continué ses efforts tout au long du mandat.  A titre d'exemple, une caravane organisée par la jeunesse du PJD est d'ailleurs interdite en 2013 par le ministère de l'Intérieur, car jugée trop politisée.

Lors des élections de 2015, nous avons observé la même chose à Tata: le PJD s'est rapproché de conseillers communaux et municipaux sortants, qui s'étaient présentés en 2009 sous les couleurs de l'USFP. Ainsi, le parti a obtenu 76  élus répartis dans 16 des 20 communes de la province, devenant le deuxième parti à égalité avec l'Istiqlal, derrière le RNI. Il est par ailleurs désormais à la tête de la commune urbaine de Tata.

Désormais, le parti dispose de relais sur l'ensemble du territoire pour mener la campagne de 2016.,

Enfin, en 2015, le PJD a également pris la tête du conseil régional  de la région du Drâa-Tafilalet et s'est ainsi doté d'une nouvelle légitimité beaucoup plus rurale.

Cliquer sur les cartes pour les agrandir

L'électorat PJD aux élections de 2011 se concentre d'abord dans les agglomérations urbaines.

Les 4 cartes (ci-dessus et ci-dessous) montrent la forte corrélation entre le vote PJD et l'abstention.

L'abstention comme le faible taux de participation profitent diretement au PJD.

-Pour résumer, ce qui est certain c'est que jusqu'à 2011, le PJD avait un électorat massivement urbain, dans les grandes préfectures d'abord. Depuis, le parti a une stratégie pour sortir des villes, on doit attendre cette année pour savoir s'il a réussi à en sortir et dans quelle mesure.

-En 2007, il constate les limites de sa stratégie. De 2008 à 2011, il a  travaillé  à s'implanter en milieu rural, il est arrivé en tête dans quelques provinces plus rurales comme Sidi Ifni et se positionne en seconde position à Khemisset. En 2015, il a étendu son réseau politique grâce à des élus locaux. En 2016, il va essayer de prolonger cette dynamique. D'ailleurs, il est l'un des rares partis à couvrir toutes les circonscriptions avec l'Istiqlal et le PAM..-Lorsqu'on vous écoute, on est étonné de voir à quel point le poids que l'on prête au PJD est relativisé. Parce que vous raisonnez sur la totalité du corps électoral.

-C'est une erreur d'analyse, qui pose même des problèmes éthiques, que de raisonner sur les seuls votants et encore plus sur les seuls suffrages valides, et exprimés pour un parti politique.

On doit tenir compte des abstentionnistes, qui attestent d'une très forte inadéquation entre l'offre partisane et la demande citoyenne, surtout au Maroc.

Il n'y a qu'un million de Marocains qui s'est exprimé pour le PJD en 2011 sur 20 millions d'électeurs potentiels. 95% des électeurs potentiels marocains n'adhéraient pas au PJD, n'ont pas voté pour lui, alors que ce parti est largement arrivé en tête aux élections de 2011.

Le premier parti marocain, ce sont les abstentionnistes: en 2011, 5 millions de Marocains n'étaient pas inscrits sur les listes électorales, plus de 8 millions étaient inscrits mais n'ont pas voté et surtout, 1,3 million de Marocains se sont inscrits sur les listes électorales, puis se sont déplacés dans les bureaux de vote pour voter blanc ou nul, soit 300.000 de plus que ceux qui ont accordé leur confiance au PJD.

-Dans quelle mesure le PJD utilise-t-il des réseaux religieux, de prédication, caritatifs...?

- Il ne faut pas associer le PJD à la religiosité des Marocains. Toutes les enquêtes démontrent qu'il n'y a pas de corrélation, car l'écrasante majorité des Marocains distinguent clairement la pratique religieuse de l'engagement partisan.

En fait, en matière de prédication, le PJD s'appuie avant tout sur le MUR (Mouvement de l'Unicité et de la Réforme).

Il touche essentiellement des individus ayant un niveau d'études au moins secondaire, voire supérieur. Ce mouvement de prédication s'adresse massivement à des étudiants à un moment clé de leur socialisation politique, lorsqu'ils débutent leurs études supérieures.,

Le PJD s'appuie également sur un fort réseau caritatif.

Cependant, les études ont montré que ce n'est pas parce que ces personnes en situation précaire ont bénéficié de cette aide qu'ils vont mécaniquement s'inscrire dans les listes électorales et voter pour le PJD. L'influence se fait d'une manière indirecte.

Ces associations réunissent de très nombreux jeunes militants associatifs qui eux vont être extrêmement mobilisés pour la campagne électorale.

En effet, ce soutien fort du PJD à ces structures associatives et sa relation étroite avec ces mouvements de prédication sont plutôt des moyens d'entretenir une mobilisation militante, qui dépasse celle du parti, grâce à un réseau beaucoup plus vaste de bénévoles.

Par ailleurs, cela va surtout légitimer le programme du PJD comme étant un programme proche des préoccupations des plus pauvres et qui s'inscrit aussi dans une certaine dimension morale. Par exemple, sur le terrain, on voit bien qu'il y a une sélection du type de bénéficiaire final de l'aide, dans le cas des mères avec enfants en bas âge: ce ne sont pas des filles mères ou des jeunes femmes divorcées, mais des veuves qui sont aidées en priorité.

Au final, il est possible de parler d'un double ciblage: toucher et aider les plus précaires ne les fera pas systématiquement voter pour le parti, mais cela aura un impact fort sur le coeur de la cible électorale du PJD que sont les classes moyennes urbaines. Cette stratégie permet de légitimer le PJD auprès de cette catégorie clé, en le différenciant des partis de gauche qui ne sont pas associés systématiquement à des associations caritatives.

Pour résumer, le PJD touche les démunis pour remporter les suffrages de la classe moyenne.

Par ailleurs, dans ces associations proches du PJD, il y a énormément de jeunes militants, extrêmement mobilisés. A titre de comparaison, dans les associations culturelles, notamment amazighes, le noyau militant constamment mobilisé est assez restreint, 5 ou 6 personnes autour des quelles gravitent au gré des événements plusieurs dizaines de jeunes.

Ici, dans le cas de ces associations caritative proches du PJD, ce sont souvent plusieurs dizaines de personnes qui sont constamment mobilisées, à même de toucher plusieurs centaines d'individus.

Cela joue un rôle déterminant lors du vote, c'est pourquoi le PJD est l'un des rares partis qui arrive à mobiliser des électeurs urbains dans des circonscriptions où l'abstention est la règle.

Ci-dessous, feuilletez les cartes de David Goeury

carte
(Cliquer sur l'image pour lire les slides et les feuilleter)

 

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

AD CAPITAL Asset Management: AD YIELD FUND Rapport du commissaire aux comptes exercice du 1er Janvier 2023 au 31 Décembre 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.