“Protéger le salarié plutôt que l'emploi”: le Nobel Jean Tirole appelle à réformer le travail

Le prix Nobel d'économie Jean Tirole reconnaît l'impopularité de la loi El Khomri, mais appelle, dans un entretien à l'AFP, à "faire de la pédagogie" pour réformer le marché du travail, en protégeant le salarié, plutôt que l'emploi.

“Protéger le salarié plutôt que l'emploi”: le Nobel Jean Tirole appelle à réformer le travail

Le 28 mai 2016 à 15h01

Modifié 28 mai 2016 à 15h01

Le prix Nobel d'économie Jean Tirole reconnaît l'impopularité de la loi El Khomri, mais appelle, dans un entretien à l'AFP, à "faire de la pédagogie" pour réformer le marché du travail, en protégeant le salarié, plutôt que l'emploi.

QUESTION: Dans votre livre "Economie du bien commun" (PUF), pourquoi dites-vous que le chômage est un choix de société?

REPONSE: "Nos institutions non seulement créent du chômage, mais aussi du mal-être. Comme les emplois disponibles sont des CDD, un CDI reste à son emploi, même s'il ne le satisfait plus. (...) La France est 129e au monde du point de vue du bien-être au travail. Les gens sont bloqués dans leur emploi; or, il est normal dans la vie de changer de travail, mais c'est très difficile en l'absence de créations d'emplois à durée indéterminée.

Avec les mutations technologiques, dans 5-10 ans, beaucoup d’emplois auront disparu ou auront changé de nature. Les employeurs sont de plus en plus réticents à créer des emplois de CDI, formule actuelle; je pense que demain cela sera encore plus le cas.

Actuellement, ce n'est pas dans l'intérêt des entreprises de créer des CDI, donc elles abusent des CDD. Mais les supprimer créerait un chômage massif. Tous les gouvernements utilisent les CDD et les emplois aidés pour contenir le chômage. On diminue ainsi les statistiques du chômage, mais on crée de la dette publique et on ne résout pas le problème."

-Quelle est la solution?

-"Pour moi, c'est tout un système, qui est à réformer. Je propose de maintenir le CDI actuel pour ceux qui en ont un, mais que tous les nouveaux contrats soient sous le nouveau régime de contrat unique. (...) L'idée est de créer un nouveau CDI, qui joue sur la flexibilité et sur la responsabilisation.

On garderait le juge pour des cas d'abus (...), mais la décision économique de savoir si un emploi est justifié économiquement revient au chef d'entreprise. L'entreprise doit être responsabilisée: elle doit payer des indemnités au salarié, mais aussi à l'assurance chômage, car un licenciement peut coûter très cher à la société. C'est le principe du pollueur-payeur. Protéger le salarié plutôt que protéger l'emploi."

-A cet égard, le projet de loi El Khomri va-t-il dans le bon sens et doit-il être adopté aux forceps?

- "J'ai signé une tribune en (sa) faveur, car je pensais que certaines dispositions allaient dans le bon sens. (...) C'est vrai que la moitié de nos concitoyens sont encore contre la réforme du marché du travail. (...) Il faut se forcer à aller au-delà des apparences. Protéger les CDI c'est bien, à part qu'il n'y en a plus, donc on aide quelques personnes et on laisse les autres à la porte. (...) On utilise trop souvent des rustines et finalement, 30 ans plus tard, cela ne bouge pas. Pire, cela empire."

-Comprenez-vous la révolte d’une partie de la jeunesse?

-"Nous ne sommes pas très généreux envers les jeunes. Nous leur laissons le réchauffement climatique, une dette publique élevée, des retraites qui ne sont pas financées, le chômage, le logement cher, un système éducatif moyennement performant et impliquant de fortes inégalités: le système éducatif français est un délit d'initiés (...). Ce n'est donc pas facile d'être jeune aujourd'hui. Alors Nuit Debout est une réponse à ce mal-être, le risque étant que cela reste dans le domaine de l’utopie, ce qui engendrerait de nouvelles frustrations, antichambre du populisme."

- Le gouvernement doit-il résister pour faire passer sa réforme?

-"Il faut faire de la pédagogie et rappeler certains fondamentaux. Les dépenses publiques étaient à 35% du PIB pendant les 30 Glorieuses. Maintenant, elles sont à 57%. On voit le dérapage. Il faut garder un service public de qualité, mais on a tendance à confondre service public et nombre de fonctionnaires. Le service public, c'est un résultat, ce qu'il apporte en termes de santé, d'éducation par exemple. Il faut beaucoup de pédagogie et de consensus social.

A tous les niveaux, le dialogue social est terrible en France. Le taux de syndicalisation est trop faible, il faut que les gens soient plus impliqués. Finalement, toutes les discussions sur la loi El Khomri se déroulent avec des syndicats, qui représentent peu de Français."

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