Mais oui, Monsieur Bouanou, un directeur peut être “plus puissant qu'un ministre”

Mardi, le gouvernement était interpellé au parlement au sujet des derniers épisodes polémiques, Much Loved, Mawazine, JLo... M. Bouanou, chef du groupe PJD, s'étonne qu'un directeur résiste à un ministre.

Mais oui, Monsieur Bouanou, un directeur peut être “plus puissant qu'un ministre”

Le 9 juin 2015 à 16h26

Modifié 9 juin 2015 à 16h26

Mardi, le gouvernement était interpellé au parlement au sujet des derniers épisodes polémiques, Much Loved, Mawazine, JLo... M. Bouanou, chef du groupe PJD, s'étonne qu'un directeur résiste à un ministre.

Les évolutions récentes, les dernières polémiques, laissent perplexe. Au point de se demander si nous nous trouvons bien dans le Maroc de 2015. Celui qui a élaboré en 2003 le fameux code du statut personnel. Celui qui s’est doté en 2011 d’une magnifique constitution.

Le préambule de la Constitution marocaine réaffirme les valeurs universelles, les principes de tolérance et d’ouverture et la nécessité de construire un Etat moderne. La loi fondamentale, citée en exemple dans plusieurs pays dont la Tunisie, reconnaît la diversité de l’identité marocaine. Elle insiste sur l’égalité, sur les droits de la femme, sur les droits humains. L’une de ses caractéristiques, c’est qu’en plusieurs endroits, elle reconnaît l’Autre.

Les dernières polémiques au Maroc concernaient un film (de Nabil Ayouch), un festival de musique (des rythmes du monde) et enfin le rôle de l’audiovisuel public.

Sur les trois points, une partie des opposants ont eu recours aux textes en vigueur pour exprimer leur opposition :

-le chef du gouvernement a écrit à la HACA. Il n’a pas essayé d’intervenir directement dans le fonctionnement des chaînes du pôle public comme cela a été le cas auparavant de la part de son ministre de la Communication. Mais sa lettre à la HACA a davantage l’allure d’une plainte (elle prend largement position) que d’une saisine. C’est une lettre de condamnation sans appel. Or, la loi ne prévoit rien de tel. Elle prévoit que le gouvernement ou son chef peut demander un avis à la HACA, pas instruire une plainte du chef du gouvernement.

Cette réaction du gouvernement a ceci de positif qu’elle respecte les institutions et reconnaît, de facto, l’autonomie de l’audiovisuel public.

Elle pose néanmoins un problème quant à sa forme et son contenu.

-La question orale au parlement. Le groupe parlementaire du PJD, par la voix de son chef Abdallah Bouanou, a interpellé le ministre de la Communication. Il a eu cette phrase (vidéo ci dessus): “Les directeurs ne peuvent pas être plus puissants que des ministres (!)“. Mais Monsieur Bouanou, il ne s’agit pas d’être au dessus ou au dessus, ni plus fort ni plus faible, ce n’est pas un bras-de-fer. L’Etat de droit, ce n’est pas comme ça. Dans un pays démocratique, l’Etat accepte de limiter sa propre puissance par le droit.  L’autonomie du pôle public de l’audiovisuel est un acquis du Maroc. Les erreurs peuvent se produire, elles ne peuvent être sanctionnées que par la loi. C'est la loi qui est au-dessus de tout, pas le ministre.

M. Bouanou a "expliqué" que JLo, Placebo, Femen et Much Loved, ce n'est pas un hasard de calendrier ni une coïncidence. Selon lui, une enquête doit être ouverte car "le Maroc est ciblé".

-Le troisième opposant est ce citoyen ordinaire qui a cru utile de déposer une plainte au pénal contre Jennifer Lopez, pour outrage aux bonnes mœurs. C’est son droit. La plainte suivra son chemin et il devra accepter la décision de la Justice dont on peut parier qu’elle ne lui donnera pas raison.

Tout ce qui précède serait acceptable et normal.  S’il n’y avait pas un problème de contenu, de postures, d’attitudes. Dans un Etat de droit, il est naturel d’avoir des divergences. Un Etat de droit crée le cadre pour régler pacifiquement les différends. Pacifiquement et d’une manière civilisée.

Où est donc le problème qui nous éloigne de l’esprit de la Constitution? Il est partout:

1.Pourquoi le ministère de la Communication a-t-il publié la lettre adressée à la HACA? Pour se dédouaner de l’accusation de laxisme à l’égard des chaînes de tv? Pour prendre l’opinion publique à témoin? Avait-il le droit de le faire, avant même que les destinataires n’en aient pris connaissance?

2.Le ton est souvent comminatoire, stigmatisant, populiste, utilisé contre un simple film ou un concert. Le gouvernement ne pouvait se contenter, semble-t-il d’un communiqué d’interdiction ou de condamnation. Il fallait qu’il montre patte blanche, qu’il lave plus blanc, qu’il est le défenseur de la morale et de l’identité islamique. Comme si la question de l’islamité de la société marocaine ou de ses valeurs pouvait se poser.

3. Le ton accusateur souvent employé par différents orateurs. L’accusé est sommé de prouver son innocence. La condamnation de Nabil Ayouch par exemple va au-delà des faits et du contenu du film. Elle touche aux intentions mêmes du réalisateur.

4. Pourquoi la première chaîne de tv Al Aoula a-t-elle diffusé les photos et les identités de deux hommes accusés de s'être embrassés sur l'esplanade Hassane? On peut condamner un tel acte, on peut condamner un tel comporter mais on ne doit ni livrer les noms, ni publier les photos. Et surtout respecter la présomption d"innocence. Le ministère de l'Intérieur n'avait pas à publier ces informations dans un communiqué.

5.Les mots sont performatifs. Et un code pénal peut être pédagogique, libéral, progressiste ou au contraire répressif.

En d’autres termes :

-les mots utilisés dans ce grand brouhaha de surenchère identitaire et nationale laissent entendre que l’identité marocaine peut être menacée par un seul film. Non, ni l’Islam ni le Maroc ne sont menacés. Il suffisait d’interdire le film si, comme on peut le comprendre, l’Etat ne veut pas cautionner son contenu.

-le projet de code pénal n’est pas du tout dans l’esprit de la nouvelle Constitution. Il n’est ni progressiste, ni libéral, ni moderniste. Il fait quelques concessions, allège quelques peines, instaure des innovations comme les peines alternatives. Mais il est loin d’être en avance sur son temps. Il ne marquera pas les esprits ni son temps. Il introduit même un article sur une notion qui n’a jamais existé au Maroc: le mépris des religions, comme s’il s’agissait d’un problème qui se pose au Maroc.

6.On ne peut s’empêcher de craindre que si une certaine tendance du gouvernement actuel avait eu la haute main sur l’audiovisuel public et sur l’enseignement, le formatage des esprits et la censure auraient eu le vent en poupe, ainsi que la tutelle sur les goûts, les consommations culturelles et les idées.

7.Il faut que l'on sache que l'ouverture du Maroc, culturellement et économiquement, posera inévitablement des problèmes qu'il faudra savoir gérer. Si l'on a du tourisme, on aura des touristes (et ce qui peut parfois aller avec). Si on a un festival international, idem. Et si on a un jour une coupe du monde (de football par exemple), il n'est pas exclu d'avoir une équipe israélienne. Nous disons bien il faut savoir gérer ce genre de situations, pas autre chose.

8. Les conservateurs, y compris ceux qui se réclament d'un référentiel religieux, les identitaires, ont tous peur de l'ouverture culturelle. Leur logique est celle d'une protection de plus en plus verrouillée contre les biens culturels importés, d'un contrôle sur les esprits. Pour cela, ils disent que leur propre production culturelle doit rester pure, ne pas être contaminée. En fait, leur production culturelle n'est pas compétitive. Leur logique consiste à gagner de proche en proche, jusqu'à fermer complètement les frontières culturelles, sauf pour ce qui est conforme à leur logique.

C'est aussi pour cela que les langues étrangères suscitent leur méfiance.

Au final, il ne faut pas que des incidents isolés donnent des munitions à ceux qui veulent contrecarrer l'accès à la modernité, voire provoquer une régression dans la société marocaine.  La modernité, ce n'est pas l'occidentalisation, ce n'est pas l'orientalisation, c'est de résoudre des questions d'aujourd'hui, dans un contexte d'aujourd'hui, avec des idées et des concepts d'aujourd'hui.

Ni le film de Ayouch, ni le festival Mawazine ne méritaient pareilles polémiques. Dans un cas comme dans l’autre, il fallait réagir avec mesure et sang-froid, en évitant de souffler sur les braises.

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