L’Irak s’installe dans la guerre civile, risque de partition

L’Irak n’a jamais été aussi proche de la partition tandis que la guerre civile s’installe et que règne la confusion. Dans ce chaos généralisé où le pouvoir arme et mobilise des civils, l’enjeu n’est pas de savoir si Bagdad va tomber ou pas. Il s’agit de savoir combien d’années encore durera cet enfer.

L’Irak s’installe dans la guerre civile, risque de partition

Le 15 juin 2014 à 17h48

Modifié le 27 avril 2021 à 22h28

L’Irak n’a jamais été aussi proche de la partition tandis que la guerre civile s’installe et que règne la confusion. Dans ce chaos généralisé où le pouvoir arme et mobilise des civils, l’enjeu n’est pas de savoir si Bagdad va tomber ou pas. Il s’agit de savoir combien d’années encore durera cet enfer.

Les forces irakiennes ont entamé une contre-offensive et renforcé leur défense de Bagdad, dont se sont dangereusement approchés les insurgés qui ont repris de larges portions du pays cette semaine, un porte-avions américain étant par ailleurs déployé dans le Golfe, annonce l’AFP.

Le Pentagone a annoncé que le secrétaire à la Défense Chuck Hagel avait donné l'ordre de déploiement du porte-avions USS George H.W. Bush dans le Golfe qui "permettra au commandement en chef de disposer de plus de flexibilité si une opération militaire américaine devait être déclenchée pour protéger des vies américaines, des citoyens ou nos intérêts en Irak". Nos intérêts voulant généralement dire les puits de pétrole et la stabilité de pays alliés très proches.

Le choix du porte-avions, avec son appellation qui rappelle la première guerre irakienne au début des années 90, est étrange. Choix délibéré ou bévue de la part d’un pays qui est largement considéré comme responsable de la décomposition actuelle du pays? En tous les cas, les Etats-Unis paraissent complètement dépassés par la situation.

Les forces de sécurité irakiennes, soutenues par des combattants de tribus, ont repris samedi Ishaqi et Muatassam, dans la province de Salaheddine, non loin de Bagdad, a annoncé le général Sabah al-Fatlawi. Les corps brûlés de 12 policiers ont été découverts à Ishaqi, selon un responsable cité par l’AFP. Les combattants de l’EIIL (Etat islamique de l’Irak et du Levant) ont diffusé plusieurs photos et vidéos montrant l’exécution de plusieurs dizaines de soldats irakiens. Comme d’habitude, l’EIIL médiatise ses atrocités.

Les autorités ont de plus annoncé un plan de sécurité pour défendre Bagdad, dont s'approchent dangereusement les insurgés, et le Premier ministre Nouri al-Maliki, commandant en chef des forces armées, a dit avoir obtenu du gouvernement des "pouvoirs illimités" pour combattre les rebelles.

 

Conquêtes territoriales ou décomposition de l’Irak?

 

Toutefois, la vraie question ne concerne pas les opérations militaires, ni les conquêtes territoriales. Les responsables de l’EIIL se sont rendus maîtres dans l’art de mesurer le rapport de forces. Il est donc clair que leurs ambitions ne sont pas celles de conquêtes classiques, avec administration de villes et de provinces. Pas pour le moment.

L’une des grandes leçons de ce que l’on appelle les printemps arabes, c’est que l’affaiblissement de l’Etat profite directement aux jihadistes. Ces derniers visent donc d’abord l’Etat avant les conquêtes territoriales.

Pour le moment, l’insurrection se répand dans tout le pays sunnite et l’EIIL apparaît comme un simple acteur parmi tant d’autres.

En l'espace de trois jours, les jihadistes de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) avaient pris la deuxième ville d'Irak, Mossoul, et sa province Ninive (nord), Tikrit et d'autres régions de la province de Salaheddine, ainsi que des secteurs des provinces de Diyala (est) et de Kirkouk (nord), rencontrant très peu de résistance.

La débandade des forces de sécurité est notamment due selon des sources informées citées par l’AFP, à un entraînement lacunaire, la corruption et le climat pesant du confessionnalisme, selon plusieurs experts. Mais également l’étendue de l’insurrection car de nombreux groupes armés se sont soulevés en même temps.

L'objectif des insurgés est à présent la capitale, où les rues sont quasi-désertes et les commerces fermés, signale l’AFP.

 

Comment 800 jihadistes ont-ils pu prendre Mossoul?

Comment 800 jihadistes de l’EIIL ont-ils pu, en quelques heures, mettre en déroute une armée régulière de 30.000 hommes? C’est la question que tout le monde se pose depuis la chute de la ville de Mossoul, deuxième ville d’Irak. Ci dessous, des images de la peu glorieuse retraite de l'armée irakienne.

 

 

En réalité, il y a eu ce jour là, le 10 juin, plusieurs attaques concomitantes dans des régions proches, toutes menées par des forces sunnites. L’Etat islamique de l’Irak et du Levant (EIIL), désireux de venger la mort de l’un de ses chefs militaires a rassemblé 2.000 hommes et a lancé plusieurs attaques en directions de plusieurs villes et villages, dont Mossoul. Si l’on en juge par la littérature de ce mouvement, l’objectif n’était pas la conquête territoriale mais la vengeance.

Mais tout le pays sunnite était et est encore en ébullition, avec une multitude de groupes armés opposés au gouvernement du chiite Nouri Maliki.

Maliki, qui dirige un pays censé être fédéral, construit selon des quotas ethniques et confessionnels, est un homme qui est accusé d’avoir privilégié les chiites. Il est détesté par la grosse minorité sunnite et peu respecté par les Kurdes qui ont créé leurs propres structures administratives et leur économie basée sur l’exportation du pétrole situé dans leur région.

Les groupes sunnites opposés à Maliki sont donc nombreux et la plupart d’entre eux sont armés: les tribus bien sûr, le mouvement de Izzet Ibrahim ancien vice-président sous Saddam, Ansar Sunna, l’Armée islamique, l’armée des moujahidine, etc… Leurs effectifs sont nettement supérieurs à ceux déployés par l’EIIL dans les régions attaquées. C’est l’attaque conjointe de tous ces groupes, contre des villes et des villages, des casernes et des postes de police, qui a mené à l’effondrement que l’on sait.

Des différents groupes armés, ce sont les 800 hommes de l’EIIL présents à Mossoul, qui ont fait les meilleures affaires : ils ont mis la main sur les dépôts d’armes, y compris des hélicos de combat et des avions de chasse, des stocks de munitions et enfin sur plus de 450 millions de dollars en espèces, qu’ils ont prélevés dans la banque centrale régionale de Mossoul. Ils ont d’ailleurs évacué ces prises de guerre dans un impressionnant convoi qui s’étendait sur des kilomètres et qu’ils ont évidemment filmé.

Les membres des forces de sécurité irakiennes mal entraînées et minées par les conflits confessionnels ont jugé vain de sacrifier leur vie pour résister à l'avance fulgurante des jihadistes, expliquent les experts cités par l’AFP.

Il n’y a plus d’armée, plus d’Etat

Un sauve-qui-peut qui a permis aux jihadistes de sécuriser la province environnante de Ninive, avant de pousser leur avantage vers les provinces voisines de Kirkouk et Salaheddine et d'étendre leur territoire plus au sud dans la province de Diyala.

Dès son arrivée en Irak, le "pro-consul" américain Paul Bremer avait décidé en mai 2003 d'en finir avec les forces armées de Saddam Hussein. Il avait signé deux décrets sur la "debaassification" (le Baas étant le parti au pouvoir) de la société et le démantèlement de l'armée, jetant à la rue des centaines de milliers de soldats et d'officiers aguerris, dont beaucoup avaient rejoint la rébellion et aujourd'hui l'EIIL.

"Cette armée n'a aucune maturité", assure Anthony Cordesman, expert du Centre pour les études internationales et stratégiques. Pour lui, la débaassification a signifié que "beaucoup de gens de qualité n'ont pu retrouver leur poste dans l'armée".

Selon lui, le problème a été exacerbé quand Washington et Bagdad ont échoué à signer un accord pour laisser des formateurs militaires après le départ des troupes américaines en 2011.

Les soldats "ont été formés à la va-vite, peu ont goûté au combat et la structure militaire était incohérente car les Américains pensaient rester encore deux ans supplémentaires", note-t-il.

Il cite aussi la corruption au sein de l'institution militaire, depuis les recrues qui achètent leur poste ou paient pour obtenir une promotion jusqu'au Premier ministre Nouri al-Maliki qui nomme des officiers supérieurs "non pas en fonction de leurs compétences mais en fonction de leur loyauté".

Un moral au plus bas

Pour Ayham Kamel, un responsable du think-tank Eurasia Group, l'exacerbation des divisions confessionnelles a poussé beaucoup à la désertion.

Le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki a été accusé de mener une répression grandissante contre les sunnites.

Les quartiers chiites ont été la cible, pour leur part, d'une vague d'attentats menés par les extrémistes sunnites.

Dans le fief sunnite de Mossoul, ces tensions ont conduit des militaires chiites à baisser les bras et ne pas combattre les extrémistes, explique Ayham Kamel.

"Les habitants n'ont pas été particulièrement accueillants envers l'armée (...) les soldats chiites se sentaient loin de chez eux et considéraient qu'ils risquaient quotidiennement de se faire tuer pour une ville à laquelle ils n'étaient pas attachés", dit-il.

Un effet boule de neige

Les militaires sunnites, en revanche, ont trouvé des arrangements, dans plusieurs cas, durant l'offensive des jihadistes, note Kamal.

"Ils ont conclu des accords avec eux au terme desquels ils quittaient leur uniforme, laissaient leurs armes et pouvaient filer", dit-il.

Mais le large exode de Mossoul, de la part des forces de sécurité et des dizaines de milliers de civils, a eu un effet "boule de neige", assure M. Drake.

"Un moral bas et la terreur inspirée par l'image impitoyable de l'EIIL ont suscité un mouvement de masse quand l'attaque a eu lieu", dit-il.

M. Cordesman est de cet avis. Pour lui, même si les unités les mieux entraînées avaient tenté de résister cela n'aurait pas fonctionné. "Si vous avez trois unités militaires et que seulement une est bonne, elle ne peut tenir si les autres lâchent".

 

 

Curieusement, les évolutions actuelles rappellent la carte de remodelage du Moyen Orient publiée par le New York Times.

 

Et demain?

Gross modo, trois forces existent sur le terrain. Les Kurdes resteront éloignés des combats et ne combattront que s’ils se sentent agressés.

Par contre, la confrontation entre Chiites et Sunnites alimentera l’actualité pendant les prochains mois, voire les prochaines années.  Elle concerne a désormais l’Irak et la Syrie, à un degré moindre le Liban. Il s’agit par certains aspects d’une guerre irano-saoudienne par procuration.

Mais à l’intérieur du camp sunnite, la situation n’est pas stable. Il n’y a pas de leadership indiscuté. En Syrie, on bien vu les jihadistes les plus radicaux s’entretuer: le Front Nosra contre l’EIIL.

Le leadership du camp sunnite sera la grande question des prochains mois ou prochaines années dans toute la région. Les Frères musulmans qui avaient cette prétention ont été pour le moment évincés. Il reste les salafistes quiétistes et les jihadistes. Seule la notion de citoyenneté pourra venir à bout de ces identités meurtrières selon l’expression de Amine Maâlouf.

Dans le monde arabo musulman, aujourd’hui plus que jamais, il n’y a que deux modèles de stabilité : soit une vie politique laïque ; soit un monopole étatique du religieux, à condition que ce monopole soit construit autour d’une école médiane comme le malékisme. Tous les autres modèles ont échoué.


 

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.
Tags :

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.