Mohamed-Cherif Ferjani

Islamologue, professeur de Science politique à l’université Lyon 2, chercheur

Les défis de la construction démocratique en Tunisie

Le 31 octobre 2014 à 10h29

Modifié 9 avril 2021 à 20h25

Cherif Ferjani est une autorité dans la recherche sur la laïcité et plus généralement l’Islam politique. Il est l’auteur, entre autres, du remarquable ouvrage "Le politique et le religieux en Islam". Militant contre la dictature en Tunisie depuis l’époque de Bourguiba puis sous Ben Ali, il s’est impliqué dans la révolution tunisienne puis dans la lutte contre l’hégémonie du parti Ennahdha. Cherif Ferjani est un observateur, un expert, un témoin et un militant de la révolution tunisienne.  

Après l’adoption d’une constitution démocratique arrachée par la société civile et les forces démocratique à la Troïka dominée par Ennahda qui voulait faire passer un autre projet concrétisant les conceptions théocratiques, les élections, malgré les dysfonctionnements scandaleux de l’ISIE qui ont profité aux listes d’Ennahda, ont montré qu’il est possible de vaincre démocratiquement l’islam politique sans recours à l’armée ou à des interventions étrangères.

C’est le principal acquis de ce premier couronnement de la transition tunisienne.

N’en déplaise aux chantres de l’exception islamique réfractaire à la démocratie, et aux porteurs de valises de l’islam politique qui ne voient le salut du monde musulman que par le triomphe de leurs amis islamistes, les acquis modernes de la Tunisie qui ont inspiré sa révolution contre la dictature, bien que ne se traduisant pas dans les urnes lors de l’élection de l’Assemblée constituante en 2011, et malgré les tentatives rétrogrades d’Ennahda et de ses alliés de le remettre en cause, ont fini par se rappeler à l’ordre à travers la résistance des deux dernières années au projet islamiste et par le vote confirmant le rejet de ce projet.

Cette victoire, pour importante qu’elle soit, ne doit pas faire oublier aux défenseurs des acquis modernes de la Tunisie que tous les objectifs de la révolution sont loin d’être atteints: si la liberté est un acquis fondamental qui a rendu possible la résistance et les victoires remportées sur l’islam politique et ses alliés, le travail et la dignité, notamment pour les populations oubliées dans les régions défavorisées où l’abstention massive lors des élections a limité la déroute d’Ennahda, doivent être au cœur de la prochaine étape de la transition.

Si les jeunes et les populations des régions défavorisées ont manifesté leur insatisfaction par l’abstention, c’est surtout en raison de l’absence de réponses aux revendications inspirées par les réalités du chômage et de la dégradation des conditions de vie notamment dans les régions du Sud et de l’Ouest du pays.

L’éradication du chômage, des inégalités sociales et interrégionales et du terrorisme doit être l’objectif central de la politique des nouveaux gouvernants. Des mesures concrètes doivent être adoptées et mises en application immédiatement pour relever ce défi primordial. Tous les moyens doivent être mobilisés pour y parvenir. La relance des investissements, avec une priorité pour le développement dans les régions défavorisées et les secteurs créateurs d’emplois, ne peut plus attendre.
Sur le plan politique, il est inadmissible qu’une révolution menée par les jeunes se traduise par un renforcement et une pérennisation de la gérontocratie, quels que soit l’importance de l’apport des aînés qu’il faut remercier pour le rôle qu’ils on joué pour remettre la révolution sur le rail des acquis modernes de la Tunisie.

Dans ce domaine, Béji Caïd Essebsi a largement accompli la mission qu’il s’est donnée en créant Nida Tounes en juin 2012: Son objectif était, comme il l’avait précisé lui-même, le rééquilibrage du paysage politique artificiellement dominé par Ennahda en raison de la dispersion des partisans d'un Etat civil incarnant les acquis modernes de la Tunisie.

La victoire électorale des listes de son parti  dans les élections législatives du 26 octobre 2014, moins de deux ans après le lancement de son mouvement, montre qu'il a réussi son objectif.

l est temps pour lui et pour le pays de passer le flambeau. Aux plus jeunes et aux démocrates de construire sur la base de cet acquis important pour l'avenir de la démocratie en Tunisie! Ce qu'il a de mieux à faire après cette victoire, c'est de se retirer et d'entrer ainsi dans l'histoire par la grande porte en mettant sa popularité au service d'une candidature qui s'inscrit dans le prolongement de son projet et du vote qui s'est exprimé en faveur de ses listes.

La Tunisie ne manque pas de compétences capables de reprendre le flambeau et de poursuivre le combat pour la démocratie, la liberté, la justice et pour la réalisation des objectifs de sa révolution ! Il doit écouter la voix de la raison, éviter les erreurs de Bourguiba qui n'a pas su partir à temps. Il doit se méfier des mauvais conseilleurs qui l'incitent à rester pour s'en servir dans le but de satisfaire leurs propres ambitions personnelles et non pour l'intérêt de la Tunisie.
Pour ce qui est de la gauche, qui a été et reste ma famille politique, la victoire du Front Populaire, qui a réussi là où les autres composantes de la gauche ont échoué, lui donne une responsabilité particulière. Il est appelé à transformer sa victoire en projet unissant la gauche autour des valeurs qui ont toujours été les siennes et qui ont largement inspiré la révolution et la résistance au projet islamiste ! Il doit faire preuve de modestie, d'humilité, d'abnégation et s'abstenir de toute arrogance à l'égard des formations et des courants qui ont perdu pour différentes raisons : en se mettant à la remorque d'autres projets, en se divisant pour satisfaire les égos de chefs obnubilés par leurs ambitions individuelles, ou encore en se détournant de l'action politique par désenchantement ou rejet des querelles partisanes !

Le Front Populaire ne doit pas décevoir celles et ceux qui ont vu en lui le meilleur défenseur d'une alternative de gauche ! Il doit donner l'exemple en mettant sa victoire, ses élus et son capital de confiance au service de la gauche, des classes populaires et des régions défavorisées.
L’heure n’est ni au triomphalisme, ni à l’arrogance mais au travail, à l’esprit de responsabilité, à la recherche des consensus nécessaires pour satisfaire les aspirations légitimes qui ont porté la révolution de la liberté et de la dignité et soutenu la résistance de la société civile contre les projets tournant le dos à ces aspirations.

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