Hans-Helmut Kotz

Membre résident du Center for European Studies de Harvard

Le dangereux conformisme de la pensée économique européenne

Le 20 juin 2013 à 13h14

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

  Lors de la récente audience de la Cour constitutionnelle allemande portant sur les mesures de la Banque centrale européenne (BCE) visant à sauver la zone euro, le président de la Cour, Andreas Vosskuhle, a soulevé une question importante : hormis les Allemands, les économistes condamnent-ils aussi totalement les rachats de titres de dette  (OMT) que l'ont affirmé les experts allemands qui ont témoigné (à l'exception de l'un d'entre eux) ?  

Certes, certains économistes allemands (pour ne pas mentionner le gouvernement de la chancelière Angela Merkel) défendent la politique du président de la BCE, Mario Draghi. Néanmoins, l'immense majorité d'entre eux (et peut-être de leurs collègues hollandais et finnois) est de l'avis de ne pas mêler la BCE à la crise de la zone euro. «C'est un problème budgétaire», disent les économistes allemands, «les mesures monétaires ne seront d'aucun secours, au contraire elles ne feront qu'aggraver la situation».

Certes, tout le monde préférerait que la frontière entre politique monétaire et politique budgétaire soit aussi claire qu'elle l'était avant la crise. Mais s'en tenir aveuglement aux principes aurait été un choix à haut risque pour la BCE. Elle aurait alors accepté en 2012 le «risque de redénomination» (l'éclatement de la zone euro en jargon économique).

Néanmoins, en lançant le projet OMT, la BCE a impliqué, sans l'accord de leurs parlements respectifs, les contribuables allemands (et ceux des pays du nord de l'Europe dans les plans de sauvetage - de qui exactement ? Il semble que les contribuables du nord de l'Europe soutiennent les personnes parties prenantes des banques du nord surexposées à l'endettement des pays du sud de l'Europe.

De la même manière, les juristes universitaires allemands considèrent que la politique de la BCE est incompatible avec les dispositions du traité européen qui interdit les plans de sauvetage et le financement de la dette des pays de la zone euro. On peut facilement comprendre la grande réticence des fonctionnaires à ne pas prendre en compte les obligations légales et à engager leur responsabilité pénale pour abus de confiance.

Ce n'est pas la Cour constitutionnelle allemande qui fixe les règles, mais elle a obligation de donner une interprétation impartiale des accords. Elle est renommée pour cela, c'est pourquoi c'est l'une des institutions du pays à laquelle les Allemands accordent le plus de confiance.

Pourtant la BCE a raison de souligner qu'elle est confrontée à des situations monétaires très variées dans les différents pays de la zone euro. Cette dernière est comparable à un système à taux de change fixe en dysfonctionnement, avec tous les risques que cela entraîne. En fin de compte, restreindre la BCE à son rôle traditionnel de boite à outils revient à accepter le risque d'éclatement de la zone euro.

Dans ce contexte, en toute logique les investisseurs institutionnels se sont protégés contre un éclatement de la zone euro en se retirant derrière des frontières sûres. Les mesures budgétaires ne pouvant répondre à la crise, la BCE a dû assumer une deuxième fonction d'intermédiation : remédier avec son système Target2 aux effets de la resegmentation des marchés financiers sur des positions nationales. C'est de la pure domination budgétaire.

Convergences au sein des pays de la zone euro

C'est ici que la question de Vosskuhle prend toute son importance. Les discussions au sein des pays de la zone euro convergent généralement vers ce que les juristes universitaires allemands appellent herrschende Meinung, une opinion dominante qui reflète le statut de leur pays en tant qu'entité endettée ou créancière. Les économistes soucieux de leur carrière abondent évidemment dans le même sens, et il en est de même des médias, car la concurrence les entraîne à négliger la complexité et les nuances et à simplifier à outrance.

En terme de substance - ce qu'intentionnellement et explicitement la Cour constitutionnelle allemande n'examine pas - le projet OMT a toujours eu pour objectif d'éviter qu'une crise de liquidité ne se transforme en un problème de solvabilité, notamment à la périphérie de la zone euro. Du point de vue des investisseurs, la mécanique en est simple : ils sont réticents à acheter de la dette privée ou publique d'un pays susceptible de quitter la zone euro. Cette attitude crée en elle-même un risque lié au refinancement. Ainsi le refinancement d'une petite entreprise italienne à Bolzano dans le Tyrol du Sud est plus coûteux que celui d'une entreprise autrichienne concurrente située à Innsbruck dans le Tyrol du Nord.

La réussite du projet OMT dépend de la capacité d'intervention illimitée de la BCE – «Nous ferons tout ce qu'il faudra», selon la fameuse formule de Draghi. Limiter légalement cette capacité conduirait à l'échec. Autrement dit, si le projet OMT n'est pas réalisable dans le cadre du traité actuel, il faut l'amender (après tout, il est d'origine humaine et non divine).

Mais cela suppose l'implication des citoyens européens (dans plusieurs pays membres les amendements envisagés devraient être soumis à référendum). Etant donné que ces dernières années le résultat a souvent été négatif (en France, aux Pays Bas et en Irlande), tout le monde veut éviter ce scénario.

Il est décourageant que ces arguments ne soient que rarement évoqués. Les conditions minimales nécessaires au bon fonctionnement d'une union monétaire ne sont nulle part discutées de manière transparente et en toute franchise. Les dirigeants politiques donnant la priorité à des considérations électoralistes et à la pression des médias qui tendent à tenir le même discours, la zone euro se débrouille tant bien que mal pour survivre.

Mais si elle veut d'une solution à long terme, sa simple survie ne suffit pas. La principale justification du maintien d'une union monétaire ne peut résider dans les conséquences potentiellement désastreuses de sa désintégration. L'argument néo-mercantiliste selon lequel  la zone euro autorise un excédent permanent des comptes courants (ce qui est faux) est encore moins convaincant.

A l'origine, l'union monétaire européenne devait fournir un cadre stable à ses économies fortement intégrées, afin qu'elles renforcent à long terme le niveau de vie des Européens. Elle le peut encore. Mais cela passe par la reconnaissance de ce que la crise a révélé : les défauts de conception de la zone euro. Y remédier suppose un minimum de fédéralisme et la légitimité démocratique correspondante - et par conséquent une plus grande capacité d'adaptation institutionnelle.

 

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

© Project Syndicate 1995–2013


 

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