Joschka Fischer

Ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand de 1998 à 2005. Ancien dirigeant du Parti Vert allemand pendant près de 20 ans.

Iran : une lueur d’espoir

Le 27 juin 2013 à 13h09

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

Personne n’aurait pu prédire la victoire de Hassan Rohani lors de la dernière élection présidentielle iranienne. Même le Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, a dû être un peu plus que surpris par la victoire au premier tour de M. Rohani, à la suite d’une campagne électorale qui avait commencé avec huit candidats.    

Les négociations avec l’Iran sur son programme nucléaire, ainsi que la guerre civile en Syrie, pourraient en conséquence prendre une nouvelle tournure. Mais c’est le propre du Moyen-Orient : on ne sait jamais de quoi sera fait le lendemain.

Les négociations sur le programme nucléaire iranien ont commencé il y a dix ans cette année entre l’Iran et le triumvirat européen – l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne. J’y étais, représentant l’Allemagne. Hassan Rohani également, à la tête de la délégation iranienne.

Les pourparlers se sont poursuivis jusqu’à aujourd’hui – dans un format élargi qui comprend les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies, plus l’Allemagne (le P5+1) – sans résultats tangibles. M. Rohani doit à présent reprendre l’épineux dossier du nucléaire iranien, cette fois-ci en qualité de président.

A quoi peut-il, et pouvons-nous, nous attendre ?

D’après mon expérience personnelle, Rohani est un homme ouvert et courtois. Contrairement au président Mahmoud Ahmadinejad, il sait s’entourer de diplomates très habiles et expérimentés. Mais il ne faut pas se leurrer : il reste un homme du régime – un membre réaliste et modéré de l’élite politique de la République islamique – pas un représentant de l’opposition. Et il défend le programme nucléaire iranien.

Si M. Rohani veut que son mandat soit un succès, il devra tenir sa promesse d’améliorer les conditions de vie des Iraniens, sans pour autant mettre en péril la République islamique. La tâche ne sera pas aisée ; à vrai dire, elle pourrait s’apparenter à tenter une quadrature du cercle.

L’amélioration des conditions économiques demandées par les électeurs dépendra de la levée des sanctions internationales et occidentales. Mais la levée de ces sanctions présuppose une percée dans les négociations sur le nucléaire.

Elle pourrait également être conditionnée à la résolution, au moins temporaire, des principaux conflits régionaux. Le Moyen-Orient a radicalement changé ces dix dernières années. Les Etats-Unis sont moins impliqués, avec le retrait de leurs troupes en Irak et le retrait progressif en Afghanistan d’ici l’année prochaine. Dans le même temps, nous assistons à la dissolution de l’ancien Moyen-Orient mis en place par la France et la Grande-Bretagne à l’issue de la Première guerre mondiale, lorsque les deux grandes puissances coloniales européennes ont créé des mandats et protectorats territoriaux en Palestine, en Syrie (comprenant le Liban actuel), en Jordanie et en Irak.

Un nouvel ordre régional n’est pas encore discernable, une conjoncture qui laisse envisager un avenir extrêmement périlleux et potentiellement chaotique. Au fur et à mesure que l’Iran a cherché à étendre son influence et à faire valoir ses intérêts, ainsi que ceux de ses alliés chiites, les discussions avec le Conseil de sécurité sont devenues étroitement liées à ses ambitions régionales. La perspective d’un Iran doté de l’arme nucléaire a toutes les chances d’alimenter  les risques d’un conflit violent et d’entraîner une course aux armements nucléaires dans la région. Il sera donc sans doute nécessaire de résoudre simultanément ces deux problèmes avant que les sanctions puissent être levées.

L’Iran et ses interlocuteurs internationaux doivent tirer les leçons du passé et gérer les attentes en conséquence.  Il n’y aura pas de solutions rapides (si solutions il y a), compte tenu des intérêts diamétralement opposés des parties, des obstacles respectifs au plan national et liés aux alliances et d’une profonde méfiance mutuelle.

En sus des négociations avec le P5+1, l’Iran aurait tout intérêt à entamer des négociations directes avec les Etats-Unis. Il devra également améliorer ses relations avec l’Arabie saoudite et les États du Golfe, et modifier son attitude envers Israël, pour qu’une issue positive aux discussions soit envisageable.

La République islamique d’Iran n’est pas une dictature monolithique.

De leur côté, les pays occidentaux doivent comprendre que la République islamique d’Iran n’est pas une dictature monolithique. Le régime est constitué de multiples centres de pouvoir qui coexistent, qui influent sur et limitent la portée des décisions de chaque partie. La fonction présidentielle n’est que l’un de ces centres de pouvoir. Ce constat vaut également pour le Guide suprême qui, malgré son titre, n’est pas détenteur d’un pouvoir absolu.

L’Iran a tenté deux approches politiques ces dix dernières années : le modèle réformateur, sous le président Mohamed Khatami, et l’application d’une ligne dure et radicale sous Ahmadinejad. Les deux ont échoué. Les réformateurs n’ont pas été en mesure de surmonter l’opposition des conservateurs qui, de leur côté, ont été battus en brèche par les difficultés économiques suscitées par leur politique étrangère et nucléaire.

Hassan Rohani doit emprunter une voie qui ne le prive pas du soutien de la majorité des centres de pouvoir du régime, tout en lui permettant de remplir le mandat que lui ont donné les électeurs. Au plan intérieur également, une méfiance généralisée compliquera une tâche intrinsèquement difficile.

Les Américains et les Occidentaux en général verront probablement en M. Rohani le visage amical de la République islamique, alors qu’Ahmadinejad était sa véritable incarnation, parce que plus radicale. De nombreux Iraniens voient eux aussi en Obama le visage amical des États-Unis qui cherchent pourtant encore et toujours à modifier le régime politique de leur pays, tandis que son prédécesseur, George W. Bush, en était le représentant plus honnête, parce que plus radical également. Ces deux perceptions sont une distorsion de la réalité, même si elles comportent un fonds de vérité.

En dépit de ces perceptions faussées – ou alors grâce à elles – la présidence de Rohani offre une occasion inespérée de faire progresser les négociations sur le programme nucléaire et de trouver une solution politique en Syrie. La participation de l’Iran à une conférence internationale de paix est absolument nécessaire, ne serait-ce que pour mettre le sérieux de Rohani à l’épreuve. Lors de la négociation des Accords de Bonn en 2001, l’Iran s’est comporté de manière pragmatique et a cherché à obtenir des résultats – une approche positive pour laquelle les Etats-Unis n’ont offert aucune contrepartie.

Qu’en est-il des négociations sur la question nucléaire ?

Pour ce qui est des négociations sur la question nucléaire, le P5+1 s’efforcera d’obtenir des garanties objectives sur l’impossibilité pour l’Iran d’utiliser ses capacités nucléaires à des fins militaires. Pour l’Iran, l’objectif sera d’obtenir la reconnaissance de son droit à l’emploi civil de l’énergie nucléaire, conformément aux dispositions et protocoles du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP). Ces deux questions semblent plus simples qu’elles ne le sont en réalité : comme toujours, le problème réside dans les détails, et les détails offrent toute latitude pour des désaccords sur la définition, le suivi et l’application des clauses.

A nouveau, il est primordial d’avoir des attentes réalistes. Obtenir une issue favorable aux négociations sur le dossier nucléaire et résoudre, ou même contenir, les principaux conflits régionaux ne seront pas des tâches aisées. Mais il serait extrêmement irresponsable de ne pas saisir l’occasion inattendue créée par l’élection de M. Rohani, avec toute la volonté, la bonne foi et la créativité dont nous pouvons faire preuve.

Traduit de l’anglais par Julia Gallin

© Project Syndicate 1995–2013

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