Inversement du GME, code gazier, exploration... Les confidences de Leila Benali

ENTRETIEN. Le gaz est l'un des chantiers majeurs du mandat de Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du développement durable. C'est donc par ce volet que nous commençons une série d'échanges qui toucheront aux principaux secteurs gérés par son département.

PH MEDIAS24

Inversement du GME, code gazier, exploration... Les confidences de Leila Benali

Le 7 juin 2023 à 18h27

Modifié 7 juin 2023 à 19h14

ENTRETIEN. Le gaz est l'un des chantiers majeurs du mandat de Leila Benali, ministre de la Transition énergétique et du développement durable. C'est donc par ce volet que nous commençons une série d'échanges qui toucheront aux principaux secteurs gérés par son département.

Dès sa nomination, Leila Benali a eu à gérer des dossiers urgents, parmi lesquels l'approvisionnement en gaz naturel. Elle nous raconte ici, dans leurs grandes lignes, les principales étapes qui ont permis l'approvisionnement des centrales de l'ONEE et l'entrée du Maroc sur le marché international du GNL, une entrée plus complexe qu'on ne le croirait. L'approvisionnement est aujourd'hui sécurisé dans de très bonnes conditions.

L'accord avec l'Espagne a été crucial dans ce processus, permettant au Maroc d'utiliser les infrastructures de regazéification existantes et de transporter le gaz en sens inverse dans le pipeline.

La ministre souligne également que l'ONEE se désengage progressivement du charbon et du fioul, et qu'elle travaille sur une refonte du plan d'investissement de l'entreprise, avec une augmentation de la part d'électricité d'origine renouvelable et une hausse potentielle de la consommation de gaz.

Le Maroc dispose de réserves prouvées de gaz à Tendrara et au large de Larache, qui pourraient couvrir les besoins de l'ONEE pendant au moins vingt ans. Cependant, Leila Benali souligne l'importance de développer ces ressources et de renforcer les capacités humaines et commerciales du secteur gazier marocain.

On apprendra aussi de cet entretien que la ministre de la Transition énergétique a les idées claires et sa propre vision de l'avenir du secteur, que des réformes sont attendues, peut-être dès cette année. Et que derrière ses mots bien choisis, Leila Benali a une forte personnalité et sait où elle va.

Médias24 : Vous êtes ministre de la Transition énergétique. La transition énergétique au Maroc, si vous deviez la résumer en 15 secondes, qu'est-ce que vous diriez ?

Leila Benali : La transition énergétique au Maroc, c'est un triangle dont les trois côtés sont les énergies renouvelables, l'efficacité énergétique et l'intégration régionale.

Mon rôle, c'est de faire en sorte que ce triangle soit préservé et même accéléré. Rattraper le retard lorsqu'il y a du retard et faire en sorte que l'on garde quelques années d'avance dans les domaines où nous avons quelques années d'avance. Et enfin transmettre ce triangle en bonne et due forme à mon successeur, pour la prospérité des générations actuelles et futures.

- Quels sont les domaines où le Maroc est en avance ?

- Par rapport à ce qui était prévu, nous sommes relativement en avance dans l'intégration régionale et l'intégration aux marchés internationaux.

Par exemple, vous vous rappelez de cet épisode d'arrêt du gaz algérien vers l'Europe dont le Maroc a pâti ; ce défi nous a fait accéder au marché international du GNL plus vite que prévu. Une entrée attendue depuis la stratégie de 2009 et la feuille de route du gaz. Ce n’est pas anodin. Les acheteurs de gaz marocains, dont l'ONEE, n’étaient pas armés pour accéder à ce marché international du GNL. Ils n’avaient jamais acheté de gaz naturel liquéfié sur les marchés internationaux. Désormais, grâce en quelque sorte à ce défi, nous avons les capacités nécessaires, la crédibilité, le savoir-faire.

Le marché international du GNL, gaz naturel liquéfié, est plus complexe qu’une livraison directe par gazoduc, mais permet justement de garantir la sécurité d’approvisionnement et une plus grande indépendance.

Nous avons pu transformer l'arrêt du flux de gaz algérien en opportunité. Nous avons ainsi accédé au marché international du GNL plus vite que prévu

- Le gaz a probablement été le premier gros dossier que vous avez eu à traiter lors de votre nomination début octobre 2021…

- Il y a eu plusieurs gros dossiers mais c'est vrai qu’activer un plan pour cet arrêt du gaz algérien dont le contrat allait expirer le 31 octobre 2021 était en haut de la pile. L’enjeu était important puisqu'au moins 10% de notre capacité électrique dépendait du gaz. Il s’agit des centrales à cycle combiné de Tahaddart et Aïn Bni Mathar, des centrales récentes de notre parc électrique.

Heureusement, nous avons pu transformer cette contrainte d’arrêt du précédent flux gazier en opportunité.

Je me souviens du jour de l’arrêt du flux, le 1er novembre 2021, nous étions à Glasgow dans le cadre de la COP26. Plusieurs nations s’étaient alors engagées dans le "No New Coal" et "Powering Past Coal". Le Maroc s’est aussi joint à cette ambition mondiale, mais avec la condition d’avoir accès au gaz naturel. Pour un pays émergent, il est presque impossible de sortir du charbon ou du fuel, et de réussir la transition, sans gaz. C’était à un moment où ce discours était difficile à transmettre dans la communauté internationale. Mais c’était aussi quatre mois avant le début de la guerre en Ukraine...

Ph. MEDIAS24

 

- Et c’est là qu’est venue l’idée d’inverser le sens du gazoduc Maghreb-Europe…

- Oui, inverser le flux du gazoduc pour avoir accès au gaz liquéfié international du marché international.

L’ironie de l’histoire a voulu que l'exemple que j’utilisais lors de mes discussions avec mes homologues européens, espagnols, portugais, français et autres européens, c'était l’Ukraine. Ce pays avait inversé quelques années auparavant les gazoducs transfrontaliers avec ses pays voisins pour accéder au marché international et s’affranchir de la dépendance au gaz russe.

- Donc le Reverse Flow, c'était votre idée ?

- C'était l'idée de plusieurs personnes, mais c'était une suggestion marocaine. Nos homologues espagnols ont rapidement vu l’intérêt de cette flexibilité supplémentaire, et le gazoduc est donc devenu techniquement bidirectionnel.

En plus des aspects techniques, il y avait plusieurs sujets commerciaux et règlementaires à régler rapidement. Non seulement trouver du gaz disponible et abordable sur le marché international, mais aussi lever toutes les contraintes réglementaires pour avoir la regazéification et les droits de passage sur le marché ibérique.

- La première étape fut l’accord avec l’Espagne…

- Un accord sur une base de confiance mutuelle : nous allions avoir la possibilité d’utiliser les infrastructures de regazéification existantes et transporter le gaz en sens inverse dans le pipeline. La crédibilité du Maroc en tant que partenaire fiable nous a permis, finalement comme presque n’importe quel opérateur gazier sur le marché européen, de nous fournir en gaz naturel sur le marché international en payant sans discrimination les droits d’accès et d’utilisation d’infrastructures européennes.

- Les Espagnols avaient posé une condition : qu’aucune molécule algérienne ne soit importée par le Maroc…

- Pour rassurer nos partenaires, nous avons émis l’idée du certificat d’origine bien avant la guerre en Ukraine : nous allions nous fournir sur le marché international du GNL, il n’était pas question de prendre du gaz destiné au marché européen.

Dans un monde où l’énergie peut être utilisée comme une arme à des fins politiques et non plus comme un levier de développement, nous avons montré qu’il est de l’intérêt de tous d’avoir une vraie coopération régionale énergétique, suivant des principes de bon voisinage.

Gaz naturel : Certains fournisseurs consultés se sont désengagés à cause de pressions politiques

- Vous avez consulté un peu partout et opté finalement pour des Américains comme fournisseurs…

- En parallèle, nous nous activions pour trouver des fournisseurs de GNL et convaincre les plus récalcitrants en interne de la criticité de l’approche. Si vous vous souvenez, en janvier 2022, nous avons lancé un appel d’offres restreint, en intégrant le département de l’Industrie et du Commerce, avec bien entendu l’ONEE et l’ONHYM.

Après plusieurs contacts, nous avons pu obtenir plus d’une dizaine d’offres en février 2022, ce qui est très positif pour une première entrée sur le marché. Je me souviens que le Pakistan avait déclaré un appel d’offres infructueux pendant la même période. Mais c’était une semaine avant le déclenchement de la guerre entre la Russie et l’Ukraine. La guerre nous rattrapait, et nos partenaires européens commençaient à vouloir assurer leurs propres approvisionnements. Nous avons continué les discussions avec quelques fournisseurs. Certains se sont désengagés à cause de pressions politiques.

Malgré les pressions extérieures et les résistances internes, nous avons pu conclure le premier deal. Le premier méthanier destiné au Maroc a livré son gaz, et les centrales ont redémarré, juste à temps avant le pic de consommation électrique historique que le Maroc a connu pendant l’été 2022, avec le retour des Marocains du Monde, la reprise post-Covid et la sècheresse.

- Et vous avez finalement opté pour des Américains comme fournisseurs ? Qui étaient les premiers fournisseurs ?

- Je ne peux pas vous dire d'où venait le premier cargo.

- C’étaient les États-Unis…

- Très franchement, je ne peux pas vous dire d'où il venait.

- Vous ne savez pas ou vous ne confirmez pas qu’il s’agisse d’Américains ?

- Je ne confirme pas. Dans tous les cas, il ne vient ni d’Europe ni d’Afrique du Nord. Il y a des accords de confidentialité avec les fournisseurs, ce n’est pas à moi de dévoiler quoi que ce soit. L’ONEE a pu négocier un prix relativement compétitif au vu du contexte international de l’époque et vu que c’était une première. Nous avons commencé à travailler sur ce sujet avant le début de la guerre d’Ukraine, c’est plus cela que je dis toujours, que l’expiration du contrat le 31 octobre 2021 était une opportunité déguisée pour le Maroc.

- Donc, nous sommes désormais tranquilles sur l’approvisionnement en gaz naturel pour les besoins de l’ONEE…

- Oui, nous sommes tranquilles sur le gaz parce que nous avons maintenant un portefeuille d'approvisionnement avec le marché international, un contrat à moyen terme, plus avantageux, qui est en train d'être finalisé, et enfin le gaz marocain qui devrait entrer en production, je l'espère, dans les deux prochaines années. Cela fait trois sources différentes d’approvisionnement. Cela donne plus d’optionalité et d’indépendance.

- Il est évidemment question de sortir l’ONEE du charbon comme vous l’aviez annoncé à Glasgow le 1er novembre 2021 justement…

- Nous sommes en pleine refonte du plan d’investissement de l’ONEE, avec des changements au niveau de la génération, de la distribution, et surtout l’accélération des investissements au niveau du transport et le renforcement des réseaux. Nous vous en dirons plus lorsque cet exercice sera fini. Pour répondre à votre question, si le secteur électrique réduit sa consommation de fioul et de charbon, et permet l’injection de plus d’électricité de source renouvelable, la consommation de gaz du secteur devrait augmenter, oui.

- Ainsi, l’ONEE devrait s’approvisionner à terme aussi bien auprès de Chariot (Lixus-Anchois) qu’auprès de Sound Energy (Tendrara)…

- Oui. Ce sont des réserves qui pourraient nous permettre, si elles sont développées de manière judicieuse et prudente, de couvrir nos besoins au rythme actuel, sur au moins vingt ans.

Exploration : annoncer tant de réserves prouvées n'est pas suffisant, il faut vraiment arriver à développer ces ressources, et cela requiert d’autres types de compétences

- Les réserves prouvées à Tendrara et au large de Larache couvrent donc vingt ans des besoins de l’ONEE. Avez-vous espoir de nouvelles découvertes gazières ?

- L’exploration se poursuit dans plusieurs régions. Mais le Maroc reste un pays sous-exploré malgré des termes fiscaux qui sont très attractifs. Nous devons être le 2e ou 3e pays en termes d’attractivité dans l’amont pétrolier et gazier. Donc, il y a un problème quelque part.

Personnellement, je pense qu’en plus d’une gouvernance trop complexe et lourde pour le secteur – que nous essayons de simplifier −, une partie du problème venait également d’une faiblesse de capacités humaines et commerciales de nos acteurs gaziers, producteurs et consommateurs. L’accès au marché international du GNL est en train d’améliorer cela.

A Tendrara par exemple, où il avait été très difficile d’amener les parties prenantes à un accord, finalement signé en novembre 2021, une commission s’est rendue sur place la semaine dernière pour rendre compte de l’avancement des travaux, vu les retards.

Donc, je vais vous dire une banalité mais qui a son importance dans notre pays : dans un secteur qui a connu un déclin des investissements au niveau mondial depuis la crise financière de 2008, annoncer tant de réserves prouvées n'est pas suffisant, il faut vraiment arriver à développer ces ressources, et cela requiert d’autres types de compétences. Le plus important aujourd’hui est d’accompagner les partenaires pour financer les projets et commercialiser le gaz marocain.

Code gazier : notre but, je l'espère, c'est de rattraper le retard et de sortir rapidement une loi qui permette de libérer ce secteur

- Et comment sera l'avenir du gaz au Maroc ? Va-t-on se contenter de ce qui existe ou bien est-ce qu'on va développer l'utilisation et les usages du gaz dans les industries au Maroc, et pourquoi pas dans les foyers ? Pendant combien de temps va-t-on regazéifier en Espagne ?

- Nous avons déjà entamé un travail de simplification du code gazier qui avait été discuté par les différentes parties prenantes pendant les dernières années. Notre but, je l'espère, c'est de rattraper le retard et de sortir rapidement une loi qui permette de libérer ce secteur, en optimisant plusieurs aspects. L’objectif est de permettre aux entreprises de l'amont de pouvoir développer les ressources qu'elles trouvent et les accompagner dans le travail de commercialisation. Le but est également d’accompagner le secteur électrique dans sa sortie des sources polluantes et d’accueillir plus de renouvelables, et enfin d’inciter les industriels à acheter du gaz marocain tout en préservant leur compétitivité à l’export, surtout par rapport au marché européen.

Voici les grandes lignes sur lesquelles nous travaillons.

Notre objectif est de voir dans cinq ans une infrastructure gazière digne du XXIe siècle

- Qu’est-ce qui va changer plus précisément ? Vous avez évoqué la gouvernance…

- Il n’y aura pas énormément de changements, nous voulons surtout rendre la gouvernance plus transparente et simplifier les procédures. Nous voulons accompagner un secteur gazier bas carbone et lui donner la place qui lui revient dans un pays qui veut dépasser 52% de renouvelables, en ligne avec les hautes orientations royales.

La gouvernance doit accompagner l'essor de ce secteur avec ces grandes lignes dont je vous ai parlé : accompagner les opérateurs de l’amont, pouvoir livrer le gaz au juste prix au secteur électrique pour lui faire gagner sa transition et au secteur industriel pour améliorer sa compétitivité. Notre objectif est de voir dans cinq ans une infrastructure gazière digne du XXIe siècle, une infrastructure dans laquelle on pourrait éventuellement injecter de l'hydrogène. Si nous y arrivons, je pense que nous aurons gagné le pari.

- On attend aussi un appel d’offres sur les FSRU (Floating Storage Regasification Unit)...

- Nous sommes en effet en train de travailler dessus. J’espère un appel d'offres avant la fin de l'année sur l'infrastructure gazière. Ce sera donc une combinaison d'infrastructures parce qu'il ne suffit pas de ramener un FSRU et de le greffer quelque part. Vous le savez, il faut une vision intégrée et qui prenne en compte plusieurs paramètres, y compris la forte ambition du Royaume en matière de transition énergétique et de développement durable : l'essor des énergies renouvelables, la sortie de combustibles polluants et l'accès pour l’industrie à de la molécule compétitive. Pour un développement durable.

- L’infrastructure gazière, c’est quoi précisément ?

- Vous en saurez plus pendant l’été.

- On dit qu'il y aura par exemple un prolongement du gazoduc jusqu'à Jorf Lasfar... 

- Bien sûr, le vivier de consommation de Jorf Lasfar est très intéressant mais ce n’est pas le seul exemple. Sur nos 3.500 km de côte, nous regardons tous les points d'entrée. Il y a aussi Nador West Med, Tanger, Dakhla…

- Est-ce que le Maroc sera producteur ET exportateur de gaz ?

- Ah, toujours cette obsession d’exporter (sourire) ! Pour le développement du gaz marocain, le but à ce stade n'est pas de devenir exportateur. Le but, c'est d'accompagner le Maroc dans son Nouveau Modèle de développement : pour sortir des 3% de croissance économique et monter à 6%. Et nous ne pourrons pas atteindre 6% de croissance avec un secteur énergétique complètement bridé.

Il devient critique de libérer les énergies dans le secteur. Si nous avons assez de molécules et d'électrons pour exporter, Marhba. Mais tant que nous n’avons pas rattrapé les retards dans le deuxième pilier de mon triangle, celui de l’efficacité énergétique (objectif de 20% repoussé à 2030), tant que nos besoins de développement économique et social ne sont pas satisfaits, l’export de gaz est pour le moment un non-sujet au niveau stratégique.

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