Le changement climatique devient l’urgence absolue au Maroc (experts)

Réduction des précipitations et hausse de la température, baisse des ressources en eau, de l'irrigation et de l'offre en produits agricoles conduiront à une hausse des prix, et donc à une inflation plus élevée. Dressé par des experts marocains en changement climatique sondés par nos soins, le tableau est préoccupant.

Le changement climatique devient l’urgence absolue au Maroc (experts)

Le 30 mars 2023 à 17h30

Modifié 30 mars 2023 à 22h29

Réduction des précipitations et hausse de la température, baisse des ressources en eau, de l'irrigation et de l'offre en produits agricoles conduiront à une hausse des prix, et donc à une inflation plus élevée. Dressé par des experts marocains en changement climatique sondés par nos soins, le tableau est préoccupant.

  • Le réchauffement climatique s’est installé mais il va encore s’aggraver.
  • La baisse des apports d’eau va provoquer une baisse de la productivité agricole et une inflation.
  • le dessalement est la solution unique et incontournable.

Le changement climatique est bel est bien là. Le Maroc le subit de plein fouet. Contactés par Médias24, deux experts en la matière font le point sur la question.

Le changement climatique est bien installé au Maroc

Avant de dresser l'état des lieux du changement climatique au Maroc, Khalid El Rhaz, chef du service climat et changements climatiques à la Direction générale de la météorologie (DGM), rappelle que "notre planète a atteint un niveau de réchauffement d'environ 1,1 °C par rapport à la période préindustrielle. De ce fait, notre planète a connu une intensification des événements extrêmes, tels que les ouragans, les inondations, les sécheresses, les vagues de chaleur, les incendies de forêt, la déperdition des surfaces enneigées et bien d'autres".

"Au Maroc, la température moyenne de la dernière décennie a été la plus élevée depuis au moins quarante ans. Les dernières années ont été marquées par une sécheresse inédite depuis les années 1960. Plusieurs records de température quotidienne et mensuelle ont été battus lors des trois dernières années. D'autre part, et malgré l'épisode de sécheresse vécue, les événements de forte intensité de pluie ont continué de toucher plusieurs régions du pays pour causer des crues ou/et inondations (Casablanca 2021, Tanger 2021)."

Mohamed Jalil, expert en changement climatique et en ressources hydriques, confirme. Durant l’année en cours, "nous avons vécu un épisode de sécheresse extrêmement sévère qui a eu un impact important aussi bien sur la population rurale (déplacement vers les villes) et urbaine, que sur l’inflation des prix, l’activité économique par la perte d’emplois, et sur les questions d’ordre social. Il a ainsi rappelé que le Maroc était un pays très vulnérable au climat.

Un phénomène qui va encore s’exacerber

Selon nos deux sources, les choses vont empirer au Maroc, comme dans le monde. "Les projections futures du climat montrent que la région MENA (Moyen-Orient et Nord de l'Afrique) connaîtra une réduction pluviométrique annuelle, avec une augmentation du nombre de jours anormalement chauds sur notre pays", explique Khalid El Rhaz.

"Le Maroc se trouve dans une région relativement fragile et peu résiliente face au changement climatique", souligne pour sa part Mohamed Jalil. "Nous sommes déjà dans une situation précaire sur le plan des ressources en eau, qui sera aggravée par le changement climatique."

Et de noter : "Tous les modèles climatiques et les expertises s’accordent à dire qu’on doit s’attendre à une recrudescence des vagues de chaleur, à une multiplication des épisodes de sécheresse et à une réduction des précipitations en cumul saisonnier ou annuel."

Moins d'eau disponible dans les barrages, les nappes et pour l'agriculture

"Cela signifie que les différentes zones du pays connaîtront une baisse de la quantité d’eau reçue habituellement sur l’année, avec une très répartition inégale d'une saison à l'autre, qui aura comme conséquence : moins d’eau disponible dans les barrages, dans les nappes phréatiques et pour l’agriculture pluviale."

"L’agriculture, qui démarre normalement en septembre, connaîtra toujours des retards importants. On aura alors une perte importante du rendement des terres et, concomitamment, une accélération des phénomènes de désertification qui feront que les terres fertiles auront tendance à se rétrécir", poursuit Mohamed Jalil.

"Nous aurons également comme autre conséquence la réduction de l’enneigement. Les quantités de neige dans les montagnes seront réduites de manière importante, ce qui signifie moins de stock d’eau solide sous forme de neige qui va alimenter les sources. Tout cela peut être mis sous le même chapitre de la déplétion des précipitations liquides et solides, avec leurs conséquences en termes de réduction des ressources en eau."

Baisse de 15% à 20% des précipitations à l’horizon 2100

Selon le dernier rapport d’évaluation du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat des Nations unies, ndlr), "à l’horizon 2100, on doit s’attendre à une réduction de 15%, voire 20% des précipitations, qui va se traduire par le double en termes de quantité d’eau disponible. C’est-à-dire que quand on aura 15% de précipitations de moins, cela correspondra à une réduction de 30% des apports dans les barrages et les nappes phréatiques. Lorsque la réduction des précipitations sera de l’ordre de 20%, cela correspondra à une baisse de 40% des apports", ce qui est considérable.

"Paradoxalement, il y aura une augmentation très importante des pluies orageuses. On aura ainsi moins de pluie, mais le peu qui va tomber sera sous forme d’épisodes brefs (durant une journée ou deux), avec des pics très importants qui vont causer des inondations, des éboulements de terrain et un charriage important des matières solides dans les cours d’eau, qui vont aggraver davantage l’envasement des barrages, ainsi que la destruction massive d’un certain nombre d’infrastructures routières et ferroviaires, etc."

Le dessalement de l’eau de mer est "LA" solution

"Le changement climatique est donc là. Il est installé et réel. Aujourd’hui, tous les modèles techniques et les projections le corroborent. Ce n’est pas une chose que l’on découvre, mais que l’on connaît depuis très longtemps. Il vient toutefois amplifier la sécheresse qui relève plutôt de ce que l’on appelle la variabilité climatique. Il s’agit des précipitations qui varient d’année en année, d'une saison à l’autre, et entre le jour et la nuit. C’est une variabilité naturelle et cyclique (une année humide sur trois années de sécheresse par exemple)."

"D’ailleurs c’est sur cette variabilité que le Maroc s’est basé pour construire ses barrages, l’objectif était d’aplanir cette cyclicité et de stocker l’eau durant les années humides pour l’utiliser durant les années sèches. Cela avait très bien marché par le passé, sauf qu’à présent, cette vision de mobilisation des ressources en eau, en tenant en compte que la variabilité climatique, ne marche plus, puisqu’on a aussi la variable ‘changement climatique’, qui fait référence à une tendance à la baisse des précipitations à long terme."

Toujours d'après notre expert en ressources hydriques, "les politiques publiques au Maroc doivent absolument intégrer ce paramètre dans leur réflexion. On parle souvent du coût de l’action climatique, mais il existe aussi un coût à l’inaction climatique, qui peut être plus cher".

"Le Maroc a déjà commencé à travailler sur le sujet, notamment avec le dessalement de l’eau de mer. C’est un volet important puisqu’on a besoin d’eau potable pour l’industrie et pour l’agriculture. Ce n’est pas une solution parmi d’autres, mais LA solution", estime Mohamed Jalil. Il note qu’il "ne faut pas toutefois oublier de laisser un moratoire aux eaux souterraines pour qu’elles puissent re reconstituer, dans le cas où l'on aurait une pénurie très importante. On pourra à ce moment creuser des forages pour alimenter les villes".

D’autres solutions existent également, telles que la réutilisation des eaux usées et la collecte des eaux pluviales.

Tous les secteurs sont impactés, en particulier le secteur agricole

"En termes d'impact, la variabilité climatique de notre pays, matérialisée par une tendance à la baisse des précipitations et une augmentation des températures, se répercute essentiellement sur la disponibilité de la ressource hydrique ainsi que sur secteur agricole", souligne Khalid El Rhaz.

Mohamed Jalil indique, quant à lui, que "tous les secteurs sont touchés. Quand on parle de changement climatique, il y a toujours une notion importante qui revient, qui est le ‘nexus’. C’est la relation entre le climat, l’énergie et la sécurité alimentaire".

"Un nexus, c’est un triptyque. Le climat est lié à l’énergie de deux façons, d’abord parce que c’est avec l’énergie fossile que l’on pollue l’atmosphère (production des gaz à effet de serre), mais c'est aussi avec l'énergie qu'on essaie d’atténuer ces gaz (efficacité énergétique, énergie renouvelable, voitures électriques…)."

"Toute cette transition énergétique a un coût important. Elle implique la recherche de matériaux innovants pour faire des batteries par exemple, des plaques solaires, et des procédés nouveaux, qui vont créer une pression sur la matière première et qui conduiront par ricochet à la green inflation."

"En ce qui concerne la sécurité alimentaire, elle passe essentiellement par l’eau, mais aussi par l’agriculture. Celle-ci doit ainsi absolument être garantie, notamment par le développement de l’offre en eau. La priorité reste de garantir l'eau potable, puis l'eau d'irrigation."

L’inflation restera élevée

"Quand on parle de sécurité alimentaire, on parle également d’agroalimentaire, sauf que quand on a moins d’eau pour les barrages, on a une perte de rendement extrêmement importante, et par conséquent, un surenchérissement de la production agricole qui va se profiler dans le futur", nous confie Mohammed Jalil.

"Aujourd'hui, l’agriculture a une très grande empreinte d’eau. Celle-ci deviendra plus rare, moins disponible, et plus chère à produire, et cette cherté se répercutera directement sur les prix des différents produits agricoles, d’origine animale ou végétale. On ira donc encore plus sur une inflation due au changement climatique."

"Tout le monde s’accorde à dire que le changement climatique va s’accompagner d’un réchauffement global, d'un assèchement et de la détérioration des sols, d'une baisse des ressources en eau, et donc d'une réduction des surfaces à irriguer. En conséquence, il y aura moins d’offre pour la population, moins d’achalandage pour les produits agricoles, mais toujours plus de demande, dans la mesure où la population ne cesse d'augmenter, et donc des prix qui vont certainement flamber."

"Aujourd’hui nous nous retrouvons avec une inflation domestique, qui a été aggravée par des phénomènes externes (Covid-19, guerre en Ukraine), mais qui est entretenue par des phénomènes internes, et essentiellement l’impact du changement climatique."

Passer d’une gestion de crise à une gestion de risque

Mohamed Jalil tire la sonnette d'alarme. "Il faut absolument que nos politiques publiques (Etat et régions) s’inscrivent dans l’action, dans la gestion proactive, et donc dans une vision de gestion de risque plutôt que de gérer des crises. Jusqu’à présent, on est inscrit dans une politique de gestion de crise. Lorsqu’on a eu des moments critiques cette année, on ne savait pas si on avait assez d’eau potable pour la population. Il a fallu réduire les débits dans plusieurs villes. Il faut absolument que les régions aient les moyens nécessaires pour être plus proactives."

Sur le volet réglementaire, "il faut être plus ferme dans l’application des lois existantes, lors des usages irrationnels de l’eau. En ce qui concerne l’énergie, il faut absolument que l'on puisse produire de l’énergie à des coûts moins chers, développer de l’hydrogène vert et, surtout, faire de la recherche et développement. Nous devrions également auditer la stratégie Génération Green à mi-chemin, notamment sur le plan de l’empreinte eau et énergie", conclut notre interlocuteur.

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