Eau : “les stratégies nationales sont excessivement optimistes” (experts marocains)

LIVRE BLANC. Des experts marocains, notamment de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, formulent des recommandations pour la gestion de l'eau au Maroc. Dans un livre blanc, ils insistent sur l'importance de la réforme de la gouvernance et la prise en considération de la demande comme de l'offre.

Eau : “les stratégies nationales sont excessivement optimistes” (experts marocains)

Le 21 novembre 2022 à 17h38

Modifié 21 novembre 2022 à 19h10

LIVRE BLANC. Des experts marocains, notamment de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, formulent des recommandations pour la gestion de l'eau au Maroc. Dans un livre blanc, ils insistent sur l'importance de la réforme de la gouvernance et la prise en considération de la demande comme de l'offre.

Une trentaine d’experts marocains spécialisés dans la problématique de l’eau, réunis en groupe de réflexion, ont publié un livre blanc où ils livrent leur analyse de la sécurité hydrique au Maroc, et émettent des recommandations à destination des décideurs et de l’opinion publique.

Dans ce rapport de 69 pages, les experts, pour la plupart lauréats de l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, tirent la sonnette d’alarme sur la situation du Royaume, marquée par un stress hydrique qui n’est plus conjoncturel mais bien structurel.

Ils insistent sur le renforcement du cadre de gouvernance afin d’assurer une gestion efficace des ressources en eau, tant du point de vue de l’offre que de la demande.

Une situation alarmante qui va en empirant

Ils relèvent les difficultés liées à la disponibilité de données fiables et à jour, nécessaires à l’établissement d’un diagnostic précis. Si la loi sur l’eau prévoit bien la mise en place d’un Système national d’information sur l’eau (SNIE), elle tarde à se concrétiser. Parmi les recommandations du livre blanc figure ainsi l’accélération de cette mise en place.

Les experts avancent que le chiffre des 18 milliards de m3 des ressources annuelles en eau de surface annoncées par la Stratégie nationale de l’eau en 2018 n’est plus d’actualité et que, durant la dernière décennie, les disponibilités se situaient plutôt entre 10 et 15 milliards de m3.

Les simulations faites par le Département de l’eau, tenant compte des changements climatiques, évaluent le volume mobilisable à l’horizon 2050, sans aménagement complémentaire, à 13 milliards de m³ par an en moyenne (soit une baisse de 11% par rapport à 2020) ; et prévoient une hausse de la demande à 20 milliards de m³ par an, soit un bilan déficitaire de 7 milliards de m³ par an.

Les experts estiment que les stratégies nationales pour le comblement total du déficit à l’horizon 2050 sont « excessivement optimistes ». En particulier, les objectifs de mobilisation d’un volume supplémentaire de 3 milliards de m3 par an à partir des barrages (en plus de 1,5 milliard de m3 par an à partir de sources non conventionnelles), et de réduction de la demande annuelle de 2,5 milliards de m3 par an d’ici 2050, paraissent difficiles à atteindre.

Du côté de la demande, le rapport estime que les deux seules véritables sources d'économie d’eau, qui permettraient de résorber le déficit au niveau des bassins hydrauliques, sont la réduction des prélèvements par l’irrigation privée et la réduction des pertes dans les systèmes d’alimentation en eau potable.

Incohérence des politiques sectorielles

Les experts relèvent par ailleurs des problèmes d’incohérence des politiques sectorielles et d’inefficacité des organes d’arbitrage. « Les orientations stratégiques et les pratiques des secteurs utilisateurs de l’eau ne sont généralement pas en harmonie avec le Plan national de l’eau, en ce qui concerne aussi bien les quantités d’eau prévues par ces secteurs que les mesures nécessaires pour la protection de la qualité de la ressource », note le rapport.

Ces problèmes trouvent leur source dans des déséquilibres ou insuffisances de la gouvernance, estime les experts. La loi 36-15 sur l’eau est de nature à garantir une gestion durable des ressources en eau. Or, d’après le rapport, l'absence d’application d’une partie de l’arsenal juridique existant en limite sévèrement les bénéfices attendus. C’est le cas, à titre d’exemple, de la non-application du principe ‘’utilisateur payeur’’ pour les eaux souterraines, et du règlement relatif au creusement de puits illicite.

Un déficit de participation des usagers est également observé. « Dans le cas particulier des contrats de nappe, la représentation des usagers dans les comités de nappe ne permet pas leur engagement effectif. En conséquence, les usagers ne se sentent pas engagés, et les associations d’usagers d’eau agricole sont dans la plupart des cas non fonctionnelles. »

Un gestion de l'offre qui atteint ses limites et devient inefficace

D’un autre côté, le rapport indique qu’en termes de gestion de l’offre, la stratégie du Royaume a obtenu des résultats probants, notamment grâce à la construction de barrages dès 1960. Cependant, la politique d’augmentation de l’offre tend vers ses limites et devient de plus en plus inefficace, surtout avec la pénurie d’eau qui est devenue structurelle.

« Construire des barrages additionnels dans des bassins clos où il n’y a presque pas d’écoulement vers la mer, où le désert n’aura aucun effet significatif sur l’augmentation effective des volumes d’eau utilisés au niveau du bassin,» ne présente pas d'intérêt.

Pour ce qui est des eaux non conventionnelles, et notamment le dessalement de l’eau de mer, le rapport conclut que malgré la baisse des coûts, l’eau dessalée reste trop chère pour une utilisation importante en agriculture ; son utilisation ne peut être envisagée que pour des cultures à très haute valeur ajoutée, et par des agriculteurs ayant la capacité de payer ce surcoût.

En ce qui concerne la réutilisation des eaux usées épurées, les experts estiment que la qualité des eaux traitées reste médiocre en raison des faibles performances des stations d’épuration et du non-respect des normes de rejet en milieu naturel.

Une gestion de la demande quasi inexistante

Par ailleurs, le rapport est assez virulent quant à « l’absence quasi totale de la gestion de la demande d’eau, hormis un balbutiement en période de pénurie d’eau ». Ce qui se manifeste par « l’anarchie qui règne dans les prélèvements illicites d’eau souterraine et d’extension des superficies irriguées à partir des nappes, encouragée par les subventions à l’irrigation localisée et aux plantations ».

Enfin le rapport déplore le fait que les allocations soient réservées essentiellement à la construction de barrages, et que les incitations financières ne soient pas toujours alignées avec la gestion de la rareté de l’eau, notamment dans le secteur de l’irrigation.

Synthèse des recommandations du livre blanc

Amélioration de la connaissance des ressources en eau et des impacts du changement climatique

  • Sensibiliser les décideurs et l’opinion publique aux impacts des changements climatiques en vue d’intégrer cette donne dans toutes les politiques publiques, à même d’accroître la résilience du pays face à ce phénomène.
  • Accélérer l'établissement et l'opérationnalisation d’un Système national d’information sur l’eau, intégré, accessible et régulièrement mis à jour.
  • Renforcer le système Recherche et Développement dans les domaines du climat et de l'eau.
  • Mettre en place un système de comptabilité de l’eau à l’échelle des bassins hydrauliques.

Optimisation de la gestion de l’offre

  • Entreprendre une campagne de communication pour faire prendre conscience aux politiciens et au public que le potentiel d’augmentation de l’offre est très limité et qu’il est désormais nécessaire d’adapter la demande aux ressources en eau renouvelables disponibles.
  • Optimiser le programme de construction de nouveaux barrages grands et petits en ciblant ceux qui ont une efficacité certaine, une rentabilité économique prouvée et un minimum d’impacts négatifs sur les plans social et environnemental, et mettre à la disposition du public les études de justification économique et d’impacts correspondantes.
  • Entreprendre une évaluation approfondie et l’actualisation du Plan national d’aménagement des bassins versants avec la participation de toutes les parties concernées.
  • Promouvoir le dessalement de l’eau de mer principalement pour l’alimentation en eau potable et, accessoirement, pour l’irrigation de cultures à très haute valeur ajoutée, dans les zones où les agriculteurs ont la capacité de payer le coût de l’eau dessalée.
  • Promouvoir la réutilisation des eaux usées épurées, notamment pour l’arrosage des espaces verts, et définir le cadre institutionnel et financier pour l’amélioration des niveaux de traitement en vue de la réutilisation en agriculture.
  • Faire contribuer les opérateurs d’eau au financement des ouvrages de mobilisation en vue d’optimiser les investissements, d’alléger le fardeau de l’État et d’inciter à l’économie d’eau tout en veillant à minimiser l’impact sur les usagers les plus pauvres.

Renforcement de la gestion de la demande

  • Réviser les règles d’allocation inter et intra-sectorielle de l’eau pour une plus grande équité entre les différents usages et usagers, et pour une meilleure préservation du milieu naturel.
  • Dans les périmètres de GH et de PMH irrigués principalement à partir des eaux de surface, renforcer les programmes d’amélioration de l’efficience hydraulique au niveau du transport, de la distribution et de la parcelle, afin de réduire le déficit hydrique par rapport aux besoins des cultures.
  • Dans les zones d’irrigation privée où la ressource en eau est surexploitée, instaurer des périmètres de sauvegarde ou d’interdiction, et y entreprendre une batterie de mesures volontaristes de réduction de la demande en concertation avec les usagers, comprenant entre autres : la régularisation des points de prélèvement, l’interdiction de l’extension de l’irrigation, le contrôle strict des prélèvements d’eau, la suppression des subventions à l’extension de l’irrigation.
  • Dans les périmètres urbains, intensifier les efforts de détection de fuites et de réhabilitation au niveau des systèmes de transport et de distribution, et adapter la conception et la gestion des espaces verts à la raréfaction des ressources en eau.
  • Pour l’ensemble des usagers et des usages, entreprendre des campagnes intensives et soutenues de sensibilisation sur la valeur de l’eau et sur la nécessité de sa préservation, et adopter des systèmes de tarification permettant l’équilibre financier des opérateurs et incitant à l’économie de l’eau.

Amélioration de la gouvernance

  • Libérer le potentiel du cadre légal et réglementaire en accélérant la promulgation des textes d’application manquants de la loi 36-15 et en veillant à l’application de manière stricte de toutes les dispositions de ces textes, ce qui nécessite un renforcement significatif des capacités des ABH et l’instauration de mécanismes permettant l’instruction rapide des délits (cours spécialisées, experts agréés, etc.).
  • Clarifier les responsabilités des institutions impliquées dans le secteur de l’eau et harmoniser leurs stratégies : séparer les missions de définition des politiques des missions opérationnelles de construction et de gestion des infrastructures, redynamiser les instances de concertation et de coordination (CSEC, CIE, CBH, etc.), imposer une évaluation d’impact sur les ressources en eau pour tous les grands projets d’investissement publics et privés.
  • Responsabiliser les acteurs par la promotion de la participation effective des usagers de l’eau, à travers des associations représentatives, et par la mise en place d’un système efficace de suivi-évaluation basé sur les résultats des politiques et programmes du secteur de l’eau par une entité indépendante.
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