“Fatema. La sultane inoubliable”, le narrateur et le narrataire

Un compte rendu, signé Abdallah Najib Rfaif, du film “Fatema, la sultane inoubliable” réalisé par Mohamed Abderrahman Tazi, qui retrace la vie de Fatema Mernissi, figure emblématique du féminisme au Maroc.

“Fatema. La sultane inoubliable”, le narrateur et le narrataire

Le 11 octobre 2022 à 16h17

Modifié 11 octobre 2022 à 16h58

Un compte rendu, signé Abdallah Najib Rfaif, du film “Fatema, la sultane inoubliable” réalisé par Mohamed Abderrahman Tazi, qui retrace la vie de Fatema Mernissi, figure emblématique du féminisme au Maroc.

“Une histoire, de quelque façon qu’on la raconte, de quelque façon qu’elle se transmette, implique nécessairement quelqu’un qui la raconte et quelqu’un à qui elle est racontée, disons un narrateur et un narrataire. Le narrateur, c’est l’auteur, le narrataire, c’est le public (auditeur, lecteur, spectateur).”

Cette citation tirée d’un petit livre (rédigé par deux excellents scénaristes, Jean-Claude Carrière et Pascal Bonitzer et intitulé Exercice du Scénario) semble aller de soi. Mais ce n’est qu’une apparence, car si l’auteur tente de plaire au public et d'attirer son attention pour le séduire et lui plaire, cela entraîne - comme le démontreront plus loin les deux scénaristes - des conséquences dans la trame même de l’histoire.

C’est parfois ce qui arrive lorsqu’on fait le choix de raconter la vie d’une personne, rédiger sa biographie dans un ouvrage ou en réaliser un film pour le cinéma ou la télé, c’est-à-dire lorsqu’on opte pour un biopic (Biography picture ou film biographique).

Ceux qui, en la matière, font le choix d’un documentaire ou d’un “docufiction” ont d’autres soucis qui leur sont propres. Maintenant, si toute narration est une histoire, toute histoire n’est pas toujours une fiction. Et c’est justement ce qui rend le film biographique - genre apprécié partout dans le monde par le public au cinéma comme à la télé - très délicat à évaluer en termes de vraisemblance et de véracité. Deux notions qui sont à la vérité ce que l’imitation est à la réalité, l’art difficile étant de trouver un équilibre entre la poésie de la vraisemblance et la sobriété prosaïque de la véracité. C’est-à-dire entre l’esthétique chaleureuse de la vraisemblance et l’éthique froide du reportage.

C’est un peu ce que le réalisateur expérimenté Mohamed Abderrahman Tazi a tenté dans le biopic Fatema. La sultane inoubliable, sur la sociologue prolifique et féministe de la première heure, Fatema Mernissi, décédée il y a six ans.

D’abord, il y a cette femme au charisme flamboyant dont l’altruisme autant que la capacité d’écoute n’avaient d’égal que son sens de l’humour et de l’autodérision. De plus, son statut de sociologue, à une époque où cette science dite humaine relevait de la subversion aux yeux des autorité, en faisait une intellectuelle rare parce que chercheuse de terrain chez les gens de peu. Et pire encore, pour les autorités comme pour les esprits rétrogrades, c’est une femme qui appelle au respect des droits des femmes et milite par la plume, l’action et la parole pour l’égalité des sexes.

C’est tout cela que le réalisateur a mis en exergue dans son film à partir d’un point de vue qui est sien, et qui est d’autant plus subjectif que Mohamed Abderrahman Tazi est le cousin de Fatema Mernissi.

Point de vue familial, diront certains ? En effet, au cinéma, plus peut-être que dans toute autre expression artistique, la règle technique du point de vue narratif est primordiale. On parle même du point de vue omniscient, c’est-à-dire lorsque le narrateur en sait plus que les autres personnages ou que le narrataire.

A ce sujet, et pour citer encore une fois le maestro du scénario qu’était Jean-Claude Carrière, ce dernier aimait distinguer les histoires en trois catégories :

- celle racontée par quelqu’un qui la connaît à des gens qui la connaissent aussi : le conte par exemple ou la vie d’un personnage historique ;

- celle racontée par des gens qui la connaissent à ceux qui ne la connaissent pas : la majorité des fictions imaginées, films policiers et autres histoires dont on ne veut pas “divulgacher” (spoil) la fin ;

- enfin quelqu’un qui raconte une histoire qu’il ne connaît pas à des gens qui la connaissent encore moins. Et là, on a affaire à de l’improvisation type Godard (lorsqu’on a du talent et des raisons intellectuelles disruptives ou conceptuelles déstructurantes, ou alors simplement par incompétence et confusion, comme c’est le cas de certains de nos cinéastes).

Loin de toute confusion, Mohamed Abderrahman Tazi, lui, a fait appel à ses propres souvenirs pour raconter des tranches de vie de Fatema Mernissi, personnage public et connu. D’emblée, il est vrai, il n’a pas caché ses liens de parenté avec la protagoniste principale, et c’est même là un point de vue original et résolument personnel pour réaliser un biopic.  D’autant que ce film devait être réalisé du vivant de la sociologue, mais ne l’a été que six ans après son décès. Sans doute avec moins de distance historique, mais non sans avoir utilisé les matériaux, documents et autres témoignages amassés depuis des années. C’est ce qui a fait de ce film, au-delà de ses qualités documentaires, une œuvre d’art authentique que la belle prestation de l’actrice Meryem Zaimi, incarnant Fatema Mernissi, a rehaussée en renforçant sa vraisemblance sans tomber dans un mimétisme de mauvais aloi.

Ce film biographique de Mohamed Abderrahman Tazi, en plus de rendre hommage à une femme de qualité, enrichit la filmographie patrimoniale marocaine qui gagnerait à diversifier sa production en revisitant, afin de mettre en valeur, l’histoire, le passé du pays et les personnages qui ont contribué à son rayonnement. “Toute création authentique, disait Camus, est un don à l’avenir.”

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