Les libraires croisent le fer avec les distributeurs et les réseaux de contrefaçon

Hassan El Kamoun, président de l’Association des libraires indépendants du Maroc, déplore une double concurrence déloyale : celle exercée par les sociétés de distribution d’ouvrages et les réseaux de vente de livres contrefaits.

Les libraires croisent le fer avec les distributeurs et les réseaux de contrefaçon

Le 22 mars 2021 à 15h45

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Hassan El Kamoun, président de l’Association des libraires indépendants du Maroc, déplore une double concurrence déloyale : celle exercée par les sociétés de distribution d’ouvrages et les réseaux de vente de livres contrefaits.

La crise n’est pas le seul facteur impactant chez les libraires. Ces derniers se heurtent en effet à deux autres problématiques qui les fragilisent tout autant.

Joint par Médias24, Hassan El Kamoun expose en quelques mots la première problématique : "La chaîne du livre au Maroc n’est pas respectée. En principe, voilà comme les choses doivent se passer : les importateurs importent les livres et les vendent aux distributeurs ; les distributeurs les vendent aux libraires ; les libraires les vendent aux clients. Or depuis trois, quatre ans, les distributeurs court-circuitent les libraires et vendent directement aux clients."

Le problème est apparu "vers 2014", précise Hassan El Kamoun : "Avant 2014, il n’y avait pas de sociétés marocaines qui importaient les livres ; seulement des sociétés françaises. Mais l’entrée sur le marché de sociétés marocaines importatrices a changé la donne : on a assisté à des ventes directes auprès des universités, des écoles, des bibliothèques publiques... Ces sociétés leur octroient 30% de remise contre 25% pour nous, libraires, alors qu’elles ne sont pas censées octroyer de remise aux clients, mais aux revendeurs, c’est-à-dire aux libraires."

Malgré la concurrence déloyale, les libraires ont besoin des distributeurs

"Le non respect de la chaîne du livre, c’est effectivement un gros problème pour les libraires", s’inquiète un membre de l’Association des libraires indépendants du Maroc, contacté par Médias24. "Les distributeurs, qui bénéficient de la part des éditeurs français d’une remise leur permettant d’assurer la distribution, c’est-à-dire de conserver leur marge tout en vendant aux libraires, vendent directement aux écoles, aux universités… En fait, les distributeurs concurrencent leurs propres clients. Dans certains cas, ils ont même l’exclusivité : les libraires ne peuvent s’approvisionner que chez eux. C’est pour cela qu’ils n’entameront jamais d’action en justice contre leurs distributeurs : ils ont trop besoin d’eux", nous explique ce libraire.

Si les commandes que les libraires assurent via des marchés publics (établissements scolaires et universitaires, bibliothèques, institutions culturelles) sont si importantes, c’est parce que "dans aucun pays au monde, une librairie ne parvient à survivre en vendant uniquement aux particuliers : elle a besoin des commandes des collectivités", souligne notre interlocuteur. Et d’ajouter : "Or là, les distributeurs nous prennent le gros du marché en faisant en sorte qu’on ne puisse pas s’aligner sur les mêmes prix qu’eux. Il y a donc toute une partie du marché à laquelle les librairies n’ont pas accès car elles n’ont pas les moyens de s’aligner sur les prix que proposent les distributeurs. C’est un manque à gagner qui fragilise considérablement les librairies. Il faut dire aussi que le travail de diffusion mené par les distributeurs est très léger au Maroc ; il n’y a pas d’investissements massifs pour informer les libraires des sorties de livres."

Des promotions imbattables

Il y a également d’autres prix sur lesquels les libraires ne peuvent pas s’aligner : ceux des livres contrefaits vendus sur les réseaux sociaux, dans la rue ou, parfois, sur des sites d’achats en ligne, c’est-à-dire via des canaux parfaitement officiels. "Ces livres sont vendus à des promotions imbattables : cinq livres à 150-200 DH, dix livres à 100-120 DH. Sur les réseaux sociaux, les commentaires affluent ; les gens sont très demandeurs. La situation actuelle, marquée par la crise, favorise ce genre de pratiques : la clientèle cherche des livres pas chers", déplore Hassan El Kamoun.

"Je ne saurais évaluer l’impact de la crise sur les ventes de livre contrefaits, mais je pense que les vrais lecteurs n’achètent pas les livres issus de la contrefaçon ; ils sont sensibles au fait qu’il y a des auteurs à payer", tempère ce membre de l’association. Et d’ajouter : "En revanche, je pense que cette pratique pousse certains acteurs à se mettre sur le marché de la contrefaçon car ils y voient une opportunité." Ce que confirme Hassan El Kamoun, lorsqu’il nous dit que "même certains libraires se mettent à vendre des livres contrefaits".

"Ceci dit, les autorités ne sont pas assez strictes face à ce problème", estime ce membre. Une saisie record de milliers de livres piratés dans des entrepôts à Salé et Casablanca avait pourtant été effectuée en avril 2018 : des descentes simultanées avaient permis de révéler les activités de revendeurs qui détenaient plus de 2.000 cartons de livres. "C’est toujours délicat, surtout dans des périodes économiques difficiles, de venir embêter les vendeurs de rue qui font vivre leurs familles. Mais si on laisse s’installer ce phénomène, à terme, l’industrie du livre au Maroc risque de finir comme l’industrie du film, qui est aujourd’hui inexistante puisqu’on trouve des films partout à 10 DH. Dans ce contexte, il est impossible de lancer une offre légale de films car les autorités ont trop laissé s’installer ces contrefaçons."

Plusieurs courriers de protestation ont été envoyés au procureur du roi de Rabat, "mais ils sont restés lettre morte", regrette Hassan El Kamoun. En juin prochain, son association, en partenariat avec la Maison de la Presse à Tanger, organisera "l’appel de Tanger". L’évènement réunira tous les acteurs du livre et de l’édition (éditeurs, écrivains, importateurs, diffuseurs et libraires) et doit connaître la création d’un "observatoire pour la protection du livre", "avec la participation du ministère de la Culture". Affaire à suivre, donc.

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