Figuig : voici les causes historiques et récentes de l'expulsion des fermiers

Dans quelques heures, 30 fermiers marocains désemparés devront abandonner leurs terres à El Arja, à la demande des autorités algériennes. De 1901 à mars 2021, voici le récit de "l'affaire de Figuig" racontée par des experts.

Figuig : voici les causes historiques et récentes de l'expulsion des fermiers

Le 16 mars 2021 à 19h57

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Dans quelques heures, 30 fermiers marocains désemparés devront abandonner leurs terres à El Arja, à la demande des autorités algériennes. De 1901 à mars 2021, voici le récit de "l'affaire de Figuig" racontée par des experts.

"Temporaire et conjoncturelle", c'est ainsi que la province de Figuig décrit, dans le premier communiqué officiel des autorités marocaines, daté de ce mardi 16 mars, la décision des autorités algériennes qui consiste à interdire aux fermiers de Figuig l'accès à la zone "El Arja", située à la frontière maroco-algérienne. 

Or, dans la zone concernée par cette interdiction, se trouvent des terrains abritant 15.000 palmiers appartenant à une trentaine de fermiers marocains forcés de quitter les lieux par les autorités algériennes avant le 18 mars 2021. 

Selon le même communiqué marocain, le gouverneur de la région de Figuig a rencontré les personnes concernées par cette situation afin "d'examiner les solutions possibles pour atténuer les répercussions de cette décision sur les exploitants de ces terres agricoles".

Ces derniers ont commencé, depuis le 14 mars, à se préparer pour défendre leurs droits et projettent d’organiser une manifestation le 18 du mois courant, même si, en parallèle, ils ont passé les derniers jours à déménager tout ce qu'ils sont en mesure de déplacer. 

Des plaques solaires, pompes, troupeaux..., tout y passe, même des plants mâles de dattiers ont été déracinés par les exploitants qui n'ont plus que 48 heures pour quitter les lieux où “des militaires algériens ont déjà installé leurs tentes”, nous déclare Boubkeur Largou, président de l’OMDH (organisation marocaine des droits humains), considéré comme une référence dans ce dossier.

Dans la ville, les rassemblements de protestation se succèdent tandis que les pages Facebook montrent un ballet de camions déménageant les objets, les bêtes et les plants. Toutes les sources décrivent une ambiance lourde, visible d'ailleurs sur les innombrables vidéos. Une ambiance lourde, triste, tragique.

Tentes des militaires algériens installées dans la zone concernée

“Certains de ces fermiers habitaient sur place. Aujourd’hui, ils démontent portes et fenêtres pour partir avant le 18 mars”, nous explique un militant à Figuig. 

Ce dernier, qui connaît de près tous les exploitants, décrit une ambiance de deuil dans la région. Selon lui, certains de ces fermiers sont en dépression car ils sont dans l’incompréhension et contraints d’abandonner leur gagne-pain et les terres qu’ils exploitent depuis des décennies et ce, sans aucune compensation financière, sans aucune aide des autorités et "sans même bénéficier d'une écoute suffisante". 

De surcroît, les explications obtenues jusqu'à présent, “ne constituent qu’un leurre pour mettre fin aux protestations”, accuse Abdelmalek Boubekri, l’un des fermiers concernés. 

Une interdiction "temporaire qui prendra fin avec la pandémie", selon l'ambassade algérienne citée par le Pacha

Contacté par nos soins, M. Boubekri affirme que ce mardi 16 mars, le Pacha de Figuig a rencontré de nombreux exploitants lésés et leur a transmis l’explication de l’Ambassade algérienne, selon laquelle “la mesure d’interdiction d’accès à El Arja n’est pas définitive et prendra fin en même temps que la pandémie”.

Selon notre interlocuteur, “le pacha nous a aussi informés que les gendarmes et soldats marocains vont s'interposer et nous interdire l’accès vers les zones concernées afin de nous éviter un affrontement avec les militaires algériens”.

Pour M. Boubekri, il ne s’agit pas uniquement d’une perte de biens mais aussi d’un héritage, car “ces terres ont été héritées de père en fils. Mon père y travaille depuis les années 60 et j’ai commencé à l’y accompagner depuis mes 10 ans. Aujourd’hui j’en ai 71 et je ne peux pas repartir de zéro", confie-t-il avec émotion. 

Que se passe-t-il exactement dans la zone “El Arja” ? Pourquoi ces fermiers sont-ils contraints de quitter leurs propriétés ? S’agit-il d'un territoire marocain ou algérien ? Qui doit indemniser ces exploitants ? Voici les éclairages de notables de la région, experts en droits humains et historiens. 

"En un mois, ces personnes sont passées de l’espoir à l’abattement"

Tout a commencé il y a près d’un mois, lorsque les autorités algériennes ont sommé les fermiers marocains de quitter les terres dans un délai de 3 jours qui a été prolongé à un mois, après négociations. 

Surpris, les trente fermiers se sont dirigés vers les autorités marocaines (pacha et gouverneur) pour demander des explications mais ces derniers semblaient, a priori, ne pas être au courant de l’affaire. 

“Au début, ils ont déclaré ignorer la situation, puis les médias ont tout démenti et qualifié de rumeur toute revendication d’évacuation, mais par la suite tout s’est avéré réel”, nous explique le militant à Figuig, joint par Médias24. 

“Ces personnes sont passées de l’espoir à l’abattement. Du jour au lendemain, on leur dit de tout quitter et que c’est un terrain algérien pas marocain. Il est tout à fait normal de les retrouver en dépression et endeuillés aujourd’hui”, poursuit-il. 

S’agit-il vraiment d’un territoire algérien ? 

Retour sur les accords bilatéraux 

Joints par Médias24, le militant des droits humains Boubkeur Largou et l’historien Mostafa Bouaziz nous replongent en 1901, lorsqu’une convention a été signée entre l’Algérie française et le Royaume chérifien. 

“Selon cette convention, les Figuiguis et les tribus Amour ont le droit d’exploiter ces terres, parce que la quasi-totalité des palmiers des Figuiguis étaient en Algérie”, nous explique M. Largou. 

C’est ce que confirme M. Bouaziz. Selon lui, “l’accord de 1901 avec la France permettait à ces populations d’aller exploiter leurs terres sans aucune entrave”. 

De plus, comme le précise M. Largou, “cette convention a été rappelée dans l’accord de 1972 relatif au tracé de la frontière d’Etat établi entre le Royaume du Maroc et l’Algérie”. Mais “c'est l’application ambigüe de ce texte qui explique, en partie, la situation actuelle”, indique M. Bouaziz. 

Selon ce dernier, “en droit international, lorsqu’il y a des crêtes et des hauteurs à la frontière d’un pays, ce sont les hauteurs qui forment la frontière. L’idée étant de ne pas donner l’avantage à un pays sur un autre en cas de conflit, car celui qui détient les hauteurs gagne la guerre. Lorsqu’il n’y a ni crêtes ni hauteurs, ce sont les cours d’eau qui constituent la frontière. Dans le cas d’espèce, il se trouve qu’en plus des hauteurs, il y a un cours d’eau qui passe dans le territoire marocain, traverse la frontière et va vers l’Algérie. 

“En 1972, le régime algérien a tracé la frontière sur le cours d’eau en s’accaparant les hauteurs. Mais les populations qui ont leurs terres des deux côtés du cours d’eau n’ont pas été informées. Aujourd’hui, elles paient le prix d’un conflit frontalier qui a duré longtemps.

“Le régime algérien dit qu’il s’agit de son territoire d’après le traité de 1972, mais pour les populations ce sont leurs propriétés. Elles disposent d’actes adoulaires pour le prouver et selon le droit international, la souveraineté n’aliène pas la propriété privée”. 

Autrement dit, “si le régime algérien considère que ces gens doivent sortir, il doit donc indemniser les propriétaires”.

M. Largou a suivi un raisonnement identique. Pour lui, “il faut distinguer entre souveraineté étatique et propriété privée, puisque pour exproprier une personne, il faut l’indemniser”. 

Mais le volet historique n’est pas la seule explication derrière la situation actuelle d’El Arja. Pour Mostafa Bouaziz, cette problématique a aussi un aspect conjoncturel. 

“C’est de la provocation pure et simple” 

“Le régime algérien est dans une situation difficile. Le pays est en train d’essayer de provoquer un conflit avec l’Etat marocain afin de drainer les colères intérieures vers le conflit extérieur”, accuse M. Bouaziz. 

Une explication sur laquelle s’accordent tous nos interlocuteurs. 

En effet, selon le militant à Figuig, “l’Algérie essaye de détourner les regards du hirak vers des conflits externes. C’est 100% politique. Il s’agit d’une provocation pure et simple. Et si le Maroc n’intervient pas, c’est compréhensible mais à la fois malheureux pour les fermiers et pour le Royaume qui perd son territoire partie par partie. Pourtant, historiquement, toute la région est marocaine”. 

Si le militant parle d’une perte de territoire “partie par partie” c’est parce que l’affaire actuelle n’est pas une première. 

“C’est déjà arrivé au ksar de Ouled Zenaga. On leur a pris des milliers de palmiers en 1972. A l’époque, un petit barrage avait été construit pour arroser les palmiers, mais il a été détruit car les palmiers et les jardins ont été pris par l’Algérie”, ajoute-t-il. 

Réaction des habitants : protestations et bataille juridique en vue

A quelques jours de l’expiration du délai, les victimes sommées d'évacuer leurs propriétés ont décidé de s’organiser afin de défendre leurs droits. 

Pour ce faire, des commissions seront créées pour réagir sur le plan juridique mais aussi financier et moral.

Dans ce sens, une commission juridique sera chargée d’analyser les accords internationaux afin de déterminer vers quelle institution internationale se diriger pour porter les griefs de ces fermiers. Une autre commission dite "de soutien" aura pour objectif d'accompagner financièrement et moralement les personnes lésées. 

Pour sa part, M. Largou estime qu’une intervention urgente doit être faite pour indemniser ces exploitants. “Il faut qu'on leur donne des terres à côté de Figuig et qu’on les indemnise car ils ont perdu beaucoup d'argent”. 

“Un état des lieux sera fait par l’OMDH qui va établir un mémorandum sur ce sujet. Il y a plus de 10 ans, nous avions déjà fait, avec des associations, un plaidoyer pour ces terres-là. Nous l’avions adressé au Parlement et aux partis politiques mais il n’y a pas eu de suite”, ajoute-t-il.

Quant à M. Bouaziz, il conclut que "la solution durable et équitable réside dans la construction du Maghreb et l'intégration positive des économies de la région". 

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