Modèle de développement: écouter le “populisme” ambiant a aussi des vertus

La commission Benmoussa a orchestré un joli coup de com’ en invitant des figures connues des réseaux sociaux pour relayer la parole des Marocains qui les suivent. Un débat au ton libre, où tous les tabous ont sauté, et qui a connu un grand succès auprès du public.

Modèle de développement: écouter le “populisme” ambiant a aussi des vertus

Le 21 septembre 2020 à 19h28

Modifié 10 avril 2021 à 22h54

La commission Benmoussa a orchestré un joli coup de com’ en invitant des figures connues des réseaux sociaux pour relayer la parole des Marocains qui les suivent. Un débat au ton libre, où tous les tabous ont sauté, et qui a connu un grand succès auprès du public.

Le débat organisé par la Commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD) sur "la participation citoyenne et les nouveaux espaces d’expression politique" a connu un grand succès. Invités à s’exprimer sur le rôle des réseaux sociaux notamment dans la construction d’une opinion publique et le rétablissement de la confiance entre l’Etat et les citoyens, la blogueuse Mayssa Salama Naji, le journaliste Redouane Ramdani, le militant Khalid Bekkari ainsi que le professeur de droit Omar Cherkaoui ont donné libre court à leurs réflexions.

Très actifs sur les réseaux sociaux, et très largement suivis par de nombreuses franges de la population, leur posture n’était pas celles d’experts en com’ numérique venus donner des recommandations pour améliorer le rapport de l’Etat avec les citoyens par le biais de Facebook, Twitter ou Instagram. Ils ont plutôt joué le rôle de porte-voix de tout ce qui s’exprime sur les réseaux sociaux. Des caisses de résonnance.

Un joli coup de com’ pour la CSMD

Avec un ton très libre, sans censure et sans que le modérateur de la séance ne les interrompe, sauf pour cadrer le temps de parole, les quatre invités de la CSMD ont souligné les reproches et critiques qui reviennent le plus souvent dans nos fils d’actualité, y compris les plus populistes.

Argent des phosphates, spoliation des deniers publics, enrichissement illicite des décideurs, impunité des responsables politiques, retour de l’autoritarisme, hogra, existence de forces obscures qui bloqueraient le progrès, empêcheraient toute tentative de démocratisation politique, mariage entre argent et pouvoir, corruption du système judiciaire, rentes économiques… La séance qui a duré un peu plus de deux heures a été une sorte de défouloir où on a entendu tout ce que les Marocains se disent entre eux sur les terrasses de cafés, dans les échanges WhatsApp, ou sur Facebook. Des choses que tout le monde connaît, ou a déjà entendu, y compris les membres de la CSMD.

Mais le fait de les mettre sur la place publique, en live, et devant une commission royale, en a fait un évènement inédit, qui rappelle dans son ton comme dans son esprit les séances d’écoute publiques de l’Instance équité et réconciliation ou encore les débats télévisés de la période du Printemps arabe, où tous les tabous ont sauté, où aucun sujet, aussi sacré soit-il, n’était éludé.

Un joli coup de com’ pour la CSMD qui a montré, l’espace de 2 heures, son ouverture à toutes les voix, sa capacité d’écoute de toutes les opinions, y compris les plus populistes, et son interaction avec tout ce qui peut circuler comme discours ou théories dans la société marocaine.

Sans surprises, la vidéo du débat a été partagée plus de 1.000 fois… Largement regardée, commentée, débattue…, elle a créé du "buzz", le buzz de la semaine. C’est ce qu’on appelle tout simplement dans la com’ un grand succès!

Ce dont le populisme ambiant est le signe

Désinformation, manipulations, populisme…Ce qui se dit sur les réseaux sociaux n’est pas toujours vrai. Ce n’est pas propre au Maroc, mais à tous les pays du monde, y compris les démocraties les plus anciennes. Néanmoins, il faut reconnaitre que le populisme, surtout quand il est quasi général, représente en quelque sorte une image de la société à un instant t, de ce qu’elle pense, ou du moins de sa perception des choses.

Tout ce qui a été déballé par les intervenants dans ce débat a reflété ainsi cette perception qu’ont la majorité des citoyens du Maroc d’aujourd’hui. Une perception qui peut être décalée de la réalité, exagérée, mais qu’il est important pour tout décideur public de regarder en face, d’écouter et d’interagir avec. Car vraie ou pas, cette perception dit forcément quelque chose de nous, de notre société, de ses maux, de nos attentes…

Derrière les slogans populistes et les accusations à l’emporte-pièce se nichent des interrogations parfois légitimes, mais aussi des aberrations. C’est le cas par exemple de la distribution des revenus des phosphates. Les revenus, les dépenses et les bénéfices de l’OCP, qui gère la manne phosphatière du pays, sont rendus publics tous les semestres. Par les publications financières du groupe qui sont certifiées par des commissaires aux comptes nationaux et internationaux, mais aussi par les rapports accompagnant chaque année les projets de loi de finances.

Le fait que les doutes sur la gestion de cet argent des phosphates persistent montre qu’il y a un fossé qui sépare le Maroc qui sait lire un bilan financier ou un rapport économique de la loi des finances, et un autre Maroc, qui considère que s’il n’a pas accès à des services publics dignes, c’est forcément que son argent est détourné. Et notamment celui des phosphates, qui est pour de nombreux Marocains la principale, voire la seule richesse du pays.

C’est donc l’histoire d’un grand malentendu qui peut et qui doit être levé.

Car si l’injustice sociale existe, si l’école publique est défaillante, si les hôpitaux publics sont sous-équipés, si le Marocain de Figuig n’a pas les mêmes moyens ni les mêmes chances de réussite dans la vie que le Marocain d’Anfa Supérieur ou de Hay Riad…, ce n’est pas parce que l’argent des phosphates est mal géré. Mais parce qu’il y a eu une série de politiques publiques qui ont fait que l’Etat s’est désengagé du service public, par idéologie et/ou par contrainte budgétaire. Et c’est sur ces politiques publiques, ces orientations stratégiques, que le débat doit être redirigé si l’on veut réduire le fossé des inégalités sociales.

La séance d’écoute de la CSMD a eu ainsi le mérite de nous rappeler notre capacité (immense) à parler de choses accessoires, à ressasser, en passant à côté de l’essentiel. Ou comment le citoyen lambda est déphasé par rapport aux vrais sujets qu’il doit discuter, débattre et sur lesquels il peut peser en faisant des réseaux sociaux un espace d’expression citoyenne, et de débat constructif.

La faute n’est évidemment pas celle d’un citoyen qui n’a pas forcément les clés pour comprendre tous les enjeux macro-économiques, débattre des programmes que nous impose le FMI, de l’Etat providence vs l’Etat ultra libéral, mais de ces influenceurs qui sont censés le guider : politiques, décideurs, députés, chercheurs, acteurs de la société civile, médias…

Autre exemple parlant que l’on voit défiler tous les jours sur nos fils d’actualité : la récupération de l’argent volé. Pour beaucoup, comme cela a été exprimé dans le débat de la CSMD, ce sujet est pour de nombreux citoyens au cœur du sous-développement de notre pays. Et une des causes de la pauvreté et de la misère de sa population. Là aussi, le débat est ailleurs. Le sujet de la corruption, de la dilapidation des deniers publics est certes d’une extrême importance et doit être traité avec le plus grand sérieux, mais ce n’est pas cela qui va résoudre tous les problèmes du pays et nous mettre sur le chemin du progrès.

En faire la cause de tous nos maux occulte encore une fois les vrais problèmes qui empêchent le pays d’émerger, de décoller. Comme l’inégalité des chances dans l’éducation. Point soulevé notamment par Karim Tazi, membre de la CSMD qui est intervenu pour tenter de recadrer la réflexion, rappelant qu’il « faut cesser ce discours qui focalise le débat sur la richesse matérielle. Car la vraie richesse qui fait le progrès des nations est immatérielle. Et cela passe par l’éducation et l’égalité des chances ».

Et pour assurer une éducation de qualité pour tous, qui fera de tout citoyen un moteur de création de richesse, en commençant par exemple une petite affaire dans un garage de Bernoussi pour finir dans un grand building de Casa Finance City, il ne suffit pas de récupérer l’argent spolié, ou de distribuer à tous les revenus des phosphates. Il faut concevoir une politique publique qui vise cet objectif, qui fait de l’éducation une priorité, en y mettant les moyens… Pas ceux des phosphates, mais en faisant un reengineering de nos seules vraies ressources, qui sont d’abord fiscales.

Ces sujets doivent être expliqués aux Marocains pour lever toute ambiguïté. Et cela passe par une communication transparente, pédagogique. Et dont le canal premier ne doit pas être les réseaux sociaux, comme l’ont rappelé les quatre intervenants, mais les télévisions publiques.

Facebook, twitter, Instagram… ne sont pas à la portée de tous les citoyens marocains, qui continuent d’être nourris essentiellement par leurs chaînes nationales. Et c’est là où le vrai débat public doit être porté.

Ou comment faire sortir de deux heures d’exposition d’idées populistes des pistes concrètes pour améliorer la relation entre l’Etat et les citoyens et rétablir cette confiance, moteur de tout projet de développement…

La confiance passera par plus de démocratie

Autre enseignement de cette « thérapie collective » organisée par la CSMD, l’attachement des citoyens à la démocratie, à avoir des représentants dignes de ce nom, capables de prendre des décisions, des initiatives, d’exécuter leurs programmes, de contrôler le travail gouvernemental, de questionner tout responsable public quel que soit son rang, et d’être questionnés eux-mêmes sur leur travail... La confiance, selon ces intervenants venus représenter ou donner le ton de ce qui s’échange sur les réseaux sociaux, passera aussi par l’activation de cette soupape politique qui peut faire tampon en cas de tensions sociales et éviter que de simples et banales manifestations citoyennes ne tournent au drame.

La défiance vis-à-vis des politiques, des institutions, le désespoir d’une large frange de la population, viennent selon les quatre intervenants de cette vacance du politique. De cette perception que le pays appartient à une caste qui vit à Rabat et à Casablanca, qui contrôle tout, qui ne rend pas de comptes, et qui nous fait vivre dans une sorte de "comédie politique", où l’on organise des scrutins tous les cinq ou six ans pour élire des députés, nationaux ou locaux, des gouvernements, des conseils régionaux ou municipaux. Et qui ne sont finalement là que pour faire de la figuration, quand les vraies décisions sont prises ailleurs, dans un petit cercle d’initiés.

Des revendications qui datent de plusieurs années et qui ont été largement partagées par les Marocains au moment du Printemps arabe. Mais malgré la nouvelle Constitution de 2011 et tout ce qui s’en est suivi, ce sentiment de vivre éternellement dans une transition démocratique persiste encore chez de nombreux Marocains. Un blocage que l’on explique (à tort ou à raison) sur les réseaux sociaux, comme l’ont rappelé les invités de la CSMD, par la présence de forces obscures qui empêcheraient le progrès démocratique ou l’existence de lobbys économiques qui n’ont pas intérêt à ce que nous ayons des partis forts…

Des théories auxquelles beaucoup adhérent. Mais qu’elles soient vraies ou fausses, il ne peut être que bénéfique de les laisser s’exprimer au grand jour. C’est l’exercice auquel s’est prêtée la commission Benmoussa. Quels enseignements va-t-elle en tirer? Rendez-vous en décembre, à la publication de son rapport… 

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