Report des élections législatives : l’avis de Nadia Bernoussi

Eminente constitutionnaliste et membre de la commission qui a travaillé sur la révision de la Loi suprême de 2011, Nadia Bernoussi pense que l’option du report n’est pas envisageable d’un point de vue constitutionnel. Idem pour l’option d’un gouvernement technocrate de « sauvetage », idée qui commence à faire son chemin dans certains milieux.

Report des élections législatives : l’avis de Nadia Bernoussi

Le 13 juin 2020 à 16h05

Modifié 10 avril 2021 à 22h41

Eminente constitutionnaliste et membre de la commission qui a travaillé sur la révision de la Loi suprême de 2011, Nadia Bernoussi pense que l’option du report n’est pas envisageable d’un point de vue constitutionnel. Idem pour l’option d’un gouvernement technocrate de « sauvetage », idée qui commence à faire son chemin dans certains milieux.

Au milieu du Coronavirus, de la peur de la pandémie, de la panique sociale et la crise économique que ce virus a provoquées, la question du report des élections législatives de 2021 s’est invitée au débat.

La question, à vrai dire, n’est pas posée de manière directe et officielle par les partis ou les responsables politiques. Mais alimente et anime depuis quelques jours les discussions sur l’après-Covid.

Entre report et annulation pure et dure

Certains pensent que la conjoncture actuelle, la pandémie, le risque d’une deuxième vague, ainsi que la crise économique et sociale que le Maroc aura à gérer ne justifient pas la tenue d’échéances électorales, trop coûteuses en temps et en argent.

Ce courant propose donc un simple report de l’échéance de 2021, le temps que les choses se calment, que le pays retrouve une certaine sérénité et visibilité sur l’avenir. Ce scénario suppose ainsi la continuité du gouvernement actuel jusqu’à ce qu’une nouvelle date soit convenue entre les différentes parties prenantes.

D’autres avis, en revanche, sont plus extrêmes. Ils suggèrent que la conjoncture actuelle n’est pas du tout favorable à l’organisation d’un scrutin législatif, avec ce que cela comporte comme risque avéré de divisions politiques et clivages politiciens. Le Maroc post-Covid ne peut se permettre de perdre son temps dans les débats de politique politicienne, pour aboutir au final à un gouvernement hétéroclite, qui serait incapable de gérer les gros enjeux qui se présentent.

Pour eux, l’heure est à l’efficacité, quitte à faire une pause sur les règles démocratiques. Ce choix implique ainsi, comme ils le proposent, que le Roi nomme au plus vite un gouvernement d’union nationale, un exécutif de « sauvetage » composé de technocrates et de profils capables de porter les enjeux de demain : assurer la relance économique du pays et amorcer le nouveau modèle de développement qui naîtra de la réflexion de la commission Benmousssa.

Il s’agit, disent-ils, de l’avenir de la nation, de sa stabilité sociale. Des défis de long terme qui ne peuvent être mis dans la balance aux côtés de calculs politiques court-termistes qui ne font qu’alourdir la machine décisionnelle.

Ces idées et opinions véhiculées via les médias ou les réseaux sociaux par des politologues, des chroniqueurs et faiseurs d’opinion, n’ont pour l’instant pas eu d’échos dans les milieux politiques officiels. La majorité des leaders de partis se refusant pour l’instant d’entrer dans ce genre de discussions dans un contexte où, disent-ils, le pays doit gérer l’urgence sanitaire, se montrer uni, solidaire et se préoccuper davantage de la santé de ses citoyens, de la relance de son économie et de la sauvegarde de son tissu social.

Médias24 s’inscrit également dans cette approche. Sans vouloir entrer dans un débat qui peut être incongru en ces temps de pandémie, nous avons tout de même choisi, pour éclairer notre lanterne et celle de nos lecteurs, de voir ce que la Constitution dit à ce sujet.

Nous avons donc consulté une des meilleurs constitutionnalistes du pays, Nadia Bernoussi, professeur de droit constitutionnel, qui a été également partie prenante de la réforme constitutionnelle de 2011 en sa qualité de membre de la commission royale mise en place dans la foulée du printemps arabe.

« Je ne vois aucune barrière à l’organisation des prochaines élections »

A notre question de savoir si le report des élections législatives est envisageable d’un point de vue purement constitutionnel, Nadia Bernoussi a une réponse claire et nette : « Je ne vois pas quelle serait la barrière constitutionnelle à l’organisation des élections à leur date. Sauf l’Etat de siège ou l’Etat d’exception. Et je ne pense pas qu’on soit dans cette situation ».

Pour elle, « la périodicité des élections est fixée par la Constitution ». Et « cette règle ne peut être changée si on veut respecter la Constitution ».

La question du report, nous rappelle-t-elle, ne se pose pas pour la première fois au Maroc. Le pays a eu déjà recours au report du scrutin législatif à trois reprises : en 1972, en 1982 et en 1990. Mais le contexte de l’époque n’est pas comparable à celui d’aujourd’hui.

« Des élections devaient se tenir juste après la réforme constitutionnelle de 1972, mais elles n’ont eu finalement lieu qu’en 1976. En 1982, le Parlement est resté en place jusqu’en 1984. Idem en 1990 où la législature a été prolongée de deux ans, jusqu’en 1992. Des reports justifiés à l’époque par la question du Sahara, de l’intégrité territoriale et par les tensions politiques internes entre les partis de la Koutla et le Palais », explique Madame Bernoussi.

Elle tient à préciser toutefois que malgré ce manque de ponctualité, Hassan II a toujours été respectueux de la lettre de la Constitution, en activant les leviers juridiques qu’il avait à sa disposition comme le référendum populaire ou les dispositions de ce qu’on appelle le régime transitoire. Mais ça, c’était dans une autre époque…

« Ces situations étaient considérées à l’époque comme exceptionnelles, justifiant donc le report des élections. Et le contexte institutionnel et politique n’était pas le même que celui d’aujourd’hui. Maintenant, je ne sais pas si on peut considérer la crise du Covid comme une situation exceptionnelle pouvant justifier un tel report », estime-t-elle.

Et même si le Covid rentre dans cette case de « situation exceptionnelle », Nadia Bernoussi affirme que de toutes les façons, « rien dans la Constitution actuelle ne prévoit le report des élections à cause d’une crise de ce genre ».

En bref, la Constitution ne prévoit pas un tel scénario, mais tout dépendra de l'appréciation de la situation et des interprétations que peuvent faire les différentes parties prenantes du contexte et du texte constitutionnel.

L’impossibilité d’un chef de gouvernement technocrate

Qu’en est-il des voix qui appellent à la mise en place d’un gouvernement de technocrates pour gérer l’après-crise ?

Cette possibilité n’est même pas envisageable, selon Nadia Bernoussi. L’article 47 est suffisamment clair sur cette question puisqu’il précise sans ambiguïté que le Chef du gouvernement est choisi par le Roi du parti arrivé premier des élections législatives.

« On est, en principe, en voie de "parlementarisation" du régime. L’article 47 rend impossible la nomination d’un Chef de gouvernement non issu des urnes. Maintenait, rien n’interdit que les ministres qui composent ce gouvernement soient technocrates. Le Chef du gouvernement peut être choisi du parti arrivé premier, mais rien ne l’empêche de proposer au Roi des ministres technocrates », précise Madame Bernousssi.

En somme, pour les tenants de cette ligne de la technocratie comme seule solution à une gestion efficace de la crise du Covid, le passage par la case élections reste obligatoire selon la Constitution. L’option d’annulation pure et dure des échéances électorales tombe donc à l’eau si l’on se base sur la Loi suprême du pays.

Une loi que le Chef de l’Etat a tenu, pour rappel, à respecter à la lettre comme dans l’esprit à chaque fois que des situations de flou apparaissaient. Comme en 2017, lorsque le Roi a décidé de révoquer Abdelilah Benkirane. La Constitution n’avait pas prévu de réponse à ce genre de situation, mais le Palais Royal a tenu à respecter l’esprit de la constitution en nommant un nouveau Chef de gouvernement PJDiste. Même si d’autres options se présentaient à lui, comme l’avait d’ailleurs signalé le communiqué du cabinet royal au moment de la nomination de Saadeddine El Othmani.

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