Tanger Med raconté par son directeur central, Rachid Houari

ENTRETIEN. Avec Tanger Med 2, le Maroc a anticipé en temps de crise les besoins du marché méditerranéen, se positionnant aujourd’hui comme acteur incontournable de cette route maritime. Son directeur central nous explique ici, la genèse du projet, son utilité économique et stratégique et les facteurs clés de sa compétitivité.

Tanger Med raconté par son directeur central, Rachid Houari

Le 22 juillet 2019 à 15h48

Modifié 11 avril 2021 à 2h43

ENTRETIEN. Avec Tanger Med 2, le Maroc a anticipé en temps de crise les besoins du marché méditerranéen, se positionnant aujourd’hui comme acteur incontournable de cette route maritime. Son directeur central nous explique ici, la genèse du projet, son utilité économique et stratégique et les facteurs clés de sa compétitivité.

Directeur central du Port Tanger Med, Rachid Houari fait partie du staff dirigeant du complexe depuis le démarrage des premiers travaux en 2004.

Au début, une plage et du sable

"Au début, il n’y avait rien ici : une plage et du sable. Quand on recevait des opérateurs pour leur présenter le projet, ils ne croyaient pas qu’on allait réaliser tout cela en si peu de temps. Personne ne pariait sur cette réussite fulgurante", raconte cet ingénieur portuaire qui a été formé en Angleterre, avant de passer par l’Ecole des Ponts et Chaussées de Paris pour son MBA.

Avec une capacité de 3 millions de conteneurs, Tanger Med 1 était déjà un géant régional. Avec Tanger Med 2, inauguré fin juin par le prince héritier Moulay Hassan, le port est passé à un autre dimension: sa capacité a tout simplement triplé pour atteindre 9 millions de conteneurs. Ce qui fait de lui le premier port non seulement d’Afrique mais de toute la Méditerranée.

Mais que veut dire réellement être le premier port de Méditerranée ? Pourquoi créer une capacité de 9 millions de conteneurs, alors que les besoins de l’économie marocaine ne dépassent pas le million de conteneurs ? Ces capacités annoncées en grande pompe sont-elles réelles ou juste théoriques ?

Nous nous sommes déplacés à Tanger Med pour effectuer la visite du complexe portuaire et rencontrer son directeur central, qui répond ici à nos questions. Avec clarté et pédagogie.

Voici en texte un résumé de l’interview, à retrouver dans son intégralité dans la vidéo ci-dessus.

Nous publierons dans une seconde partie un reportage vidéo sur le complexe portuaire, ses activités, ses capacités, ce qui a été réalisé et ce qu'il reste à faire.

- Médias24: Vous venez d’inaugurer officiellement Tanger Med 2. Avec cette extension, la capacité du complexe a été multipliée par trois. Qu’est-ce que cela signifie au juste ? Et pourquoi cette extension ?  

- Rachid Houari: Ce projet est plus qu’une extension. A lui seul, Tanger Med 2 est le plus gros terminal d’Afrique.

On parle d’extension quand on a déjà construit 70% du projet et qu’on l’a étendu de 20 ou de 30%. Or, aujourd’hui, ce que vous appelez extension fait deux fois la capacité de Tanger Med 1. 

Tanger Med 2, c’est 2.800 mètres de quai, avec un terminal où on peut placer en même temps 7 navires parmi les plus gros du monde. Le plus gros bateau du monde fait 400 mètres de long et peut transporter 22.000 conteneurs. A Tanger Med 2, on peut en placer 7 à la fois.

Le trafic de Tanger Med II atteindra la capacité maximale du port dans 6 à 9 ans

- L’économie marocaine absorbe en tout et pour tout 1 million de conteneurs. Or, Tanger Med peut traiter aujourd’hui jusqu’à 9 millions de conteneurs. Comment est-ce possible ?

- Avant le lancement de Tanger Med en 2007, le Maroc traitait en effet 1 million de conteneurs par an. Ce volume était traité à 90% à Casablanca. Le reste à Agadir.

Ce million de conteneurs représente les besoins du Maroc en import-export.  

En lançant Tanger Med, le Maroc voulait créer à la fois un complexe portuaire, industriel et logistique qui va se connecter au monde, et qui va se positionner sur la Méditerranée pour prendre d’autres flux qui n’ont rien à voir avec le Maroc. C’est ce qu’on appelle le transbordement. Avec Tanger Med, l’ambition était de commencer à figurer sur les grandes lignes maritimes pour devenir incontournable dans cette région.

C’est ce qui s’est justement passé entre 2007 et 2014. En 7 ans, nous avions déjà atteint notre capacité maximum sur Tanger Med 1. C’est très court comme délai. Un projet portuaire s’imagine en 30 à 100 ans. Le port de Casablanca a déjà fêté ses 100 ans. Algérisas a fêté ses 100 ans également ces dernières années. Nous, en 7 ans, nous avons déjà atteint 3 millions de conteneurs, c'est-à-dire trois fois plus que ce que faisait le Maroc déjà.

- Comparé aux autres ports centenaires de la région, Tanger Med est donc un bébé qui est déjà arrivé à maturité…

- C’est un bébé en effet, parce que beaucoup de Marocains le portent dans leur cœur. Et parce que c’est un projet qu’il fallait accompagner au moment où les plus grands experts maritimes du monde ne pariaient pas trop sur cette réussite fulgurante.

Un de ces experts, très connu dans le monde maritime, nous disait il y a quelques années que si on arrivait à atteindre un million de conteneurs, ce serait déjà très bien. Heureusement qu’il s’est trompé. Mieux, l’année dernière, on a fait 3,5 millions de conteneurs. On a dépassé de 15% les capacités physiques du port. 

- Tanger Med 1 avait déjà une dimension pharaonique. Quel est l’intérêt économique d’avoir un second port, deux fois plus grand ?

- Avec la réussite de Tanger Med 1, le Maroc a décidé de saisir l’opportunité en lançant les travaux de Tanger Med 2 à un moment où la crise mondiale était à son apogée. C’était un très bon pari.

Entre le démarrage des travaux et l’inauguration, il s’est passé six ans. C’est tombé pile-poil avec l’année où on a dépassé les capacités de Tanger Med 1, une année où on était en saturation.

Sur le pourtour méditerranéen, on était les premiers à faire ce qu’on appelle le "first moov", le premier pas. Un premier pas d’anticipation qui nous permet aujourd’hui d’être la plus grosse capacité de Méditerranée. On ne se compare plus aujourd’hui aux pays africains, mais à des pays comme la France, l’Espagne, l’Italie ou encore la Grèce.

- Sur Tanger Med 1, il a fallu 7 années pour arriver à traiter la capacité totale de 3 millions de conteneurs. En combien de temps les 6 millions de capacités nouvelles seront entièrement opérationnelles ?

- On est réaliste et optimiste à la fois.

Réaliste, parce que 6 millions, c’est un très gros chiffre, une grosse capacité.

Mais il est plus intéressant de faire des extensions d’un seul coup. Parce qu’en termes de travaux, on a pu réaliser d’importantes économies d’échelle. C’est moins coûteux que de construire à chaque fois une capacité nouvelle d’un million de conteneurs.

En construisant un million de plus, plutôt que six millions d’une seule traite, on n’attire pas forcément les plus gros armateurs, ni les plus gros opérateurs.

On est réalistes, aussi parce qu’on a vu l’appétit grandissant des opérateurs. Sur Tanger Med 1, APM a investi 150 millions d’euros. S’il a décidé d’investir six fois plus (900 millions d’euros) sur Tanger Med 2, c’est que lui-même y croit.

On est donc réalistes, mais aussi optimistes. Car si on a pu atteindre 3 millions de conteneurs en six ou sept ans, une période où la conjoncture n’a pas été favorable, c’est que le marché méditerranéen est capable de créer autant de flux de trafic.

S’il fallait maintenant vous répondre avec un chiffre, je peux vous dire qu’on est capables tous les six ans d’absorber 3 millions de conteneurs de plus.

Nous pensons que ce rythme va s'accélérer, car Tanger Med a aujourd’hui une crédibilité. On suppose donc que dans les six à neuf années à venir, les 6 millions de conteneurs seront entièrement opérationnels.

"Un bateau qui vient chez nous économise 48h aller-retour"

- Ces capacités sont donc réservées exclusivement au transbordement ?

- Le trafic est majoritairement fait de transbordement. Le Maroc consomme 1 million de conteneurs pour les besoins de son économie, plusieurs dizaines de millions de tonnes de vrac et à peu près 330.000 camions TIR. On a beau absorber toutes les capacités import-export du pays, ça ne remplirait pas Tanger Med 1, encore moins Tanger Med 2. L’économie marocaine, c’est à peine 12 à 13% des capacités du complexe. Le reste est donc forcément du transbordement.

Ceci dit, il faut savoir qu’une partie du trafic de Casablanca passe aujourd’hui par Tanger Med. C’est ce qu’on appelle le cabotage. Il représente avec les flux venant d’Agadir 5% de notre activité. On fait 5% également sur les camions TIR. Le reste (90% de l’activité), c’est du transbordement qui n’a rien à voir avec les besoins du Maroc.

- Pourquoi un armateur choisit de passer par Tanger Med que par un autre port de la Méditerranée ? C’est quoi votre avantage comparatif ?

- Premier élément : Tanger Med est sur ce qu’on appelle une route maritime sans déviation. Un navire qui sort d’Asie pour rejoindre l’Europe du Nord fait 20 jours de mer. Sur ces 20 jours de mer, il passera par le Canal de Suez, Port Said, traversera toute la Méditerranée pour sortir du détroit de Gibraltar et remonter en Europe du Nord.

Si un bateau devait transborder à Marseille par exemple, il doit faire 24 h de mer vers le haut pour entrer dans le port, puis 24h de mer vers le bas pour en sortir. Chose qu’il peut faire chez nous en deux heures : une heure pour entrer et une autre pour sortir. C’est ce qu’on appelle la déviation.

Un bateau qui vient chez nous arrive à économiser 24h de mer à l’aller et 24h à la sortie. Cela fait un gain de 48 h. Si ce bateau fait 10 allers-retours par an, cette économie de 2 jours par voyage lui permettra en fin d’année de faire un voyage supplémentaire et de gagner donc plus d’argent.

Deuxième élément : nous sommes très bien équipés par notre capitainerie et notre pilotage. L’entrée à Tanger Med est très sécurisée. Nous parlons de bateaux qui font 400 mètres de long et 18 mètres de profondeur et qui coûtent 200 millions d’euros en moyenne. Un bateau aussi important ne s’aventure pas en allant dans un port où il est peut-être risqué d’entrer.

On a aussi deux bons opérateurs : APM Terminal et Eurogate ont de très bon rapports avec les armateurs mondiaux. APM existe dans 70 terminaux dans le monde, Eurogate dans 25. Ils ont des liens commerciaux solides avec les principaux armateurs.

Ces opérateurs ont recruté près de 2.000 Marocains pour leurs terminaux, un effectif qui est extrêmement productif. Sur nos portiques, chaque grue arrive à faire 33 mouvements par heure. C’est une productivité formidable, supérieure à la moyenne européenne. Il n’y a probablement qu’en Asie qu’on fait pareil.

L’armateur économise donc du temps et de l’argent en venant ici. Le Maroc peut être fier de ça.

"Le terminal de Marsa Maroc sera opérationnel dans 18 mois"

- Concrètement sur Tanger Med 2, un quai est déjà opérationnel. Le second est encore en travaux. A l’heure où on parle, on n’est pas encore à 6 millions de capacités…

- La capacité est d’abord portuaire. La digue principale est déjà construite. On a terrassé et préparé 200 ha sur lesquels on est capable de poser des conteneurs dès demain. Même sur la partie que vous dites "pas prête", on peut poser des conteneurs dès aujourd’hui. On peut y accoster des navires aussi. L’infrastructure est prête, c’est de cela qu’on parle aujourd’hui.

Nous avons créé un port de 9 millions de conteneurs de capacité et aucun port de Méditerranée n’offre ça. Et même ceux qui sont en travaux dans la région ne peuvent offrir cette capacité. L’annonce des 9 millions de conteneurs est réelle, fondée et vérifiable.

- Le deuxième quai sera géré par Marsa Maroc. Quand est-ce qu’il sera opérationnel ?

- Les tests des premiers conteneurs vont probablement commencer dans un an. Et le terminal sera parfaitement opérationnel dans 18 mois. Ce qui est un temps correct.

- Tanger Med, c'est aussi le TIR et les camions. Une activité que vous dites très stratégique. Pourquoi ? 

- Stratégique, parce que peu de pays dans le monde font des échanges TIR, en camion. Ici on est tellement proche de l’Espagne et de l’Europe que le camion a tout son intérêt. Le Maroc est aussi sur des domaines comme le textile, l’aéronautique et l’automobile qui sont sensibles à la variable "temps de livraison".

Un opérateur peut atteindre à partir d’ici Madrid en seulement 12 heures, Paris en 24 heures et Berlin en 36 heures. Un conteneur avec la même marchandise a besoin de 4 jours pour arriver en France par exemple, décharger, prendre un camion pour arriver à Paris. Le camion est donc non seulement intéressant mais très stratégique. Car cela touche le cœur de notre économie.

Ce n’est pas pour rien que Tanger Med est devenu en si peu de temps la plus grosse plateforme d’import-export du pays avec 317 milliards de dirhams de volume. C’est principalement le camion TIR qui a rendu cela possible. Et ça touche toutes les régions du Maroc, car on a des camions qui viennent de Dakhla, d’Agadir, de partout… pour atteindre l'Europe.

- Parlons des effets d’entraînement. Tanger Med 1 a attiré un écosystème industriel de 900 entreprises pour 75.000 emplois créés. Quelles sont vos prévisions pour Tanger Med 2 ?

Les emplois, c’est d‘abord l’industrie qui les crée et pas le portuaire. Les ports n’ont pas vocation à créer des emplois.

Nous avons déjà 900 entreprises sur le foncier Tanger Med. Pour les années à venir, la tendance c’est d’avoir de grosses usines de 10 ha et plus.

Le nombre d’entreprises ne va pas tripler donc, mais leur taille sera plus importante. Nous espérons en gros atteindre 40.000 emplois sur cette nouvelle tranche.

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