Comment Lahlimi a vertement tancé les décideurs politiques (Vidéo)

"Dans l'industrie, il n'y a pas que l'automobile" ; "le pari gagnant est la R&D et non d'attirer les constructeurs" ; "former en informatique est un investissement urgent" ; "il faut donner aux PME marocaines les mêmes avantages offerts aux étrangers" ; "une inflation à 2% est un scandale". C'est ce genre de messages qu'Ahmed Lahlimi a passés aux décideurs politiques mardi 9 juillet.

Comment Lahlimi a vertement tancé les décideurs politiques (Vidéo)

Le 10 juillet 2019 à 14h52

Modifié 11 avril 2021 à 2h42

"Dans l'industrie, il n'y a pas que l'automobile" ; "le pari gagnant est la R&D et non d'attirer les constructeurs" ; "former en informatique est un investissement urgent" ; "il faut donner aux PME marocaines les mêmes avantages offerts aux étrangers" ; "une inflation à 2% est un scandale". C'est ce genre de messages qu'Ahmed Lahlimi a passés aux décideurs politiques mardi 9 juillet.

Le Haut-commissaire au plan s'exprimait lors de la présentation du budget économique exploratoire de l'année 2020.

Ses services ont dressé un tableau sombre de la situation économique en 2019 et 2020. La croissance est toujours faible, peu créatrice d'emplois, dépendante des aléas climatiques et reposant sur un secteur agricole qui peine à se redresser. Elle est générée par une demande intérieure en grande partie satisfaite par les importations, d'où un déficit de financement de l'économie.

Ahmed Lahlimi a saisi l'occasion pour "se défouler". Cet ancien opposant et ex-ministre a passé des messages forts, notamment aux décideurs politiques. Stratégie de réindustrialisation, rôle de l'Etat, les choix de politiques publiques, le nouveau modèle de développement... Le Haut-commissaire au plan a ratissé large et sans mâcher ses mots.

Voici ses principaux messages, que Médias24 a tenté de retranscrire le plus fidèlement possible en intégrant les explications et les mises en contexte nécessaires. La vidéo de la rencontre est disponible ci-dessous.

Industrie: il n'y a pas que l'automobile

"Nous avons deux types d’industries. Le premier forme notre ADN industriel, constitué des secteurs et sous-secteurs investis il y a des dizaines d’années. Des secteurs qui ont résisté au Plan d'ajustement structurel des années 1980 et qui résistent toujours.

"Il s’agit notamment de l’agroalimentaire dont le taux d’intégration doit augmenter, notamment vers l'amont (agriculture). C’est en train de se faire mais c’est une grande affaire. D’une part, la transformation de l’agriculture exige beaucoup de capitaux et se fait sur la durée. De l’autre, la partie industrielle doit suivre mais cela exige que l’Etat ait une politique industrielle qui s’implique dans l’intégration.

"Il s’agit aussi du textile où nous nous sommes laissés dépasser. Pendant des années, quand j’étais dans l’opposition, je me suis beaucoup attaqué à ce sujet en disant qu’au lieu de se préparer à la fin de l’accord multifibres, les investisseurs étaient en train de liquider leurs industries pour investir dans le foncier et sortir leur argent à l’extérieur. Je me souviens bien de cet industriel qui disait que ce secteur est foutu.

"Or, le secteur n’était pas foutu. Il fallait se bagarrer et définir qui est responsable de quoi. L’Etat, dans son élan vers le libéralisme, a-t-il tout gâché ? Je n’en sais rien. Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd’hui il y a un regain et c’est tant mieux.

"Seulement, il faut savoir que dans ce secteur il y a beaucoup de choses qui se passent et qui vont nous opposer à la concurrence asiatique et moyen-orientale, notamment l’accélération du e-commerce. Les géants comme Amazon, Alibaba… incorporent seulement les industriels qui mènent leur transformation numérique et qui arrivent à être créatifs (nouveaux matériaux, nouvelles formes, nouvelles modes, technologies écologiques…)

Les écosystèmes doivent être animés par la R&D et non par les délocalisations

"Le deuxième type d'industries est constitué des nouvelles industries métallurgiques et mécaniques qui sont aujourd’hui dominées chez nous surtout par l’automobile et un peu par l’aéronautique.

"Dans l’automobile, on est aujourd’hui face à la crise du secteur au niveau mondial. La production au Maroc est d’ailleurs en baisse de 6%.

"C’est normal de vouloir attirer le maximum de marques et de grands constructeurs et de réaliser un taux d’intégration locale élevé. Mais il ne faut pas croire que c’est un pari pour l’avenir. Moi, en tous les cas, je ne le crois pas.

"Les écosystèmes ne doivent pas reposer sur la délocalisation (usines Renault, PSA...). Leur cœur doit être les centres de recherche & développement car les écosystèmes sont internationaux et vivants.

"La R&D peut faire que des technologies ou des procédés soient dépassés et les constructeurs peuvent fermer des usines qui ne sont plus utiles.

"C’est ce qui se passe actuellement dans le secteur de l’aéronautique en Chine où les sous-traitants ont suivi un grand constructeur en Grande Bretagne à cause des évolutions technologiques. Cela se passe de la même manière chez nous dans ce secteur (allusion faite au cas Bombardier, même si l'usine est toujours là au Maroc et fonctionne en attendant le repreneur).

Il faut miser sur la formation et la création d'industries locales

"Cela veut dire que notre grand effort pour réussir notre réindustrialisation doit porter sur deux choses :

-Former les ressources humaines : il faut qu’on transforme notre système de formation. Au lieu de former des techniciens pour tel ou tel groupe, il faut qu’on soit capable de former des compétences capables de faire des programmes, autrement dit des développeurs et des programmeurs.

Il faut d’abord essayer de former des compétences généralistes dans l’outil informatique qui est la base de tout. Il faut dès l’enfance former à l’informatique. C’est une formation qui est tout le temps utile, elle permet la flexibilité. C’est un investissement ultra urgent.

- Encourager la création d’entreprises nationales : Il faut investir dans la création d’entreprises qui peuvent réaliser l’intégration industrielle. En allant vers toutes les branches où il y a du potentiel. L’agrégation avec les industries classiques peut multiplier les occasions de création d’entreprises.

Mais il faut d’abord attirer les industriels locaux. Or il n’y a pas cette volonté et ce désir de mobiliser le capital marocain et de l’associer à l’élaboration et la concrétisation des plans. Si vous être un investisseur étranger, on vous donne le foncier, on construit des infrastructures pour vous, on vous offre des avantages fiscaux et on forme même des compétences pour vous.

Les chartes de l’investissement ont toujours été conçues en faveur des étrangers et des grands groupes. Il faut une participation des PME dans les contrats programmes. Il faut leur faire confiance et leur donner la chance de bénéficier des avantages offerts aux étrangers.

On va avoir des ratés, c’est normal. 20% de projets ratés sur 5 ans ça ne sera pas aussi grave que ce qu’on dépense aujourd’hui inutilement dans beaucoup de domaines.

Les ministères font des colloques et des statistiques !

"Quand on parle économie, tout ce que nous faisons aujourd’hui ce sont des colloques, des enquêtes, des statistiques. Tout le monde veut en faire.

"Un ministère n’est pas là pour ça. Il est là pour élaborer des lois, des règlements, des directives, des projets, des plans.

"Notre problème dans ce pays c’est le manque de cohérence dans les politiques publiques. La cohérence des visions de la société que nous voulons, de ce dont cette société a besoin.

"Il faut qu’on aille vers la cohésion sociale et l’économie des moyens. Des simulations ont été faites par les équipes de la DEPP. Les dépenses en biens et services de l’Administration sont en train d’augmenter d’une manière terrible. Si l’Etat décide de réduire son train de vie et affecte 50% de ces dépenses à l’investissement, nous arriverons à un investir 100 milliards de DH par an au lieu de 60 milliards. Cela représente 2 points de croissance en plus. Car 1 point d’investissement public draine 0,5 point d’investissement privé.

"Il faut que notre vision soit rationalisée et que notre vision sociétale tienne compte de notre réalité économique.

Un pacte national nécessaire avant 2020 ?

"On parle aujourd'hui beaucoup de notre modèle économique. Or celui-ci est ce qu’il est. Le modèle économique, c’est de l’histoire. On ne peut pas le changer d’un coup.

"Le modèle économique se change par les politiques économiques. Est-ce que ces dernières vont avoir tel ou tel objectif nouveau qui modifiera le contenu de notre modèle économique ?

"A l’origine de tout modèle économique, il doit y avoir une vision sociétale. Cela a toujours été le cas, d'Adam Smith à Karl Marx en passant par les néolibéraux. 

"Regardez ce qui s’est passé après l’indépendance du Maroc. Tout le monde était mobilisé pour changer les choses. On a réformé l’agriculture, on a créé la CDG, la BNDE, la monnaie nationale, la Banque centrale, on a libéré la femme... C’était une révolution sociétale qui a favorisé le développement économique.

"Dans les années 1980, nous avons raté les choses parce qu’il y avait une gestion économique faite par une bourgeoisie qui voulait faire du libéralisme à outrance, un libéralisme où certaines personnes voulaient tout simplement s’enrichir.

"Nous sommes donc tombés dans la période du PAS. Dans les années 1990, on est tombé dans la gestion des choses par les débats avec les syndicats et la société.

"Et puis en 2000, on a eu exactement la même chose qu’après l’indépendance, avec un nouveau Roi qui arrive avec une série de révolutions sociétales et d’engagements avec la nouvelle génération. Et l’économie a redémarré jusqu’à la crise de 2008.

"Aujourd’hui, il ne faut pas qu’on entre dans la prochaine décade sans nouvel élan, une nouvelle vision du Maroc.

"Il ne faut pas avoir peur des réformes. Toutes engendrent des perdants et des gagnants. L’essentiel est de mener les réformes dans le consensus pour permettre à tout le monde de connaitre le coût et les fruits et de savoir que ces derniers seront correctement répartis.

"Il faut qu’il y ait un cadre de débat et un plan stratégique. Ce n’est pas le plan de 1960. Ce n’est pas le plan coercitif, administratif, c’est de la prospective sur le moyen et le long terme dans le cadre d’un débat avec tous les opérateurs.

"Il faut qu’il y ait un pacte national qui lie les uns aux autres, les gouvernants aux gouvernés. Quand il y a des pactes uniquement tacites, très souvent ce sont des quiproquos.

"Quand un grand discoureur vient dire qu’on va transformer le monde sans un pacte clair, chacun y va avec son interprétation. Jusqu’au moment où le grand discoureur s’en va.

"Si les acteurs ne sont pas impliqués, ils parlent entre eux et ils ne nous parlent plus. Il faut qu’on sache tous où on va. Et il faut qu’on rectifie la trajectoire tous les 2 ans si on se trompe, dans le cadre d’une prospective.

"Qui aujourd’hui connaît seul tout ce qui se passe dans le monde ? Dans la lutte contre le terrorisme par exemple, on agit comme si on a tout délégué à l’Etat. Or tout le monde est concerné, tout le monde doit défendre ses valeurs et son pays.

Nous sommes tous responsables

"La lutte contre le colonialisme nous a laissé une très forte capacité à affirmer notre personnalité. Au point que parfois on exagère trop. Mais au même moment, nous savons que c’est une arme de défense et non un jugement objectif.

"Au fond de nous, nous savons que nous ne sommes pas les meilleurs. D’ailleurs, tout le monde accorde beaucoup d’attention aux échecs et aucune attention aux réussites.

"Nous sommes en même temps très fiers de nous et nous nous flagellons à longueur de journée.

"Nous nous devons de reprendre nos bonnes valeurs, surtout que nous avons de grands atouts, notamment un Roi populaire et ouvert qui a répondu en 2000 par des réformes sociétales et aux tensions sociales de 2011 par la Constitution et la démocratie.

"Aujourd’hui, beaucoup de gens peuvent se demander qui doit-on pointer du doigt, si on fait le bilan après 10 ans de démocratie et qu'on le trouve catastrophique. La démocratie ? Beaucoup diront qu'on était bien avant et que la démocratie ne marche pas. 

"En réalité, c’est nous tous l’origine du problème. Il faut donc donner, au-delà de la démocratie, des cadres de débat et de vision.

Une inflation inférieure à 2% au Maroc, un scandale !

"Par exemple sur l’inflation, il n’y a pas d’espace de débat. Pourquoi ne pas baisser davantage le taux directeur pour relâcher un peu l’inflation et permettre aux producteurs de relancer la machine économique ? J’ai fait un benchmark et il n’y a pas un seul pays comparable qui réalise une inflation inférieure à 2%. Ils sont tous à 7 ou 8%. C’est un scandale.

"Même dans les pays développés, les autorités monétaires accordent des prêts à taux négatifs pour relancer la croissance. La France qui est endettée à 99% de son PIB, recourt au marché pour s’endetter et elle arrive à le faire à -0,1% car les bailleurs de fonds ont confiance en ses institutions.

"Au lieu de lâcher l’inflation, Bank Al-Maghrib maintient inchangé le taux directeur et le gouvernement marocain privatise des entreprises pour réduire son déficit budgétaire.

Ni Bank Al-Maghrib ni le FMI ni la Banque Mondiale ne doivent nous dicter nos politiques

"Je suis peut-être de la vieille génération. J’ai eu la chance d’être très actif avec de grands hommes qui ont certes fait des erreurs des fois, mais qui ont servi le pays.

"On dit que je suis contre le FMI. C'est faux. Quand Abderrahim Bouabid voulait attaquer le FMI en 1990, j’ai refusé. Parce qu’il fallait plutôt attaquer ceux qui ont amené le pays à un endettement tel que l’on devait faire appel au FMI qui ne fait que s’assurer de la capacité de remboursement de sa créance.

"Aujourd’hui, j’attaque plutôt les politiques que le FMI dicte et je lui demande souvent sur quelle base il prend ses décisions. Les responsables même du FMI que nous rencontrons ne le savent pas. Or, on ne peut accepter un dogme.

"Aujourd’hui, les choses changent. Christine Lagarde qui vient d’être portée à la tête de la BCE arrive avec une politique visant à augmenter un peu les déficits budgétaires, contrairement à sa vision à la tête du FMI.

"Le FMI a vocation d’assurer la stabilité financière du monde. Il n’a pas vocation à nous dicter nos politiques.

"Ce qu’il faut faire ne doit être dicté ni par le FMI ni par la Banque Mondiale ni même par Bank Al-Maghrib. C’est le rôle du gouvernement qui est chargé de concevoir et d’appliquer la politique du pays sur la base des grandes orientations fixées par le Roi.

"Quand il y a eu la décision de flexibiliser le régime de change du dirham, on a eu quelque chose d’anormal. On a vu l’Etat se mettre derrière le gouverneur de Bank Al-Maghrib qui est descendu dans l’arène défendre cette décision notamment devant le Parlement.

"Or c’est le rôle du ministre des Finances et du Chef du gouvernement de défendre cette décision. Bank Al-Maghrib n’est censée faire qu’exécuter les décisions du gouvernement, le conseiller et l’assister.

"Une année plus tard, c’est toujours BAM qui dit que c’est encore tôt pour passer à la deuxième étape de la flexibilité du dirham, et non pas le gouvernement.

"C’est pour cela que j’insiste sur la nécessité de la cohérence institutionnelle. Il faut que chacun fasse son boulot".

(Intervention à parti de 1h00)

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