Exclusif. Rencontre avec les deux victimes de Beni Mellal
Lundi 4 avril, la seconde victime de l’agression homophobe de Beni Mellal comparaît devant la justice. La première victime a été condamnée à 4 mois de prison ferme. Rencontre sur place avec les deux victimes d’agression et de réprobation sociale.
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Amine Belghazi
Le 3 avril 2016 à 17h21
Modifié 3 avril 2016 à 17h21Lundi 4 avril, la seconde victime de l’agression homophobe de Beni Mellal comparaît devant la justice. La première victime a été condamnée à 4 mois de prison ferme. Rencontre sur place avec les deux victimes d’agression et de réprobation sociale.
Beni Mellal. Plusieurs dizaines de personnes de différents âges attendent l'ouverture du portail de la prison locale de Béni Mellal en cette fin de matinée du jeudi 31 mars. Au même moment, Fettah Bennani, le président de l'association Bayt Al Hikma arrive sur les lieux. Il a rendez-vous avec les deux hommes incarcérés dans l'enceinte de l'établissement pénitencier.
Après les formalités d'usage (vérification de l'identité et consignation du téléphone portable), on pénètre tous les deux dans l'enceinte du bâtiment. C'est dans une salle à proximité du bureau de la direction que nous prenons place en attendant l'arrivée des deux détenus.
Assis à la même table, le directeur de la prison présente son établissement. Fettah parle de la démarche de Bayt Al Hikma et de son combat en faveur des libertés individuelles. Le bref échange courtois installe instantanément un paisible climat de confiance.
Quelques minutes plus tard, un "salam aleikom" résonne derrière la porte entrouverte de la salle. Un surveillant fait entrer les deux détenus que le directeur invite à prendre deux sièges disposés d'un côté et de l'autre de la table.
Le café est servi. A. B., le premier condamné, qui a écopé de 4 mois de prison fermes commence son récit:
"Le soir du 9 mars, nous étions dans la maison que je loue à proximité du magasin où je vends de la confiserie et des fruits secs. Nous étions en train de boire de l'eau de vie et nous étions dans un état d'ébriété avancé. Un moment, pendant que nous étions en intimité, un jeune est entré par une partie non recouverte du plafond, et a ouvert la porte à ses amis qui sont ensuite rentrés munis de bâtons et de sabres."
"J'ai deux enfants que je ne vois que très rarement, ma femme les a pris avec elle au moment du divorce. Je ne m'en suis jamais remis. Pour tenir, je consomme quotidiennement de l'alcool."
Submergé par le remord et par la honte, il fond en larmes.
"Quelqu'un vient-il vous rendre visite depuis que vous êtes incarcéré?" lui demande alors Fettah Bennani.
_ "Personne. Tous mes proches m'ont rejeté. Ils ont honte de moi. Personne ne demande de mes nouvelles depuis que l'affaire s'est ébruitée."
"Que puis-je faire pour vous?" demande alors Fettah?
_"S'il vous plaît, demandez à mon voisin de payer les factures d'eau et d'électricité à ma place, sinon ils viendront confisquer les compteurs. Et demandez-lui de contacter mon frère et de lui dire que j'ai besoin de sa présence", dit-il en séchant ses larmes.
A. B. connaissait bien le quartier et ses habitants. Durant plus de 30 ans, il a tenu le commerce et entretenu d'excellents rapports avec son voisinage. Coupé du monde extérieur, il n'a aucune idée de ce qui se trame en ce moment dans son quartier, il ignore ce que ses voisins disent ou pensent de lui après son incarcération. Tout ce qu'il espère, c'est de reprendre un cours de vie normal à sa sortie de prison, en espérant que le temps écoulé fera oublier l'histoire.
Il est loin de se douter que ses voisins de quartier allaient organiser, le même jour, une manifestation pour réclamer la libération de ses agresseurs et le durcissement des sentences prononcées contre lui.
Agé de 37 ans, le deuxième mis en cause comparaîtra devant le juge ce lundi matin. Il semble moins inquiet que A. B. Il porte sur son visage les traces d'une vie difficile: nez brisé, front balafré, de multiples cicatrices, ça et là.
Il dit travailler en tant qu'intermédiaire à la gare routière de Béni Mellal.
Au fil des échanges, il raconte avoir été incarcéré par le passé après avoir été reconnu coupable de rapports sexuels avec un mineur.
La manière avec laquelle il raconte les faits pour lesquels il a été anciennement condamné donne l'impression qu'il ne mesure pas la gravité de son crime, même s'il en a payé les frais. On ne s'invente pas psychiatre, mais sa place n'est visiblement pas dans un établissement pénitencier.
Lucide, Fettah Bennani précise: "il ne faut pas faire d'amalgame entre les deux affaires. Sa première condamnation pour actes de pédophilie ne ressemble en aucun cas aux faits que la justice lui reproche aujourd'hui et qui se rapportent aux libertés individuelles et au droit à l'intimité."
Au delà de l'atteinte aux libertés individuelles et au domicile, cette affaire pose de sérieux problèmes quant au respect de la procédure. Par quel biais a été constaté le flagrant délit? A quel moment?... Les dispositions du code de procédure pénale ont-elles été respectées?
Sur le banc des accusés comparaîtront ce lundi 5 autres individus, dont 3 mineurs. Ils sont accusés d'être les agresseurs des deux homosexuels.
Pour l'heure, on ignore si la victime bénéficiera ou pas des soutiens d'avocats. Des associations à l'instar de Bayt Al Hikma et Adala ont en tout cas manifesté la volonté de les soutenir.