Décryptage. États-Unis-Iran, les raisons du rapprochement

Comment expliquer le rapprochement américain vis-à-vis de l’Iran? Quel sont ses enjeux? Décryptage avec le géopolitologue spécialiste de l’Iran Thomas Flichy de La Neuville.

Décryptage. États-Unis-Iran, les raisons du rapprochement

Le 3 avril 2015 à 15h14

Modifié le 3 avril 2015 à 15h14

Comment expliquer le rapprochement américain vis-à-vis de l’Iran? Quel sont ses enjeux? Décryptage avec le géopolitologue spécialiste de l’Iran Thomas Flichy de La Neuville.

Très critiqué par Israël, l'accord d'étape sur le programme nucléaire iranien signé jeudi à Lausanne entre les puissances occidentales et Téhéran marque une percée historique dans un dossier aux enjeux multiples. C’est aussi une victoire diplomatique pour le président américain, à condition qu’il débouche sur un accord final d’ici au 30 juin.

«Une entente historique», a d’ailleurs salué Barack Obama, qui, «si elle est pleinement appliquée, empêchera l'Iran d'obtenir l'arme nucléaire».

A Téhéran, l'accord a été accueilli par des scènes de liesse. «Une partie de la grande avenue Vali Asr, qui traverse la capitale iranienne, était bloquée par une longue file de voitures dont les conducteurs actionnaient leur klaxon», rapporte l’AFP.

Selon l'accord cadre, l'Iran a accepté de réduire des deux tiers le nombre de ses centrifugeuses, machines servant à transformer l'uranium. La république islamique a aussi accepté de ne plus enrichir d'uranium pendant au moins 15 ans dans le site de Fordo, enfoui sous la montagne et de ce fait impossible à détruire par une action militaire. Le site exploitera un programme à des fins médicales.

Sur l’épineuse question de la levée des sanctions, l'accord prévoit que les mesures unilatérales américaines et européennes seront suspendues dès que le respect de ses engagements par l'Iran aura été certifié par l'Agence internationale de l'Énergie atomique, et qu'elles pourront être rétablies si l'accord n'est pas appliqué. Les résolutions de l'ONU seront levées dès que l'Iran respectera tous les points clés de l'accord.

Au-delà du nucléaire, il pourra, s'il est mis en œuvre, contribuer «à la paix et à la stabilité dans la région» du Proche-Orient, a estimé le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon.

Comment expliquer le rapprochement entre Téhéran et Washington, en froid depuis 1979 ? Ce rapprochement peut-il rebattre les cartes stratégiques du Proche-Orient ? Décryptage avec le géopolitologue spécialiste de l’Iran, Thomas Flichy de La Neuville,  auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient parmi lesquels «L’Iran au-delà de l’islamisme»  (éditions de L'Aube) et «L'Etat islamique: Anatomie du nouveau Califat» (BG Editeur), coécrit avec l’islamologue Olivier Hanne.

-Médias 24: Comment expliquer le rapprochement américain vis à vis de l’Iran ?

- Thomas Flichy de La Neuville: Force est de constater que les sanctions économiques à l’encontre de l’Iran n’ont pas produit tous les effets escomptés, même si la situation économique du pays est très difficile. On peut même parler d’échec si l’on considère le nombre actuel de centrifugeuses par rapport à la situation qui prévalait au moment des premières sanctions.

Loin de confiner davantage ce pays, les sanctions l’ont rapproché de la Russie et surtout de la Chine. Or le centre géoéconomique du monde est en train de se déplacer à grande vitesse vers l’Orient.

Par conséquent, plus le temps passe, plus les sanctions gênent l’Europe. En réalité, les sanctions américaines ne punissent pas l’Iran mais bien les entreprises européennes. En effet, Washington veut assécher le marché iranien de la concurrence européenne.

Or non seulement, les entreprises chinoises ont rempli le vide laissé, mais les sociétés françaises, longtemps découragées par l’hostilité des pouvoirs publics français et des banques, ont été supplantées par leurs concurrents européens, l’Allemagne en particulier. La place de la France s’est effondrée.

-Quel est l’élément déclencheur dans ce rapprochement?

-Depuis une décennie, l’alliance souple entre l’Iran, la Chine et la Russie avait constitué une sorte de Nouvel Empire Mongol. Une forteresse continentale qui s’opposait en quelque sorte à la puissance océanique déclinante des Etats-Unis.

Mais ce nouvel empire souffrait d’une faiblesse de taille: l’île turcophone, c’est à dire la Turquie et les territoires de langue et de culture turque lui échappaient.

Or, d’un point de vue historique, c’est bien le centre turco-mongol qui a fédéré l’Empire de Gengis Khan.

L’élément déclencheur est le suivant: le 1er décembre 2014, ont été conclus une série d’accords bilatéraux d’une extrême importance entre la Russie et la Turquie. Vladimir Poutine, qui a retrouvé l’initiative stratégique en désendettant la Russie, a fait échouer le projet de gazoduc russo-européen en lui substituant un nouveau pipeline russo-turc.

Ce mouvement vers le sud est un succès diplomatique majeur pour Vladimir Poutine. Ce succès est d’autant plus important qu’il n’a été entouré d’aucune publicité. Or, en raison de la concurrence millénaire entre l’Iran et la Turquie, l’alliance Russie – Iran – Turquie- Chine, donne au partenaire Russe un rôle de pivot.  

-Quelle est la stratégie de Barack Obama ?

-A la différence de Vladimir Poutine, qui parvient à multiplier les succès stratégiques  au sein de sa sphère d’influence et peut compter sur la division des européens sur la question ukrainienne, le Président américain est aux prises avec une accumulation inverse de défaites militaires: Afghanistan, Irak, Libye, Ukraine.

Rien ne semble pouvoir enrayer le déclin américain. En réalité, la politique étrangère américaine porte en elle de telles contradictions qu’elle entraîne irrémédiablement le chaos.

Qui plus est, l’Amérique est tentée par une politique de pillage afin de remédier à son endettement colossal. Tout comme Vladimir Poutine, qui exerce une influence visible sur les conseillers d’Obama, le Président américain cherche à retrouver l’indépendance stratégique.

Il lui faut donc revenir à une politique moins aventureuse, plus équilibrée. La meilleure façon de retrouver l’équilibre consiste à se rapprocher de l’Iran. Ce pays va donc devenir au cours des prochain mois, le théâtre d’une guerre d’influences géoéconomiques majeure.

-Quels sont les atouts de l’Iran pour revenir dans la communauté des Nations?

-L’Iran a montré au cours des derniers mois, qu’il se présentait comme l’adversaire le plus déterminé contre l’Etat islamique. Les raisons en sont à la fois religieuses et historiques.

En effet, l’une des fiertés de l’Iran est de constituer un Etat millénaire remontant aux dynasties achéménides puis sassanides. Cette ancienneté de l’Etat lui donne une supériorité sur les monarchies récentes nées à ses côtés. L’on comprend dans ces circonstances que l’expression d’Etat islamique constitue une contestation directe de la République islamique.

Au delà de cette opposition culturelle, il ne fait guère de doute qu’une lutte contre l’Etat islamique qui n’intègrerait pas l’action militaire de l’Iran, serait vouée par avance à l’échec.

En effet, l’Iran est la seule puissance qui puisse et veuille intervenir au sol. Les Etats-Unis le savent. Ils doivent aujourd’hui faire le choix entre des actions de communication visant à se donner l’illusion de la puissance et un retour à la politique, retour qui implique des choix, et par conséquents des renoncements.

L’Iran constitue peut -être le point d’appui ultime à partir duquel les Etats-Unis pourraient renverser la situation en leur faveur. Cette opportunité passée, ils n’auront d’autre choix que de prendre acte de leurs échecs pour revenir à l’isolationnisme. 

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