Mohamed Taher Srairi

Enseignant chercheur, Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II.

Quelles perspectives de l'agriculture marocaine à la lumière du réchauffement climatique et des options du passé ?

Le 30 août 2021 à 11h59

Modifié 31 août 2021 à 11h38

Dans cette tribune, Mohamed Taher Srairi, professeur universitaire à l’Institut agronomique et vétérinaire Hassan II, revient sur l’impact du changement climatique sur l’agriculture marocaine. Il appelle à un changement de politique privilégiant des solutions plus innovantes, notamment le recours à l’eau renouvelable comme la pluie.

Nous récoltons ce que nous avons semé : un pays qui se dessèche et qui importe sa nourriture. Des forêts brûlées dans le Rif, des milliers de palmiers dattiers calcinés dans le Drâa, le Tafilalet, à Tata et à Oued Noun (impliquant le fait que des dizaines de familles ont perdu leur principale source de revenus dans les oasis), des oliveraies entièrement consumées près de Rabat et de Meknès, les productions de l'avocatier et de la vigne détruites par le vent du « chergui ».

Depuis le début de l'été 2021, les Marocains assistent, dans un état de panique, à une série de catastrophes provoquées par le manque d'eau. Et ce n'est que la partie visible de l'iceberg ! Les effets du réchauffement climatique et de l’utilisation irrationnelle de l'eau sont plus néfastes que ces simples phénomènes.

Malgré tout le tapage médiatique autour des économies d'eau résultant de l'expansion du goutte-à-goutte et les millions de dirhams de subventions qu’il a engloutis, l’impact des politiques agricoles de la dernière décennie est désormais clair : l'épuisement avancé des nappes phréatiques suite à l’intensification de l’irrigation, en particulier dans les régions du sud et de l'est du pays, les disruptions du service de l’eau vers de grands centres urbains (le cas d'Agadir durant l'automne dernier en étant la preuve la plus évidente) et l’insuffisante valorisation économique de l'eau d'irrigation, loin des objectifs, comme cela a résulté de l'effondrement des prix des pastèques cette année, ou des agrumes suite à leur surproduction à partir de 2014, imposant l’arrachage des arbres.

Il apparaît ainsi que même dans de nombreuses zones irriguées à partir des barrages, la demande accrue ne peut plus être satisfaite, et les maigres niveaux de réserves induisent un arrêt long des lâchers d’eau, avec les dommages qui en découlent : réduction de la superficie agricole exploitée et perte de récoltes, recherche de sources hydriques alternatives, en arrivant jusqu'à l'exode rural. Les très faibles taux de remplissage de nombreux barrages privilégient donc les centres urbains, quand il ne s'agit pas simplement d'un envasement à vaste échelle.

Des effets néfastes connus d'avance

Face à ces faits graves, les Marocains ne méritent-ils pas une discussion apaisée sur l'avenir de leur sécurité hydrique ? Va-t-on continuer à faire abstraction de la nature dans les ambitions agricoles ? L'exploitation des eaux souterraines, souvent non renouvelables, peut-elle continuer à être encouragée alors que des villages entiers n'arrivent plus à épancher leur soif ? Faut-il amplifier l'expansion de l'irrigation, même à partir de sources hydriques non conventionnelles comme l'eau de mer dessalée, avec un coût environnemental et économique conséquent (plus de 5 DH le mètre cube), sans oublier la dépendance totale vis-à-vis des fournisseurs étrangers pour cette technologie ?

Faut-il continuer à subventionner des exploitations spécialisées dans des cultures de rente principalement destinées à l'exportation (tomates, agrumes, fruits rouges, oliveraies, avocatiers, etc.), sachant qu'elles contribuent à épuiser les ressources en eau, notamment souterraines ? N'est-ce pas là une négation irréfléchie des multiples avantages de l'intégration cultures/élevage dans les mêmes territoires, que tous les travaux scientifiques récents recommandent d’encourager : diversifier les sources de revenus des agriculteurs le long de l’année, maintenir la fertilité et la vitalité des sols en recyclant la matière organique, valoriser les résidus de cultures et les mauvaises herbes par le bétail et créer ainsi des opportunités d'emploi ?

Ces fonctions ne sont-elles pas aussi indispensables à la promotion des bonnes pratiques agricoles qui favorisent la diminution des émissions de gaz à effet de serre ? La voie de développement centrée sur l'intensification de l'irrigation et la spécialisation dans une culture particulière est-elle la seule option possible pour l'agriculture nationale ?

Ses effets sont connus d’avance : plus de disparité entre la minorité qui a accès aux ressources en eau rares et chères et la majorité exclue de cette course sans fin ; plus d'exposition aux turbulences des marchés internationaux qui peuvent parfois rejeter nos produits, se traduisant par des invendus et donc des pertes d'argent pour les agriculteurs ; plus de dépendance vis-à-vis des aliments importés, comme les céréales, les huiles, les dattes, etc. ; plus de vulnérabilité vis-à-vis des de la volatilité des prix des quantités importantes d'intrants agricoles importés (énergie fossile, vaches laitières, variétés végétales, pesticides, machines agricoles, etc.) à un moment où le patrimoine génétique national a été marginalisé.

Des alternatives privilégiant l'eau de pluie

Que se passera-t-il avec un changement climatique plus sévère, qui laisse malheureusement présager pour notre pays dans les prochaines décennies une baisse significative des précipitations et une augmentation des températures ? N'est-il pas temps de changer de politique et de penser à des solutions plus innovantes qui n'encouragent que les activités utilisant de l'eau renouvelable, notamment la pluie (céréales, élevage adossé aux pâturages naturels et aux fourrages non irrigués, etc.), en parallèle à un contrôle strict des prélèvements d'eau souterraine ?

Combien de temps tolérerons-nous de ne pas prendre en compte les impacts environnementaux négatifs de nos politiques agricoles pour satisfaire des intérêts financiers ? Est-il encore permis d'exporter des produits agricoles qui nécessitent d'importantes quantités d'eau d'irrigation dans des zones arides vers les pays du Nord, qui ne souffrent pas de stress hydrique ? L'initiative internationale actuelle de réflexion à des systèmes alimentaires durables n'incarne-t-elle pas une opportunité de remise en question au niveau local et de réparer ce qui peut l'être avant qu'il ne soit trop tard ?

Telles sont les questions qui doivent être sérieusement abordées, afin de ne pas exagérer les effets des pénuries d'eau, de maintenir les équilibres territoriaux et d'assurer des rémunérations décentes aux millions de personnes qui ont encore l'intention de travailler dans l'agriculture. Car il faut en être convaincu une bonne fois pour toutes : il est temps de changer radicalement la philosophie du rapport entre agriculture et irrigation, compte tenu de la nature aride du climat marocain, en s'appuyant sur des connaissances scientifiques avérées.

Tirer les leçons des pays du Golfe

En effet, dans le passé, avec des besoins en eau limités, il était possible d’envisager des cultures sous un régime entièrement irrigué, mais ce n'est plus une option raisonnable, car la ressource hydrique sera soumise à une exploitation minière qui ne garantit pas sa pérennité. En fait, l'irrigation ne doit être considérée que comme un complément à la pluie. Et là où les précipitations sont limitées (moins de 300 millimètres annuellement et des températures dépassant les 35°C tout au long de l'été), il faut admettre que l'agriculture ne peut créer suffisamment de richesses pour être effectivement la locomotive du développement humain.

Pour toutes ces raisons, l'opinion publique nationale doit cesser d'exagérer le mythe du Maroc comme puissance agricole, sachant qu’au cours de l'année 2020, le pays a importé d’énormes quantités de denrées alimentaires, représentant plus de 100 % des calories consommées par l'ensemble de la population, afin se prémunir des répercussions de la pandémie de la Covid-19 et de la sécheresse : des millions de tonnes de blé, de maïs, d’orge, d’huiles végétales, de sucre et des dizaines de milliers de tonnes de thé, de produits laitiers, de dattes, etc.

Des leçons doivent également être tirées des expériences des pays arabes du Golfe, qui ont été contraints d'arrêter l'utilisation non durable des eaux souterraines dans l'agriculture, malgré leurs moyens financiers considérables. Enfin, compte tenu de toutes ces données et des changements rapides qui les caractérisent, une attention toute particulière doit être accordée à la formation de cadres hautement qualifiés capables de saisir les complexités du développement rural et les défis croissants de la gestion des ressources de ces régions, qui seront imposés par un manque d'eau exacerbé par le réchauffement climatique dans le futur proche.

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