Ukraine. Pascal Boniface décrypte pour Médias24 la situation géopolitique mondiale
Géopolitologue français, fondateur et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, Pascal Boniface nous parle de la guerre en Ukraine, des intentions de Poutine aussi bien en Europe qu’en Afrique, et nous livre son analyse de la situation géopolitique mondiale.
Ukraine. Pascal Boniface décrypte pour Médias24 la situation géopolitique mondiale
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Mehdi Michbal
Le 28 février 2022 à 17h53
Modifié le 28 février 2022 à 18h45Géopolitologue français, fondateur et directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques, Pascal Boniface nous parle de la guerre en Ukraine, des intentions de Poutine aussi bien en Europe qu’en Afrique, et nous livre son analyse de la situation géopolitique mondiale.
Médias24 : Le monde est aujourd'hui au bord du précipice avec la guerre déclarée par la Russie contre l’Ukraine. Comment qualifiez-vous la situation géopolitique actuelle ?
Pascal Boniface : Elle est très grave. Ce n’est certes pas la première fois depuis 1945 qu’il y a une guerre en Europe, parce qu’il faut rappeler que les pays de l’OTAN étaient en guerre contre la Yougoslavie en 1999, mais c’est la première fois que Moscou attaque un pays étranger.
Il y a eu, du temps de la guerre froide, des interventions des polices internes de l’URSS en Hongrie ou en Tchécoslovaquie, mais là, on vit une situation différente, et particulièrement dramatique.
- La riposte occidentale a pris pour l’instant la forme de sanctions économiques et financières contre la Russie. Pensez-vous que ce soit une réponse assez forte pour contrer Moscou ?
- Les sanctions économiques n’ont jamais suffi. Mais c’est surtout pour éviter une réponse militaire. Cela étant, personne ne souhaite une réponse militaire, dans la mesure où ça peut déclencher une troisième guerre mondiale, et personne ne veut prendre ce risque.
Même si on ne voulait pas la faire, il ne fallait pas le dire aussi ouvertement, mais laisser plutôt une certaine incertitude sur les intentions de l’Occident et ne pas dire franchement qu’on ne fera rien. Cela été vécu par Poutine comme une invitation à agresser l’Ukraine.
- Le scénario d’une riposte militaire est donc écarté, selon vous...
- Oui, il a été écarté avant même l’offensive russe. Les États-Unis disaient que l’attaque russe était imminente et qu’il n’y aurait aucune réaction militaire de la part des États-Unis ou de l’OTAN.
Je pense que Poutine a commis une erreur en attaquant l’Ukraine, il va en payer un prix assez important. Mais il a vu cela comme une fenêtre d’opportunité.
- Quelle sera la suite ? Jusqu’où peut aller Poutine ?
- S’il veut occuper l’Ukraine, il y aura très certainement des pertes humaines assez importantes, ukrainiennes mais aussi russes. Cela pourrait entamer son crédit, sa popularité et également la place historique qu’il peut laisser en Russie.
Poutine a fait une erreur monumentale d’appréciation. Les Ukrainiens sont désormais viscéralement hostiles à Moscou. L’OTAN a refait son unité et est plus solide que jamais. Et l’isolement de la Russie va peser sur l’opinion russe. C’est la place qu’il va laisser dans l’Histoire qui est en cause pour Poutine.
- Surtout avec une économie déjà fragile et qui devra accuser le coup des nouvelles sanctions…
- En fait, la Russie vit avec des sanctions depuis 2014, elle s’y est habituée. Elle a une dette très légère, qui ne dépasse pas 15% de son PIB. Par ailleurs, la Russie a bâti son budget 2022 avec un baril à 40 dollars, alors que le pétrole se négocie aujourd’hui à près de 100 dollars. L’augmentation des produits énergétiques compense très largement les sanctions éventuelles qui seront prises contre la Russie. Mais l’ampleur des sanctions décidées va avoir un effet à moyen terme.
Le monde occidental a perdu le monopole de la puissance qu’il a eu pendant à peu près cinq siècles.
- Le spectre de la guerre n’inquiète pas que les Européens, mais aussi les Africains du fait de la présence de forces russes au Mali et en Centrafrique. Quelle partition est en train de jouer Poutine dans cette région du monde ?
- Il essaie de pousser son avantage le plus loin possible. Et il profite de chaque fenêtre d’opportunité qui s'ouvre. Dès qu’un espace se libère, comme au Mali par exemple, il profite de la relative impopularité de la France pour avancer, pour s’établir. Et donc en fait, dès qu’il y a un espace qui se libère, il essaie de le remplir.
- Cela peut être déstabilisant pour la région du Sahel et l’Afrique en général, surtout que les Occidentaux ont montré qu’ils ne voulaient pas se laisser faire dans cette région du monde ?
- Ce serait malhonnête intellectuellement de dire qu’il n’y a que la Russie qui vienne déstabiliser l’Afrique, parce qu’il y a plein de facteurs internes et externes qui expliquent les actuelles déstabilisations de l’Afrique.
Les États-Unis sont une puissance majeure, elle n’est pas en déclin, mais elle est rattrapée par la Chine. La Chine avance plus vite que les États-Unis.
- Avant même cette offensive contre l’Ukraine, on assistait déjà ces dernières années à une redistribution des cartes au niveau mondial. En quoi consiste cette nouvelle donne géopolitique, et quels sont les enjeux de demain ?
- Ils sont nombreux. Le plus important, c’est que le monde occidental a perdu le monopole de la puissance qu’il a eu pendant à peu près cinq siècles.
Le deuxième, c’est une rivalité très forte et montante entre les États-Unis et la Chine. Les États-Unis sont une puissance majeure, elle n’est pas en déclin, mais elle est rattrapée par la Chine. La Chine avance plus vite que les États-Unis.
Et puis il y a la Russie qui n’accepte plus les conditions qui lui ont été faites au sortir de la guerre froide et qui veut sa revanche, et le fait très brutalement par la guerre. Tout cela explique les crises actuelles.
- Y a-t-il une issue à ces crises, à cette escalade des tensions dans le monde ?
- Il est nécessaire, à mon avis, de refonder une architecture de sécurité à la fois européenne et mondiale. Mais, pour l’instant, il n’y a pas d’accord entre les puissances pour refonder cette architecture. D’où la situation de désordre à laquelle on assiste.
- Au cours du récent Sommet UE-UA, on a compris que l’Afrique était devenue le nouveau terrain de jeu des puissances mondiales : la Chine, la Russie, les États-Unis… Qu’est-ce qui se trame en Afrique ?
- L’Afrique a été à la fois courtisée et soumise aux influences étrangères au moment de la guerre froide. Elle s’en est plainte. Mais la fin de la guerre froide signifiait l’abandon de l’Afrique. L’Union soviétique n’existant plus, les États-Unis se sont désengagés de l’Afrique. Par ailleurs, les Européens ont eu pour priorité la reconstruction de l’Est, la réunification européenne, et l’Afrique a été délaissée dans la décennie 1990.
À partir des années 2000, il y a eu un regain d’intérêt pour l’Afrique, parce que le continent est entré de plain-pied dans la globalisation, qu’il a connu une croissance économique très forte, et qu’on a vu de nombreux acteurs intervenir sur le champ africain comme le Japon, le Brésil, la Chine, la Turquie, la Russie qui fait un retour, les États-Unis, puis l’Europe.
Effectivement, l’Afrique n’est plus abandonnée, elle est multi-courtisée. Elle peut se plaindre de ces ingérences extérieures, mais le fait qu’elle soit au centre des intérêts d'autres puissances montre sa valeur.
- Dans ce paysage que vous décrivez, comment un pays comme le Maroc, qui aspire à l’émergence et à jouer un rôle géopolitique en Afrique comme dans la région méditerranéenne, peut-il se positionner ?
- C'est aux Marocains de le dire, pas à moi.
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Mehdi Michbal
Le 28 février 2022 à 17h53
Modifié 28 février 2022 à 18h45