Violences faites aux femmes. Ce que pensent des associations du projet de Code de procédure pénale
Si certaines associations critiquent le texte pour l’absence de mesures de protection envers les femmes victimes de violences, d’autres appellent à ce que ces mesures soient écartées du dispositif pénal pour en faire des mesures civiles. Détails.
Violences faites aux femmes. Ce que pensent des associations du projet de Code de procédure pénale
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Sara Ibriz
Le 6 septembre 2024 à 16h21
Modifié 9 septembre 2024 à 10h09Si certaines associations critiquent le texte pour l’absence de mesures de protection envers les femmes victimes de violences, d’autres appellent à ce que ces mesures soient écartées du dispositif pénal pour en faire des mesures civiles. Détails.
Depuis son adoption en Conseil de gouvernement, le projet de Code de procédure pénale suscite de nombreuses réactions, notamment de la part de militants pour les droits des femmes.
Certains d’entre eux critiquent la mouture actuelle du texte. Ils estiment qu’il omet les mesures de protection envers les femmes victimes de violences. D’autres ne s’attendent pas à ce que ces mesures de protection soient prévues dans ce texte, mais plutôt dans le Code de procédure civile.
Un texte décrié
Le 2 septembre, soit quelques jours après l’adoption du projet de Code de procédure pénale en Conseil de gouvernement, l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté a publié un communiqué de presse dans lequel elle critique vivement le contenu de ce projet de loi.
L’association rejette ce texte qui, selon elle, “ne prévoit aucune protection juridique au profit de la femme marocaine dans les affaires de violences basées sur la discrimination”.
Dans son communiqué, l’association Tahadi pour l’égalité et la citoyenneté déplore le fait que la réforme réalisée ne soit pas fondée sur une approche genre, dont l’absence se reflète dans “la formulation des amendements” de ce texte qui “ne traduit pas la protection légale attendue au profit de la femme marocaine”. À titre d’exemple, le texte ne prévoit pas une “police judiciaire spécialisée dans les affaires de lutte contre les violences faites aux femmes avec des prérogatives claires, à l’instar de la police judiciaire spécialisée dans les affaires des mineurs”.
Le texte ne prévoit pas non plus, comme le déplore l’association, de dispositions spécifiques aux affaires de violences sur la base de la discrimination qui portent sur les délais de prescription, par exemple.
L’association reproche également au texte de ne pas supprimer les circonstances atténuantes pour les auteurs d’agressions sexuelles.
Cela dit, il convient de rappeler que ce projet de loi a été élaboré pour amender le Code de procédure pénale et non pas le Code civil que le ministère de la Justice n’a pas encore finalisé. Certaines dispositions, notamment en matière de sanctions, relèvent du Code pénal.
Concernant les mesures de protection, leur absence du Code de procédure pénale n’est pas critiquée par d’autres parties qui estiment que ces mesures doivent être inclues dans le Code de procédure civile ou bien dans le Code de la famille.
Situation actuelle : des mesures éparpillées
Contactée par Médias24, Stéphanie Bordat, cofondatrice de l'association MRA (Mobilising for Rights Associates), estime que “les mesures de protection devraient être des mesures civiles et non pas pénales”, et ce, à l’instar d’autres pays qui appliquent cette approche permettant d’assurer une meilleure protection aux femmes victimes de violences.
Avant de se pencher sur le plaidoyer de l’association MRA, Stéphanie Bordat s’attarde d’abord sur la situation actuelle. Elle explique que le cadre juridique actuel en matière de mesures de protection des femmes victimes de violences est “éparpillé”.
“Il y a des dispositions dans le Code pénal et d’autres dans le Code de procédure pénale. Certaines sont récentes, puisqu’elles ont été ajoutées par la loi 103.13 relative à la lutte contre les violences faites aux femmes, mais, de manière générale, ces mesures sont éparpillées”, explique-t-elle.
Or, pour Stéphanie Bordat, ces mesures ne doivent pas être liées au dispositif pénal, mais plutôt intégrées à un texte civil, et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que, selon les “statistiques les plus récentes, seulement 10% des victimes de violences portent plainte auprès de la police. Mais les mesures de protection ne sont activées que lorsque la victime dépose une plainte et que des poursuites sont entamées ou bien lorsqu’il y a une condamnation. C’est beaucoup trop tard dans le processus pour offrir une protection”.
Pour Stéphanie Bordat, “les dispositions existantes n’offrent pas une protection adéquate aux femmes victimes de violences et ne préviennent pas contre les risques futurs de violences”.
De plus, ces mesures de protection ne sont pas obligatoires mais facultatives, et donc laissées à la discrétion du juge. Or, Stéphanie Bordat assure que “selon les échanges que nous avons sur le terrain avec des magistrats, ces derniers n’appliquent pas ces mesures à cause d’un manque de clarté”.
Notre interlocutrice rappelle que “très souvent, surtout dans les cas de violences domestiques, les femmes ne souhaitent pas porter plainte. Tout ce qu’elles veulent, c’est mettre fin à la violence, sans impliquer la police ou la gendarmerie et sans s’engager dans un système de justice pénale. Dans les cas où la femme n’est pas mariée à son agresseur, elle est confrontée à une autre difficulté : celle de se retrouver poursuivie sur la base de l’article 490 du Code pénal, au cas où elle porterait plainte”.
Dans le Code de procédure civile ou dans le Code de la famille
Pour dépasser toutes ces difficultés, Stéphanie Bordat estime que la solution est de distinguer ces mesures de protection du dispositif pénal. “Il faut les prévoir dans le Code de procédure civile ou dans le Code de la famille”, souligne-t-elle en rappelant que cette proposition fait partie du plaidoyer de l’association MRA dans le cadre de la réforme du Code de la famille.
“Nous avons appelé à accorder au juge de la famille le pouvoir d’ordonner des mesures de protection en faveur des femmes victimes de violences pour sortir cela du cadre pénal. C’est ce que les Tunisiens ont fait dans leur loi contre les violences faites aux femmes en 2017. Il s’agit de mesures distinctes et autonomes à livrer immédiatement à la demande de la victime, à travers une audience d’urgence. Dans ce sens, la femme ne sera pas obligée d’aller à la police, de porter plainte et d’attendre. L’objectif d’une mesure de protection, c’est de protéger les femmes. Elle doit être livrée immédiatement sans l’obligation de déposer une plainte”, martèle cette activiste.
Elle rappelle, par ailleurs, qu’une ordonnance de protection doit être “temporaire et renouvelable”, mais aussi qu’elle doit :
- garantir la pension alimentaire des enfants ;
- évoquer la question de représentation légale des enfants ;
- prévoir le droit de rester dans le domicile familial pour la victime et les enfants ;
- prévoir l’expulsion de l’auteur de violences du domicile ;
- prévoir une interdiction d’approcher ou d’entrer en contact avec la victime.
Le projet de Code de procédure civile a été élaboré par le ministère de la Justice avant celui du Code de procédure pénale. Même s’il a été adopté par la première chambre, le texte ne fait pas l’unanimité et ne contient pas de mesures de protection en matière de violences faites aux femmes.
Cela dit, le Code de la famille et le Code pénal n’ont pas encore vu le jour. Il est donc possible que des mesures plus sévères pour les auteurs et plus fluides pour les victimes soient prévues dans ces textes très attendus.
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