Dr. Naima Hamoumi, Professeur retraitée de l’Université Mohammed V Agdal, Rabat. Experte en Géosciences marines terrestres et de l’Environnement
Doctorant en Géologie, Faculté des sciences Université Mohammed V, Agdal Rabat
Découverte de volcans de boue liés à des hydrates de méthane à Tingarf, province d’Azilal
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Le 3 septembre 2024 à 13h41
Modifié 3 septembre 2024 à 18h44Des émissions de fumée blanche sortant de terre dans la province d'Azilal. Un phénomène déjà observé dans deux autres provinces, Fkih Ben Salah et Khénifra, faisant à chaque fois le buzz et créant parfois la panique chez les populations locales. Volcan ? Tourbières ? Les rumeurs se sont multipliées. Comme l'expliquent les experts Naima Hamoumi et Said Courba dans ce texte, le phénomène est observé dans ces régions qui se sont développées dans le même contexte géodynamique. Ce qui laisse penser à l'existence d'un potentiel gazier qu'il faut investiguer avec des études poussées. Fait étrange, malgré l'inquiétude que suscitent ces phénomènes chez les populations et l'avis des scientifiques plaidant pour la possible existence d'un potentiel gazier, ni l'ONHYM, ni son ministère de tutelle ne se sont saisis du sujet ni n'ont communiqué en direction de l'opinion publique.
Tingarf : siège d’une réactivation de volcans de boue liés à l’expulsion de
gaz
La vidéo montrant des émissions de fumée blanche à partir de fissures à Tingarf dans la province d’Azilal, publiée dans la page facebook Draa Net le 16 août 2024 a fait le buzz ces derniers jours. Ce phénomène naturel identique à ceux qui ont été enregistrés près de Douar Ahmed ben Brahim dans la province de Fkih Ben Salah en mars 2024 et à Timedghas dans la province de Khénifra en avril 2024, a intrigué et inquiété la population locale.
Les explications données par des géologues et des facebookers concernant ce phénomène naturel se résument en deux interprétations :
- l’existence d’une tourbière dont l’assèchement a été favorisé par le réchauffement climatique,
- des émissions de fumée à partir d’un volcan magmatique liées à la réactivation de failles durant le séisme du Haouz.
Il s’est avéré donc nécessaire d’effectuer une mission de terrain à Tingarf afin d’observer ce phénomène de visu et de préciser sa nature et son origine (Fig.1). L’étude géomorphologique et géologique a montré qu’aucune des interprétations avancées ne pouvait être retenue et qu’il s’agit en fait de la réactivation d’un volcan de boue lié à l’expulsion de méthane.
Des données géomorphologiques et géologiques qui plaident en faveur de l’existence d’hydrates de méthane dans le substratum
Les volcans de boue se développent dans une vaste dépression de taille plurikilométrique à une altitude de plus 2.300 m (Fig. 2). Ils se présentent comme des édifices de forme conique identique à celle de leurs homologues les volcans magmatiques ou sous forme de ride. Leur hauteur peut atteindre 200 m et leur diamètre est d’ordre hectométrique.
Les émissions de méthane et de vapeur d’eau s’effectuent dans la zone d’un volcan de boue ancien qui est le siège d’une fracturation, qui se poursuit encore et où vient de se former un cratère secondaire (Fig. 3)
Les édifices des volcans de boue sont constitués par un mélange sédimentaire chaotique très mal classé, sans granoclassement, sans fabrique et sans aucune stratification. La matrice de ce mélange est une brèche argileuse qui est composée de marne couleur ocre et d’argilites friables, à débit écailleux et de couleur variée : noire gris, gris-verdâtre, vert, rougeâtre, jaunâtre ou marron. La couleur noire de la brèche argileuse peut résulter des épanchements de fluide contenant des hydrocarbures ou des résidus de la matière organique lorsque le méthane prend feu (Fig. 4). Les éléments peuvent être des fragments de roche ou des blocs de taille métrique à plurimétrique. Les fragments de roche (granules, graviers et galets) sont très mal classés de forme anguleuse et de nature lithologique variés : roches volcaniques, grès, calcaire, croûte carbonatée et galets de brèche argileuse semi indurés intraformationnels (Fig. 5). Les blocs sont métriques et de nature variée : conglomérat, barre calcaire métriques, alternance centimétrique de bancs calcaires et de marnes (Fig. 6).
Pourquoi des volcans de boues liés à l’expulsion de gaz à Tingarf ?
Les critères géomorphologiques et géologiques mis en évidence sur le terrain, ainsi que la formation d’un cratère, la fracturation du terrain qui se poursuit encore, les émissions de vapeurs d’eau et de méthane et les épanchements de fluides noirs, plaident en faveur de l’existence de volcans de boue liés à des hydrates de méthane et à leur réactivation actuelle.
Sur le plan géologique, la région de Tingarf appartient au Haut Atlas central. D’après les auteurs, la surrection de cette chaîne de montagne intracontinentale est liée à une inversion tectonique ayant débuté à la fin de l’Eocène (-33,9 Ma), qui est à l’origine d’un raccourcissement et de la formation de bassins syn-orogéniques. Ce contexte géodynamique est favorable à la formation de volcans de boue liés à des hydrates de gaz. En effet, la majorité des volcans de boue à travers le monde, sont souvent associés aux ceintures des zone de subduction et de convergence dans les marges océaniques actuelles et dans les fronts des chaînes de montagne à terre.
La réactivation du volcan de boue de Tingarf n’est pas un cas isolé, il y a eu en l’espace de quelques mois celles des volcans de boue de Douar Ahmed Ben Brahim dans la province de Fkih Ben Salah et de Timedghas dans la province de Khénifra. Ces trois régions qui sont situées au front et dans le système atlasique (Haut Atlas et Moyen Atlas), se sont développées dans le même contexte géodynamique (Fig. 7).
Il est donc essentiel de lancer dans ces régions un programme d’investigation complet et intégré portant sur les études géophysiques, structurales, stratigraphiques, sédimentologiques et géochimiques. Et ce afin :
i) de revisiter les terrains géologiques du système atlasique à la lumière des avancées en géosciences,
ii) d'étudier en détail toutes ces provinces de volcans de boue,
iii) d'évaluer l’importance et l’étendue des gisements de gaz,
iiii) de préciser la nature des minerais et la qualité des gaz associés.
En plus de son intérêt scientifique, la connaissance des volcans de boue a des retombées socio-économiques importantes, en plus des gisements potentiels de gaz dans le substratum, ces structures géologiques peuvent être associées à des provinces d’hydrocarbures et à des terres rares. Par ailleurs, des risques majeurs peuvent être associés aux volcans de boue. Selon les spécialistes, leur réactivation peut être annonciatrice d’un séisme important ou traduire des modifications post sismiques. Enfin, il faudrait sensibiliser les "Rahalas" et les bergers de ne pas utiliser ces terrains pour leur bivouac ou comme pâturage pour leur troupeau car d’une part, les émanations de gaz sont toxiques et peuvent parfois prendre feu et d’autre part, la fracturation et les affaissements en cours peuvent se poursuivre et s’accentuer.
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