Bennaceur Bousetta

Expert-comptable, Managing partner du cabinet BBO & Partners

La nouvelle Charte de l'investissement : comment capitaliser sur les acquis du passé et saisir les opportunités à venir ?

Le 12 mars 2023 à 17h01

Modifié 12 mars 2023 à 17h01

Bennaceur Bousetta, expert-comptable, Managing Partner du cabinet BBO & Partners et président de la Commission juridique et fiscale de la CFCIM, analyse les enjeux et la portée du nouveau dispositif de soutien instauré par la Charte de l’investissement. Il évoque les principaux enseignements à tirer des expériences passées pour sécuriser et promouvoir l’acte d’investir.

Une nouvelle Charte de l’investissement : de nouvelles ambitions…

Depuis sa promulgation le 9 décembre 2022, la loi-cadre 03-22 formant Charte de l’investissement a suscité un grand intérêt auprès des opérateurs économiques. Ce texte était très attendu par la communauté des affaires, qui y voit une opportunité pour renforcer l'attractivité du Maroc en matière d'investissement et un véritable levier pour améliorer le climat des affaires.

Cette nouvelle charte, venant abroger l’ancienne loi cadre 18-95 qui remonte à 1995, se fixe comme objectif principal de développer l’attractivité des investissements au Maroc pour accélérer la croissance économique, l’un des socles du Nouveau Modèle de développement qui aspire à créer les conditions pour que le Royaume tire profit de l’ensemble de ses atouts en devenant une nation d’opportunités, d’entrepreneuriat et d’innovation.

Selon les données de la Banque mondiale, l’effort d’investissement au Maroc a atteint en moyenne 32,2% du PIB entre 2000 et 2019, contre 25,6% comme moyenne mondiale et 29% pour les pays à revenu intermédiaire, tranche inférieure. Cet effort est porté essentiellement par le secteur public qui participe à hauteur de 65%, soit l’équivalent de 245 MMDH dans la loi de finances 2022.

L’ambition à terme est d’inverser la tendance entre investissement public et privé, et d’accroître la quote-part de ce dernier (dont la rentabilité dépasse celle des participations publiques !) à deux tiers de l’investissement total à l’horizon 2035, sans oublier que les chaînes de valeur du futur seront axées principalement sur les nouvelles technologies et le digital. Il s’agit alors de bien préparer le terrain pour y positionner le Maroc.

Cette loi-cadre est structurée autour de trois axes :

- Axe 1 : quatre dispositifs de soutien à l’investissement ;

- Axe 2 : amélioration du climat des affaires ;

- Axe 3 : gouvernance unifiée et territorialisée de l’investissement.

Déploiement effectif : décrets d’application et manuel de procédures de la charte

Pour rendre cette loi-cadre opérationnelle sur le terrain, il faut des textes d’application. D’où l’adoption le 26 janvier 2023, par le Conseil de gouvernement, du premier décret n° 2.23.1 relatif à la mise en œuvre du dispositif de soutien principal à l’investissement et du dispositif de soutien spécifique applicable aux projets d’investissement à caractère stratégique, en attendant les deux prochains décrets prévus pour juin et décembre 2023. Ce premier décret a été suivi de deux arrêtés, apposés par le chef du gouvernement au début du mois de mars, qui clarifient les critères d’éligibilité pour pouvoir bénéficier du nouveau dispositif de soutien, tels que le minimum de création d’emplois, le classement des provinces par catégories, ou encore la définition des métiers d’avenir ou à fort contenu technologique…

Par ailleurs, un manuel de procédures devrait voir le jour à l’initiative de l’AMDIE (Agence marocaine de développement des investissements et des exportations), en vue de faciliter le déploiement effectif de la nouvelle charte, à travers la déclinaison opérationnelle des instruments et mécanismes d’appui prévus.

Acte d’investir : le nouveau dispositif de soutien est-il suffisant pour booster l’investissement ?

Le Maroc a depuis longtemps l’ambition de consolider son cadre juridique, règlementaire et institutionnel pour rendre la politique d’investissement plus efficace. De nombreux efforts ont été réalisés dans ce sens, et le chemin parcouru est remarquable.

Il y a lieu de rappeler que la dernière Charte de l’investissement de 1995 était limitée à une série de mesures fiscales, douanières et à d’autres relatives à la participation de l’Etat dans le foncier, l’infrastructure externe et/ou la formation professionnelle. De plus, les incitations fiscales prévues dans le régime conventionnel (article 17 de la Charte de l’investissement) étaient devenues caduques en raison des avantage fiscaux apportés par les lois de finances qui se sont succédé, parfois plus attractives. Il fallait bien mettre de l'ordre en donnant davantage de cohérence et de globalité à ce dispositif !

Cependant, il est important de prendre du recul et de tirer des enseignements pertinents des expériences passées en matière de soutien à l’acte d’investir au Maroc. Il convient également d'élargir la réflexion sur la problématique de l'investissement au-delà des incitations financières et fiscales proprement dites.

Pour améliorer l'approche et aborder cette question de manière plus efficace et globale, six points clés ont été identifiés. Ces pistes d'amélioration et axes de réflexion sont synthétisés comme suit :

  1. La stabilité de la politique fiscale : La volonté de promouvoir le système fiscal au Maroc a été jalonnée par une succession de réformes, inscrites dans une volonté de modernisation et de simplification, pour lui assurer clarté et efficience. Mais en dépit des avancées et des résultats significatifs et indéniables, le système fiscal marocain continue de présenter des limites et des difficultés liées aussi bien au manque de cohérence et de visibilité qu’à la faiblesse de ses résultats, en comparaison du potentiel fiscal du pays[1].

Notre système fiscal a été longtemps marqué par son instabilité, à travers les multiples dispositions introduites par les lois de finances qui se succèdent, faisant perdre la lisibilité et la cohérence dudit système. Un phénomène accentué par l’introduction de dispositions, résultat de pressions et de négociations défendant des intérêts catégoriels et/ou sectoriels (pouvant être légitimes, mais pas forcément réfléchis dans une convergence et cohérence globale). La stabilité de la doctrine fiscale est de nature à donner plus de visibilité aux acteurs économiques et, surtout, aux nouveaux investisseurs.

Par ailleurs, l’accélération du déploiement des dispositions de la loi-cadre n° 69-19 portant réforme fiscale, notamment celles en relation avec l’incitation à l’investissement, devrait jouer un rôle important dans l’amélioration de l’attractivité de notre pays en matière d’investissement.

Certes, la loi de finances 2023 a apporté quelques réponses, notamment l’entame de la réforme globale des taux de l’impôt sur les sociétés (IS), selon une approche progressive pour converger vers un taux cible de 20% à l’horizon 2026, accompagnée de la baisse de la retenue à la source sur la distribution des dividendes à 10% (contre 15% actuellement), ce qui permettra d’atteindre l’un des taux effectifs les plus compétitifs dans le pourtour méditerranéen. Toutefois, certaines réformes importantes touchant notamment la TVA, la fiscalité des collectivités territoriales et les taxes parafiscales, ne sont pas encore engagées dans leur dimension véritable, et les opérateurs économiques n’ont pas encore une visibilité sur les mécanismes et les délais de leur mise en œuvre.

  1. L’informel : L’économie informelle représentant près de 30% du PIB, selon la dernière étude publiée par Bank Al-Maghrib, crée un manque à gagner certain en termes de recettes fiscales et de cotisations sociales à l’État, mais aussi un manque de création de valeur pour l’économie marocaine. Les entreprises formelles marocaines concurrencées par celles du secteur informel perdent en rentabilité en limitant les investissements, l’innovation, la capacité des acteurs et l’amélioration de la productivité.

Les pouvoirs publics ont lancé plusieurs programmes favorisant directement ou indirectement l’intégration du secteur informel. Toutefois, les actions entreprises n’ont visiblement pas été suffisantes pour éradiquer ce fléau.

Donc, résorber l’économie informelle constitue un grand défi, et un chantier structurant qui devrait être inscrit dans la liste des priorités pour bien préparer le terrain et favoriser l’acte d’investir.

  1. L’accélération de la mise en œuvre des engagements pris par l’Etat en matière d’investissement : La politique de l’État en matière d’investissement, même si l’on ne peut pas en mesurer immédiatement les effets, et même s’il reste beaucoup encore à accomplir, montre une volonté affirmée d’accompagner le développement économique, moteur du développement social, du développement humain.

Cette volonté est propice à consolider le climat de confiance nécessaire à la bonne marche de l’économie, dans un contexte international suffisamment aléatoire.

Un long chemin a été parcouru depuis le lancement de la Charte de l’investissement de 1995, notamment à travers une batterie de mesures mises en place en faveur des investisseurs à travers le régime conventionnel. Cependant, force est de constater que les améliorations apportées par cette charte se sont estompées avec le temps. Celle-ci avait banalisé l’acte d’investir, car la plupart des avantages qu'elle avait annoncés ont été insérés dans le droit commun (dont 12 portant sur le volet fiscal avaient été intégrés dans le Code général des impôts en 2007). D’autres n’ont tout simplement jamais été concrétisés. Il en est ainsi de l’idée de constituer une réserve foncière destinée à la réalisation de projets d’investissement, tout en définissant la participation de l’Etat à l’acquisition et à l’équipement des terrains nécessaires à l’investissement.

Même en cas de participation de l’Etat dans le foncier, les subventions ne sont pas systématiquement versées dans les délais nécessaires aux investisseurs et sont parfois débloquées en retard, après la mise en exploitation du projet en question.

  1. La digitalisation et la simplification des procédures administratives : La loi n° 55.19 relative à la simplification des procédures et formalités administratives, entrée en vigueur le 28 septembre 2020, a pour objectif de définir les principes et les règles de référence qui encadrent la relation entre l’Administration et les usagers dans l’objectif de permettre à ces derniers d’accomplir leurs formalités dans des conditions optimales et dans les meilleurs délais.

Ce texte constitue une avancée considérable dans l’amélioration de l’environnement des affaires, mais nécessite une implémentation effective, à travers notamment la généralisation de la digitalisation et la dématérialisation des procédures au niveau des administrations et des tribunaux, afin de réduire les délais et les coûts associés au lancement des projets d’investissement. De ce fait, la refonte de la stratégie digitale et l'accélération de la transformation numérique sont à placer au cœur des priorités pour accompagner la mise en œuvre effective de la nouvelle Charte de l’investissement.

  1. L’assouplissement de la législation du travail : en plus du texte d’application du droit de grève non encore approuvé à ce jour, le Code du travail, qui paraît aujourd’hui désuet, a besoin d’être adapté aux exigences et aux réalités du marché du travail (procédure de licenciement et indemnités y afférentes, télétravail, représentativité des femmes, statut des salariés étrangers…).
  2. Le climat d’investissement : Selon la Banque mondiale, le climat d’investissement comprend l’ensemble des facteurs locaux influençant les opportunités et les incitations qui permettent aux entreprises d’investir de façon rentable, de créer des emplois et de développer leurs activités. Le climat d’investissement inclut les quatre dimensions suivantes : (i) la stabilité et la sécurité ; (ii) la réglementation et la fiscalité ; (iii) les finances et l’infrastructure ; et enfin (iv) la main-d’œuvre et le marché du travail.

Pour entreprendre, il est crucial que l’investisseur se sente soutenu et en confiance. Pour ce faire, il a besoin d'un environnement légal et réglementaire clair, propice à l'innovation, ainsi que d'un guichet unique efficace pour accomplir toutes ses formalités en toute transparence et dans des délais raisonnables. De plus, il est important que le capital humain soit bien formé, que les infrastructures et les services de base soient de qualité, et que l'accès au financement soit aisé et simplifié.

Enfin, la mise à jour de la Charte de l'investissement ne doit pas être uniquement une compilation de textes législatifs et règlementaires, mais un véritable outil juridique au service d’une stratégie claire, s’articulant de manière cohérente avec les ambitions sectorielles et la politique fiscale, et suivi d’une application effective. Les politiques et plans sectoriels devraient être mis en application et évalués afin d’opérer des recadrages si nécessaire. D’un autre côté, des mécanismes d’évaluation de l’impact de mesures stratégiques, selon des indicateurs transparents, devraient également être mis en place.


[1] Rapport du Conseil économique, social et environnemental, Un Système fiscal, pilier pour le Nouveau Modèle de développement, Auto-Saisine 39/2019.

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