Maître Nawal Ghaouti

Avocat agréé près la Cour de cassation, arbitre, médiateur commercial certifié

Climat des affaires: la loi 95-17 confirme la vocation de la médiation conventionnelle comme outil au service de l’investissement

Le 24 mars 2023 à 14h12

Modifié 27 mars 2023 à 22h40

S’il reconnaît l’autonomie et la liberté des parties durant le processus de médiation conventionnelle, le Législateur marocain a opté pour un  encadrement strict de la formalisation des accords conclus et leur homologation. La lecture de Me Nawal Ghaouti.

Dans l’ensemble des régions du monde, l’air du temps est à la défiance des corps intermédiaires et à la contestation des autorités supérieures,  pour leur préférer des modes d’expression individuelle directe et autonome.

Le corps judiciaire est en première ligne du mécontentement citoyen, et justifie pour une large part le succès grandissant des modes alternatifs de règlement amiable des litiges, tant ils promettent de replacer « le Sujet au cœur du contrat social » et de répondre aux attentes contemporaines d’engagement et de sens.

On assiste ainsi au développement enthousiaste de pratiques diverses dites « participatives » telles que le ‘droit collaboratif’, et d’autres processus voisins de négociation et de résolution privées de différends qui marquent l’importance de la crise de légitimité que rencontre le champ juridictionnel étatique.

Parmi ces nouvelles voies, la médiation conventionnelle se taille une part importante que ses promoteurs aiment à présenter non pas seulement comme une technique complémentaire, mais à terme, comme une concurrente sérieuse du processus judiciaire tant elle symbolise la suprématie rêvée d’un « droit négocié », humain et équitable, sur un « droit étatique imposé », jugé trop technique et trop froid.

Elle exprime de plus cet engouement de la société civile et des acteurs économiques à émettre des normes privées mais néanmoins efficientes (Codes de Bonne Conduite, Principes, Règles...), rétrogradant petit à petit les Etats au rang de source parmi d’autres de production du droit.

Est- ce à dire pour autant que la médiation conventionnelle permet aux parties d’échapper totalement aux domaines juridique et juridictionnel ?

Les régimes normatifs des différents pays organisent cette question du triptyque Médiation/Droit/Justice selon des règles spécifiques plus ou moins contraignantes ou distendues, qui dépendent largement de la place concédée à l’autonomie de la volonté des citoyens/justiciables dans l’espace régalien mais aussi de la conception qui est donnée à la médiation elle- même.

Car la médiation est plurielle. Elle ambitionne de répondre aux besoins des protagonistes dans un champ que le droit ne saurait embrasser à lui seul pour leur donner des solutions « qui peuvent être d’ordre économique » et matériel certes, mais aussi d’ordre « relationnel, émotif, politique, psychologique et social » ...

Ainsi, pour certains, la médiation est d’abord un moyen efficace et pragmatique d’arriver à un accord (le fameux «getting to yes» de l’école de Harvard), pour d’autres, elle a une fonction principalement «transformatrice» , destinée simplement à permettre à chacun de parler et d’être entendu (émergence du «self empowerment») ou bien encore une fonction «narrative» ou même «restauratrice» liée à la libération de la parole des individus, sans pour autant poursuivre un objectif visant à trouver un résultat concret à leurs problèmes.

Au Maroc, la médiation est consacrée de longue date en tant que processus privé favorisant le rapprochement volontaire des parties vers une solution commune visant à « prévenir ou à régler un différend ».

Elle est rattachée sans ambigüité au domaine juridique général et chemine depuis son avènement législatif au coeur du Code de Procédure Civile, dans une proximité textuelle avec l ’arbitrage, jusqu’à être organisée aujourd’hui dans une même Loi.

S’il reconnaît l’autonomie et la liberté des parties durant le processus de médiation conventionnelle, le Législateur marocain a opté pour un  encadrement strict de la formalisation des accords conclus et leur homologation.  Il les a inscrits (enfermés?) dans une conception civiliste du droit des obligations et contrats avec des effets importants sur leur nature, leur efficience et leur mode de contestation.

La nouvelle Loi 95-17 relative à l’arbitrage et à la médiation conventionnelle  publiée au BO le 13 Juin 2022  reprend en majorité les règles  déjà présentes dans les dispositions du Code de Procédure Civile, avec quelques aménagements :

La formalisation des accords de médiation ;

La Loi conserve au médiateur la charge de la rédaction du projet d’accord qu’il soumet aux parties.

Le médiateur peut être désigné parmi toute personne morale ou physique répondant pour cette dernière à de nouvelles conditions de capacité et de probité définies à l’article 97, sans qu’aucune formation particulière ne soit requise.

Alors que de nombreux pays laissent toute latitude aux parties de choisir la forme de l’écrit à l’issue du processus, provoquant souvent des controverses sur la qualification et la nature de l’acte, l’article 99 de la Loi 95-17 confirme que les accords doivent revêtir une forme unique ; celle de ‘la Transaction’ telle qu’organisée par le Titre IX du Dahir formant Code des Obligations et Contrats D.O.C (articles 1098 et suivants) sous réserve des dispositions de l’article 100 de la Loi 95-17.

En imposant cet outil particulier, le Législateur a non seulement écarté l’idée de la mise en place d’un régime normatif autonome propre à la médiation, mais il a entendu rattacher les accords conclus à des règles de forme et de fond particulièrement rigides.

La transaction a l’avantage d’être un acte familier pour tout acteur économique, elle est régulièrement utilisée dans la vie ordinaire des entreprises pour encadrer les accords négociés sous forme de protocole.

D’un point de vue juridique, elle est cependant un contrat d’une nature particulière, situé entre le droit privé et le droit judiciaire, puisqu’elle est assimilable à un jugement par l’effet d’extinction définitive des droits et des prétentions qui ont été l’objet des obligations contestées.

Elle revêt ainsi un caractère irrévocable, même du consentement des parties, ce qui lui permet d’assurer la solidité des engagements qui y sont consignés et lie drastiquement ses signataires (en respectant les exclusions du D.O.C) à condition qu’ils aient renoncé chacun réciproquement à des demandes initiales.

Sa rédaction peut s’avérer ardue car elle est souvent combinée à d’autres notions civiles relatives à l’extinction des obligations (Titre VI du DOC) telles que la novation, la remise de dette, ou la compensation afin d’habiller les concessions croisées.

Ces écueils liés à un formalisme contraint et relevant de la technique juridique pure, peuvent surprendre des parties qui n’auraient retenu que la liberté et ‘l’extra-judiciarité’ comme critères de choix du processus de médiation.

Le risque est de les voir enfreindre volontairement ou par méconnaissance de ces conditions, pour tabler uniquement sur la confiance des liens restaurés grâce à ce dialogue sans autre forme.

Il est vrai que dans la pratique, il est rare que l’une des parties n’honore pas des engagements qu’elle a volontairement pris et en contrepartie desquels, elle a bénéficié également des obligations concédées par l’autre partie.

Cependant, l’importance des enjeux dans la médiation commerciale notamment, comme des imprévus conjoncturels, peuvent induire une défaillance et mener l’une des parties à rechercher la mise en exécution forcée des accords de médiation.

La tendance mondiale est ainsi à la promotion de cette procédure par la sécurisation de la mise en exécution des accords conclus volontairement et librement.

Rappelons à titre d’exemple que la Directive européenne 2008/52/CE du 21 mai 2008 stipule que «la médiation ne devrait pas être considérée comme une solution secondaire par rapport aux procédures judiciaires au motif que le respect des accords issus de la médiation dépendrait de la bonne volonté des parties». Elle ajoute que «les parties ou l’une d’entre elles avec le consentement exprès des autres, doivent pouvoir demander que le contenu d’un accord écrit issu d’une médiation soit rendu exécutoire».

Quid de l’inexécution de l’accord transactionnel de médiation ?

L’article 100 de la Loi 95-17 (qui reprend l’article 357. du CPC) concède à l’accord de médiation la mention de « la force de la chose jugée ».

Il conforte la particularité de la transaction comme outil contractuel. Car si elle a une finalité « pacificatrice » par un échange d’engagements et de concessions réciproques, elle revêt également une force obligatoire plus assimilable à celle d’un jugement qu’à celle d’une convention.

Par ailleurs, les accords de médiation peuvent être soumis à l’exequatur selon le même article 100 pour toute partie qui souhaite obtenir des moyens d’exécution forcée, par le Président du Tribunal territorialement compétent pour trancher le fond du litige. Un délai de 7 jours qui ne figurait pas dans la version du CPC  a été ajouté par le Code afin semble-t-il de signifier l’examen «léger» opéré par le magistrat.

Cette procédure est diligentée dans le cadre de l’article 149 du Code de Procédure Civile, pour lui donner un caractère urgent mais contradictoire et non pas sous l’égide de l’article 148 sur simple pied de requête.

La procédure d’exequatur des actes de médiation présente plusieurs bémols.

Les parties qui ont opté pour un mode coopératif volontaire et privé de résolution de leur différend, se voient rattrapés par la logique judiciaire.

De plus la confidentialité inhérente au processus de médiation est mise à mal puisque les accords sont soumis au Magistrat.

Des pays voisins ont tenté de résoudre cette question en instaurant une homologation a minima par simple visa du greffe sans passer par le juge ou bien même par la contre-signature d’un avocat, mais sans oser contrevenir au lien direct entre la médiation et le droit.

L’inscription de la médiation conventionnelle marocaine dans des règles impératives de formalisme et de procédure, signe l’expression d’une volonté souveraine des pouvoirs publics de contrôler ce qui relevait pourtant à l’origine d’une nature spontanée et privée de négociations libres et autonomes faisant appel principalement à des qualités humaines d’écoute et de communication.

Elle répond également à une attente d’investisseurs étrangers friands de ce mode de résolution privé de leurs différends commerciaux.

Elle participe enfin à un mouvement mondial qui a vu naître la Convention  dite de Singapour (Convention des Nations Unies sur les accords de règlements internationaux issus de la médiation) entrée en vigueur le 12 Septembre 2020. Celle-ci ambitionne de promouvoir fortement la médiation conventionnelle commerciale des litiges internationaux, en permettant une circulation fluide des accords de médiation et leur reconnaissance/exécution dans les pays adhérents, avec un succès mitigé pour l’heure.

Le Maroc ne fait pas encore partie des pays signataires.

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