Le désespoir des joueurs face au harcèlement raciste sur Twitch

(AFP)

Le 29 août 2021

Quasiment chaque fois qu'elle se connecte pour une session de streaming en direct, RekItRaven subit un déferlement soudain d'insultes racistes, de la part d'inconnus qu'elle s'efforce de bloquer immédiatement.

Raven, trentenaire, noire, et "non-binaire" (qui ne s'identifie ni comme homme ni comme femme), est créatrice de contenus sur Twitch, la plus importante plateforme au monde de diffusion de parties de jeux vidéo en direct.

Mais c'est aussi le théâtre de "hate raids" - "raids de haine" - qui rendent la vie impossible à des créateurs stigmatisés pour leur couleur de peau ou leur orientation sexuelle.

"C'est très dur. Et c'est difficile de ne pas intérioriser, parce que je suis haïe pour des choses que je contrôle pas", raconte cette maman de deux enfants, au bord des larmes.

De guerre lasse, face aux flots récurrents de racisme et de références au Ku Klux Klan, elle a lancé sur Twitter le slogan #TwitchDoBetter (Twitch doit mieux faire).

Des dizaines de joueurs - principalement non blancs et/ou issus de la communauté LGBTQ - se sont ralliés à cette bannière pour dénoncer l'inaction de la plateforme.

Car pour nombre d'entre eux, Twitch est bien plus qu'un site de divertissement: c'est leur lieu de travail. En tant qu'"affiliate", Raven est rémunérée en fonction du nombre d'abonnés à sa chaîne, et de leurs dons.

Cette amatrice de jeux vidéo d'horreur au look gothique aime son métier. Mais désormais, avant une session, elle a toute une liste de paramètres techniques à configurer et de modérateurs bénévoles à mobiliser pour réduire le risque d'une invasion de sa fenêtre de conversation.

- 99% de risque -

Lancée en 2011 et rachetée par Amazon trois ans plus tard, Twitch accueille plus de 30 millions de visiteurs par jour, attirés, pour la plupart, par le format des jeux vidéo commentés en direct et par les stars du secteur.

Mais toutes sortes de personnalités et d'activités coexistent sur la plateforme.

Gabriel Erikkson Sahlin, un professeur suédois, joue aux Sims et à Dragon Age sous le pseudo BabblingGoat - "chèvre qui bafouille".

Cet homme transgenre de 24 ans répond aux questions de son audience sur l'identité de genre "tout en sautant sur les corniches dans les jeux et en essayant de ne pas mourir", résume-t-il en riant.

Il aide ainsi des jeunes mais aussi des parents anxieux dont les enfants veulent "transitionner".

Mais il se sent éprouvé par la recrudescence de la haine ces derniers mois: "ce matin je me disais, est-ce que j'ai vraiment envie de me connecter ? J'ai 99% de chances d'être harcelé".

Les raids vont de la poignée de personnes qui postent des insultes transphobes aux robots programmés pour le bombarder de messages ("Tu devrais rendre le monde meilleur en te jetant d'un pont"), voire même d'images ultra violentes (comme des décapitations).

"Nous savons que nous devons en faire plus pour résoudre ces problèmes", a admis Twitch, mi-août, face à la montée en puissance du slogan de Raven. La plateforme a annoncé préparer de nouvelles mesures de sécurité, et avoir réparé une faille dans ses filtres automatiques. Sans résultat, selon les joueurs.

- 50% des revenus -

Ils ont pourtant des idées pour mieux repérer et exclure les coupables: l'authentification à deux facteurs, des délais imposés aux nouveaux comptes avant de pouvoir participer aux conversations, des pouvoirs accrus pour leurs modérateurs... Twitch n'a pas répondu à une liste de suggestions de Raven, envoyée par l'AFP.

Les trolls, eux, ne sont pas à cours de méthodes. D'après les victimes, ils utilisent un argot de codeurs, qui consiste à mal orthographier des mots interdits pour passer entre les mailles des algorithmes.

"Ils trouvent toujours un moyen", note Mark Griffiths, psychologue spécialiste des jeux vidéos à la Nottingham Trent University, en Angleterre.

L'impression d'être anonyme et le sentiment d'impunité, facilitent aussi ces comportements. "La police prend ces affaires de plus en plus sérieusement", mais "les jeux vidéo sont encore considérés comme insignifiants", déplore-t-il.

Chonki, une joueuse juive qui a été inondée de messages antisémites et d'images de swastikas, remet aussi en cause le manque de soutien des stars de la plateforme.

Elles aimerait que ceux qui ont le statut de "partner", et jouissent donc d'une influence considérable, cessent de "tolérer les commentaires racistes et misogynes sur leur chaîne".

Mais même si le climat ne s'améliore pas, les joueurs n'ont pas vraiment d'alternative.

Pour Chonki et Raven, partir reviendrait à démissionner de leur travail. D'où leur colère contre le manque de réactivité de Twitch. "Ils prélèvent 50% de nos revenus, et ils n'arrivent même pas à nous protéger du harcèlement", s'indigne Chonki.

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Le 29 août 2021

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