Fossoyeur et philosophe, les deux vies du Brésilien Osmair Cândido

(AFP)

Le 12 octobre 2021

La pandémie "a été horrible, pire qu'un cauchemar", se souvient le fossoyeur-philosophe Osmair Cândido, dans le petit cimetière de Penha, à Sao Paulo, aujourd'hui rendu aux chats qui prennent le soleil lascivement sur les tombes, au milieu des plantes en pot.

"Avant on n'avait qu'un enterrement par semaine" mais au pire moment du Covid "c'était jusqu'à 18 par jour", dit-il à l'AFP. "On ne voit ça que chez Dante".

Fossoyeur depuis 30 ans, Osmair Cândido, un sexagénaire noir aux gestes et au verbe doux, est aussi un lettré. Un philosophe.

Si parfois il a pleuré quand l'hécatombe s'est abattue sur Sao Paulo, la philosophie, assure-t-il, l'a empêché de s'évanouir près des fosses comme ses collègues.

Avec Heidegger, Kierkegaard, Kant, Hegel et Diderot, il a pu "accepter la mort". Mais c'est surtout "les aphorismes et la pensée" de Nietzsche et "la catharsis des Grecs" qui l'ont "beaucoup aidé dans les moments les plus difficiles".

Car quand il sortait de chez lui le matin, Osmair Cândido ne savait pas s'il rentrerait du cimetière "vivant ou mort, contaminé ou pas". Le soir, il prenait "une, deux, trois ou quatre douches".

Il y a six mois, "les corbillards arrivaient à touche-touche et il y avait en attente 100 ou 200 cercueils empilés. Personne ne voulait y toucher, prendre le risque", se souvient le fossoyeur, qui n'a jamais été contaminé.

La pire épreuve a été l'enterrement d'un adolescent. "De l'autre côté du mur, j'ai entendu le cri d'une femme. Son cri est arrivé avant le corps de son fils". Après elle s'est agrippée au cercueil, empêchant la mise en terre.

- Master de philosophie-

En trois décennies, Osmair Cândido a inhumé plus de 3.000 défunts. "Pendant toutes ces années, j'ai vu très peu de gens préparés à la mort. La mort exige beaucoup de respect, d'attention et de silence".

Sous le chant des oiseaux, le fossoyeur déroule le fil de sa vie en circulant entre les tombes du cimetière arboré, les Saintes Vierges en plâtre défraîchies, les archanges éborgnés, les photos jaunies d'un parent disparu.

Il profite du calme des lieux qui n'attendent pas de nouveau mort ce jour-là pour refaire un peu de ciment sur les vieilles tombes fleuries d'amaryllis orange.

Tout a commencé, raconte-t-il, lorsqu'il a suivi dans sa jeunesse des cours d'allemand à la faculté Uniban de Sao Paulo, après avoir été boxeur et laveur de carreaux. Désargenté, il a dû arrêter ses études pour devenir fossoyeur. Il gagne aujourd'hui environ 3.000 réais par mois, à peine 500 euros.

"J'aimais beaucoup la littérature, mais je ne pouvais pas acheter de livres", se souvient-il. "Alors on m'en donnait. Et puis j'ai décidé d'étudier la philosophie. Ça m'a beaucoup plu".

Il s'inscrit grâce à une bourse à l'Université Mackenzie de Sao Paulo, dont il sort diplômé d'un master en 2007, tout en ayant communiqué par mail avec le philosophe Jean Baudrillard.

S'il a pu apprivoiser la mort, c'est qu'Osmair Cândido a une deuxième vie.

Cet homme svelte aux cheveux blancs et lunettes cerclées qui ne veut pas dire son âge exact "par vanité" est professeur de philosophie.

Ce soir-là, par-dessus son jean et son polo, il a enfilé une blouse blanche portant le macaron de l'Association nationale de nécropsie. Citant Aristote, il enseigne l'éthique à de jeunes techniciens de l'autopsie qui prennent des notes.

Le fossoyeur, qui a pour habitude de se lever à 3h du matin, finit aussi actuellement d'écrire un livre de pensées philosophiques en trois volumes, dont deux sont consacrés à la pandémie. Plusieurs maisons d'édition veulent le publier.

- "Adoration" pour Kant -

"La philosophie m'a fait grandir, sortir de moi-même, comprendre et prendre en considération les autres et d'autres idées. Ç'a été un grand pas", explique-t-il.

S'il "adore" Emmanuel Kant, le fossoyeur a eu un peu de mal tout de même avec sa Critique de la raison pure. "Je l'ai lue jusqu'à 100 fois, jusqu'à comprendre! En portugais, mais certains passages en allemand", lance-t-il dans un éclat de rire.

Osmair Cândido croit que c'est grâce à ses philosophes qu'il n'a pas eu besoin d'aller suivre "des traitements dans des hôpitaux psychiatriques" comme ses collègues de cimetière.

"J'ai étudié la philosophie, aimé la philosophie et ainsi je mourrai", dit dans un grand sourire cet homme modeste.

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Le 12 octobre 2021

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