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ANALYSE. Fouzi Lekjaa relance le débat sur la sous-évaluation du PIB

"Je suis persuadé, j'ai presque la certitude, que notre PIB est sous-estimé", a affirmé Fouzi Lekjaa lors d’une réunion à la CGEM le 22 janvier. Cette déclaration ouvre la voie à une réflexion plus large : une partie de la richesse réelle pourrait-elle échapper aux radars de la comptabilité nationale ? Entre normes internationales inadaptées, informalité persistante et angles morts méthodologiques, cette hypothèse, si elle se confirme, pourrait mécaniquement alléger le ratio dette/PIB et redorer l’image des finances publiques. Mais derrière les ajustements techniques se cachent des enjeux bien plus profonds : mesurer, c’est aussi définir ce qu’est l’économie marocaine, entre souks animés et secteurs structurés. Un débat où statistiques et réalités socio-économiques s’affrontent.

ANALYSE. Fouzi Lekjaa relance le débat sur la sous-évaluation du PIB

Le 29 janvier 2025 à 13h48

Modifié 30 janvier 2025 à 10h22

"Je suis persuadé, j'ai presque la certitude, que notre PIB est sous-estimé", a affirmé Fouzi Lekjaa lors d’une réunion à la CGEM le 22 janvier. Cette déclaration ouvre la voie à une réflexion plus large : une partie de la richesse réelle pourrait-elle échapper aux radars de la comptabilité nationale ? Entre normes internationales inadaptées, informalité persistante et angles morts méthodologiques, cette hypothèse, si elle se confirme, pourrait mécaniquement alléger le ratio dette/PIB et redorer l’image des finances publiques. Mais derrière les ajustements techniques se cachent des enjeux bien plus profonds : mesurer, c’est aussi définir ce qu’est l’économie marocaine, entre souks animés et secteurs structurés. Un débat où statistiques et réalités socio-économiques s’affrontent.

Lors de sa rencontre avec les membres de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM), Fouzi Lekjaa a abordé plusieurs thématiques stratégiques pour l’économie nationale, marquant les esprits par des déclarations fortes à un moment où le débat se fait rare. Toutefois, celle qui a le plus capté l’attention concerne sa réflexion sur le Produit Intérieur Brut (PIB) marocain.

Selon le ministre délégué chargé du Budget, le PIB du Maroc est peut-être sous-estimé. Une déclaration qui, sans surprise, alimente les débats économiques et interroge sur les méthodologies de mesure.

Au-delà de la simple précision statistique, une éventuelle révision à la hausse du PIB aurait des implications majeures pour l’économie marocaine. En effet, un PIB recalculé à un niveau plus élevé réduirait automatiquement des indicateurs clés, tels que la dette publique en pourcentage du PIB ou encore le déficit budgétaire relatif. Ces ajustements mécaniques modifieraient favorablement la perception de la soutenabilité des finances publiques du Maroc, à la fois auprès des investisseurs et des partenaires internationaux.

Attendue en 2027 ou 2028, la prochaine réévaluation du PIB aboutira fort probablement à une révision à la hausseIl est à noter que, au-delà du débat économique, la réévaluation du PIB est un processus bien établi et reconnu dans les milieux économiques.

Dans le même sens, un économiste spécialisé en comptabilité nationale, contacté par Médias24, souligne que la réévaluation du PIB se fera automatiquement dès que l’année de base, actuellement fixée à 2014, sera mise à jour. En effet, tous les 7 ans, l'année de base change.

"Chaque changement d’année de base génère mécaniquement un changement du PIB en volume et en valeur. Techniquement, ce changement peut aboutir à une réévaluation à la hausse ou à la baisse du PIB. Mais généralement, au Maroc et dans le monde, il s'agit d'une réévaluation à la hausse".

L'actuelle année de base du PIB est 2014. La prochaine sera 2022. Le processus a déjà commencé. Lorsque les calculs auront été achevés, vers 2027 ou 2028 selon notre estimation, toutes les années précédentes seront réévaluées mécaniquement.

Un débat épistémologique aux implications macroéconomiques majeures

L'hypothèse d'une sous-estimation du PIB anime depuis toujours les débats économiques. Certains estiment en effet que la mesure officielle – actuellement fixée autour de 150 milliards de dollars – ne reflèterait qu'imparfaitement la réalité économique nationale, laquelle pourrait se situer dans une fourchette de 180 à 200 milliards de dollars.

Cette divergence soulève une question importante : si cet écart existe, quels en seraient les déterminants ? Précisons d'emblée que le Haut-Commissariat au Plan (HCP), en charge des statistiques nationales, applique scrupuleusement les normes du Système de Comptabilité Nationale (SCN 2008) établi par les Nations Unies.

Une grande partie de l'économie informelle est prise en compte dans le calcul du PIBFace à la suspicion de sous-évaluation du PIB, la première explication spontanée pointe vers l’économie informelle. En réalité, l'informel fait l'objet d'une intégration méthodique dans le calcul du PIB marocain, conformément aux prescriptions méthodologiques internationales.

Ainsi, l’enquête menée par le HCP en 2013 a révélé que l'économie informelle représentait environ 11,5% du PIB marocain, contre 14,3% dans l’enquête de 2007 et 16,3% dans celle de 1999. Cela signifie que la part informelle de l'activité suit une tendance baissière. Il faut préciser que cette évaluation se fait chaque fois en dehors de l'agriculture. Dans ce secteur, 99% de l'activité est informelle, dans le sens où il n'y a pas de tenue de comptabilité (définition de l'informel). Donc, si l'informel représentit 11,5% du PIB en 2013, il faut ajouter 11 à 12% pour l'agriculture. Sa part était donc, à cette époque, de 23% du PIB environ.

C'est pour cela que d’autres sources avancent des chiffres oscillant entre 20% et 30% comme évaluation de la part informelle de l'économie.

De l’autre, l’OCDE estime que 67% de la main-d’œuvre marocaine opère dans ce secteur. Ces écarts notables dans les chiffres soulèvent une question : quelle est la véritable ampleur de l’économie informelle au Maroc ? Lorsqu’on se promène dans les rues de la médina ou dans les quartiers populaires, l’ampleur de l’informel semble dépasser les estimations les plus prudentes.

Les méthodologies de mesure, bien que conformes aux normes internationales, peinent à refléter pleinement la complexité de l’économie marocaine. Cette limite ne relève pas d’une faiblesse technique intrinsèque, mais plutôt d’un décalage entre des outils standardisés et un contexte économique marqué par l’hétérogénéité des acteurs, l’informalité persistante et des dynamiques socio-culturelles uniques.

À titre d’exemple, parmi les techniques complémentaires utilisées pour évaluer les activités informelles, le shadow pricing (ou valorisation indirecte des biens et services non marchands) figure souvent parmi les approches envisagées. Cette méthode consiste à attribuer une valeur monétaire à des productions non enregistrées, en se basant sur des indicateurs de substitution, comme les salaires moyens observés dans le secteur formel. Toutefois, son application au contexte marocain soulève des questions en raison de la subjectivité des référentiels, car la valorisation repose sur des hypothèses parfois arbitraires (ex. prix du marché formel), qui ne reflètent pas toujours les réalités locales, notamment celles liées à l’économie rurale.

L'économie non observée : au-delà de l'informel

Puisqu'une grande partie de l’économie informelle est déjà incluse dans le calcul du PIB, toute sous-estimation éventuelle de ce dernier ne pourrait provenir que de l’économie non observée. Celle-ci, bien distincte de l’informel traditionnel, englobe les revenus issus d’activités souterraines telles que la fraude fiscale, la prostitution, la contrebande, le trafic de drogues etc.

Si les enquêtes du HCP et les matrices de comptabilité nationale intègrent une partie de l’informel, leur capacité à quantifier les secteurs illicites évoqués ci-dessus reste limitée. Ce déficit de mesure pourrait, in fine, conduire à une sous-estimation du PIB, même si son ampleur exacte demeure sujette à débat.

Si certains éléments échappent aux calculs, cela crée des déséquilibres dans les statistiques de la comptabilité nationaleSelon notre interlocuteur, spécialiste en comptabilité nationale, bien que l’économie non observée échappe aux calculs directs, certains déséquilibres détectés lors des phases d’estimation permettent d’en appréhender en partie l’ampleur et de la réintégrer.

"Si l’informel est en grande partie pris en compte, l’économie non observée, comprenant notamment la fraude fiscale, la contrebande et d’autres activités souterraines, reste en dehors des estimations officielles. Toutefois, bien que ces activités ne soient pas directement intégrées aux comptes nationaux, elles peuvent se manifester indirectement à travers des déséquilibres dans les statistiques de la comptabilité nationale. Ces incohérences permettent alors d’identifier ce qui échappe aux calculs et d’en estimer l’ampleur", explique-t-il.

Pour mieux appréhender ce raisonnement, il est utile de se référer à la matrice de comptabilité sociale (MCS), qui regroupe l’ensemble des comptes nationaux et repose sur des équilibres en lignes et en colonnes. Ces équilibres assurent la cohérence entre les flux économiques, tels que la production, les revenus et les dépenses. Lorsqu’un déséquilibre survient, il peut révéler des données manquantes, des erreurs d’estimation ou l’existence d’activités non observées.

Par exemple, si la consommation des ménages, estimée à partir d’enquêtes de terrain, s’élève à 100 MMDH, mais que les transactions enregistrées dans les comptes nationaux ne totalisent que 90 MMDH, un écart de 10 MMDH pourrait refléter une partie de l’économie non observée. Cependant, ces écarts doivent être interprétés avec prudence, car ils peuvent également résulter de limites méthodologiques ou de décalages dans l’enregistrement des données.

Par ailleurs, notre interlocuteur estime que le PIB marocain est globalement bien évalué. "Le PIB marocain actuel est proche de la réalité, conformément aux normes internationales, notamment celles définies par le Système de Comptabilité Nationale (SCN 2008).", précise-t-il.

PIB : les méthodologies de calcul

Pour calculer le PIB, trois méthodes distinctes mais complémentaires sont utilisées. Chacune met en lumière une facette spécifique de l’activité économique, offrant aux décideurs une vision multidimensionnelle.

Voici une présentation et une explication de ces méthodes :

  • L’approche par la production

Cette méthode, dite par la valeur ajoutée, distingue la production brute de la richesse réellement générée. Elle évite le double comptage en soustrayant les consommations intermédiaires (matières premières, énergie, etc.) utilisées dans le processus productif.

PIB = Σ (Valeurs ajoutées brutes) + Taxes sur la production (TVA, droits de douane) – Subventions

A titre d’exemple, dans une économie agricole, une ferme produit du blé pour 100 MMDH. Mais elle utilise 40 MMDH en semences, engrais et tracteurs (consommations intermédiaires). Sa valeur ajoutée brute (VAB) est donc :
100 (production) – 40 (intrants) = 60 milliards.

Ensuite, l’État perçoit 5 MMDH de taxes sur la production et verse 2 milliards de subventions. La contribution finale au PIB devient :
60 + 5 – 2 = 63 milliards.

Cette méthode met en lumière la structure productive de l’économie et aide à identifier les secteurs moteurs de la croissance. Par exemple, elle peut révéler si un pays est dominé par l’agriculture, l’industrie ou les services.

  • L’approche par les dépenses : la demande, moteur de l’économie

Cette méthode agrège les dépenses des ménages, entreprises, État et étrangers. Elle répond à une question simple : Quelle est la structure des dépenses dans l'économie ?

PIB = C (Consommation) + I (Investissement) + G (Dépenses publiques) + (X – M) (Exportations nettes)

Exemple chiffré :

  • C (ménages) : 600 MMDH (biens de consommation, loisirs, santé).
  • I (entreprises) : 200 MMDH (machines, bâtiments, stocks).
  • G (État) : 300 MMDH (hôpitaux, écoles, salaires des fonctionnaires).
  • X – M : 150 – 100 = 50 MMDH (excédent commercial).

PIB = 600 + 200 + 300 + 50 = 1.150 MMDH.

Une consommation (C) élevée, signale une économie portée par les ménages. À l’inverse, un investissement (I) robuste, reflète une stratégie de long terme. De même, si les importations dépassent les exportations, cela réduit la contribution nette du commerce extérieur au PIB, comme c'est souvent le cas pour le Maroc.

  • L’approche par les revenus : le partage du gâteau économique

Cette méthode traque la destination des richesses : qui gagne quoi ? Elle additionne les revenus générés par la production.

PIB = R (Salaires) + E (Profits et revenus mixtes) + (T – S) (Taxes nettes des subventions)

Exemple éclairant :

  • R (salaires bruts) : 600 MMDH.
  • E (profits des entreprises) : 300 MMDH.
  • T (taxes) : 150 MMDH.
  • S (subventions) : 50 MMDH.

PIB = 600 + 300 + (150 – 50) = 1.000 MMDH.

Si les salaires (R) représentent 60% du PIB contre 30% pour les profits (E), cela suggère une distribution équilibrée. À l’inverse, un E (profit des entreprises) dominant peut signaler une concentration capitalistique, alimentant les débats sur les inégalités.

Par ailleurs, les trois approches reposent sur des concepts différents, mais elles mesurent une même réalité économique. En théorie, elles doivent aboutir à des résultats identiques, car elles représentent différentes façons de voir la même activité économique.

Toute divergence entre ces approches dans les statistiques nationales est ajustée par un "écart statistique". Ces écarts sont fréquents, surtout dans les économies où les données peuvent être incomplètes ou difficiles à collecter, comme c’est souvent le cas pour l’économie informelle.

En conclusion:

-le PIB marocain n'est pas exact à 100%.

-les changements d'année de base, effectués tous les 7 ans, provoquent mécaniquement une réévaluation du PIB, toujours à la hause dans le cas marocain.

-une partie de l'économie n'est pas observée directement, c'est celle des activités illicites telles que la fraude fiscale, la prostitution ou le trafic de drogues. Elle est partiellement réintégrée en fin de calcul.

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