Sécheresse et prix du poisson : une question qui fait débat et des réponses qui surprennent
Fact checking en DATA. Lors d'un récent débat parlementaire sur le pouvoir d'achat, la députée Rim Chabat a interrogé le ministre de l’Agriculture sur l'augmentation incompréhensible des prix des produits agricoles au Maroc. Elle a souligné que la sécheresse ne pouvait à elle seule expliquer cette hausse, en prenant l'exemple du poisson. Sûr de lui, le ministre a répondu qu'il y avait un rapport entre le manque de pluie et le déplacement du poisson. La sécheresse a-t-elle un impact sur l'activité de la pêche ? Qui a raison finalement ?

Sécheresse et prix du poisson : une question qui fait débat et des réponses qui surprennent
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Amine Bouwafoud
Le 25 janvier 2025 à 10h30
Modifié 25 janvier 2025 à 18h21Fact checking en DATA. Lors d'un récent débat parlementaire sur le pouvoir d'achat, la députée Rim Chabat a interrogé le ministre de l’Agriculture sur l'augmentation incompréhensible des prix des produits agricoles au Maroc. Elle a souligné que la sécheresse ne pouvait à elle seule expliquer cette hausse, en prenant l'exemple du poisson. Sûr de lui, le ministre a répondu qu'il y avait un rapport entre le manque de pluie et le déplacement du poisson. La sécheresse a-t-elle un impact sur l'activité de la pêche ? Qui a raison finalement ?
"Est-ce que même les poissons en mer souffrent de la sécheresse ? Ayez du respect pour l'intelligence des Marocains !"
C'est par une interrogation ironique que la députée Rim Chabat, du Front des forces démocratiques (FFD), s'est adressée au ministre de l'Agriculture à propos de la hausse des prix des produits agricoles, question qui a rapidement été partagée sur les réseaux sociaux.
Le ministre de l'Agriculture, Ahmed El Bouari, a répondu qu'il existe un lien direct entre la sécheresse et les populations de poissons avant d'entrer dans le vif du sujet et de présenter les actions du département d’agriculture pour équilibrer le pouvoir d’achat des Marocains.
L'analyse des commentaires postés sur les réseaux sociaux révèle une dualité d'opinions. Certains estiment que la question soulevée est pertinente et qu'il n'existe aucun lien direct entre les précipitations et le poisson vivant en milieu aquatique ni, par conséquent, entre la hausse des prix des produits de la mer et la sécheresse. D'autres, plus nombreux, cherchent à savoir quelle position est la plus juste dans ce débat.
Afin d'apporter une réponse objective à cette question, nous avons survolé les travaux scientifiques en relation avec le sujet.
Les courants d’upwelling, fil conducteur de cette énigme
Théoriquement, la majeure partie de la production halieutique est principalement associée à trois processus d'enrichissement en nutriments : le mélange turbulent induit par les marées, l'apport des cours d'eau continentaux et l’upwelling côtier.

L’upwelling est un processus océanographique alimenté par les vents, où des eaux profondes riches en nutriments remontent à la surface de l'océan, ce qui favorise la croissance du phytoplancton, une source essentielle de nourriture pour de nombreux poissons.
L’eau du fond a tendance à être plus froide en raison du manque de lumière solaire, plus riche en nutriments du fait de la décomposition de la matière organique qui se dépose, et plus acide et moins oxygénée. Lorsque cette eau remonte à la surface et est exposée au soleil, les nutriments qu’elle contient contribuent à nourrir un écosystème alimenté par une production primaire élevée.
La richesse halieutique du Maroc est en grande partie due à la présence d’un système de courant d’upwelling. Il s’agit du système de courant d’upwelling canarien qui s’étend des côtes marocaines au Nord jusqu’en Guinée au Sud, et correspond à l’une des quatre zones d’upwelling les plus riches au monde.

Grâce à ce système, l'explosion de vie planctonique nourrit l'ensemble de la chaîne alimentaire marine, de la sardine au maquereau, en passant par les grands prédateurs marins. Cette abondance biologique est à l'origine de pêcheries prospères et constitue un moteur socio-économique de l’activité halieutique.

La relation entre le climat et les populations de poissons est certaine et multifactorielle. Au vu des changements climatiques qui ne font plus débat, les océans se réchauffent à un rythme plus rapide que les continents, en raison de l’augmentation exponentielle d’émissions de gaz à effet de serre. La fonte des glaces polaires, due en grande partie au réchauffement climatique, exacerbe ce phénomène et favorise l'acidification des océans.
Ces changements des conditions physico-chimiques de l'eau entraînent une modification des habitats, rendant ceux-ci inadaptés à la survie de nombreuses espèces de poissons. En effet, chaque espèce possède des exigences environnementales particulières qui, si elles ne sont plus remplies, l'obligent à migrer ou à disparaître localement.
Les écosystèmes marins, en lien avec le processus d'upwelling, reposent sur plusieurs mécanismes écologiques et climatiques interconnectés, jouant un rôle clé dans l'évolution de ces dynamiques. En réduisant les apports en nutriments essentiels au phytoplancton, les dérèglements climatiques fragilisent la base de la chaîne alimentaire marine, compromettant ainsi la survie des espèces marines, en particulier lors de leurs phases de reproduction.
De leur côté, les précipitations jouent un rôle très important dans le processus d’upwelling en favorisant la création d'une stratification haline. En diluant l’eau de mer, les précipitations créent une couche supérieure moins salée et moins dense que la couche inférieure. La différence de salinité entre les eaux de surface et les eaux profondes crée un gradient de densité et permet ainsi le déplacement des masses d’eau essentiel pour développer une vie abondante le long de la ceinture d’upwelling.
L'augmentation de la salinité des eaux de surface, couplée à une diminution des précipitations, influence la stratification haline. Cette influence limite les échanges verticaux des masses d'eau, atténuant ainsi les processus d'upwelling et réduisant la disponibilité en nutriments pour les écosystèmes marins. À long terme, ces modifications peuvent induire des déplacements des zones de haute productivité biologique et entraîner des bouleversements significatifs dans la disponibilité des espèces marines et leurs recrutements biologiques.
La pluie, un facteur clé pour la vie halieutique ?
Plusieurs avis concernant la problématique du stress hydrique au Maroc pensent, naïvement, que notre pays perd des milliards de mètres cubes de ses ressources hydriques qui se retrouvent annuellement dans l’océan. Or, il serait sage de reconsidérer cette idée dominante puisque les volumes d’eau versés dans les mers sont très importants pour la vie marine en transportant les éléments et nutriments, présents en quantités limitées dans les océans.
Si l'azote est un élément essentiel à la vie, les eaux marines en sont souvent déficitaires. Les études scientifiques convergent pour montrer que les précipitations constituent une voie de transport de l'azote inorganique dissous de l’atmosphère vers les eaux de surface marines. Ainsi, après les événements pluvieux, des quantités significatives de chlorophylle et de nutriments dans les eaux de surface se développent, stimulent la croissance du phytoplancton, et c’est cette augmentation de la production primaire qui favorise, en retour, le développement des populations de poissons.
Un travail scientifique de Gillson, intitulé "Chaque goutte de pluie n'est pas perdue", met en évidence l'impact significatif des variations saisonnières et interannuelles des débits d'eau douce sur les écosystèmes aquatiques. En modifiant les conditions physico-chimiques, ces variations influencent directement la croissance, la survie et le recrutement des poissons et des invertébrés, avec des conséquences notables sur la production halieutique.
Ainsi, les événements extrêmes tels que les inondations et les sécheresses ont les conséquences les plus marquées sur la production halieutique, en induisant des changements rapides des conditions physico-chimiques de l'eau, ce qui modifie la richesse et la diversité des espèces aquatiques.
La même étude a recensé une dizaine de travaux scientifiques portant sur l'influence des précipitations sur certaines espèces de poisson. La plupart de ces études ont mis en évidence une corrélation positive entre les précipitations et l'abondance de ces espèces, notamment les sardines, les anchois, les poulpes, les crabes et les soles. Toutefois, deux études de cas, l'une sur le Crossie blanc au Chili et l'autre sur les crevettes roses dans un environnement lagunaire brésilien, ont montré des résultats négatifs.
Une autre étude (Stewart et al.,2020) portant sur la courbine japonaise a révélé que les précipitations jouent un rôle crucial dans le cycle de vie de cette espèce. Les données recueillies entre 1984 et 2013 montrent que les années à fortes précipitations sont associées à un recrutement plus important, probablement en raison de l'amélioration des conditions de nurserie dans les estuaires. De plus, l'analyse des captures commerciales a mis en évidence un décalage temporel entre les précipitations et l'abondance du poisson, suggérant que l’augmentation significative est vraisemblablement liée aux précipitations datant de deux à trois années auparavant, mais pas aux précipitations de l'année de capture.
Dans le contexte de l'upwelling canarien, une récente étude de Sarré et al. (2024) s'est intéressée à l'impact du changement climatique sur la distribution des petits poissons pélagiques au nord et au sud de Lagouira (Cap Blanc du côté mauritanien). Selon les résultats de cette étude, les poissons semblent avoir modifié leur répartition spatiale en réponse à ces changements. Ces changements migratoires varient d'une année à l'autre, les sardines tendant à se diriger soit vers le nord, soit vers le sud, en fonction des conditions environnementales plus favorables.
