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Entre sécheresse et résistance des opérateurs, le marché de la viande rouge est dans l'impasse

Malgré les efforts du gouvernement pour stabiliser le marché, le prix de la viande rouge reste à des niveaux élevés. Cette situation résulte d'un enchevêtrement de problèmes structurels liés à l'offre et à la demande, mais aussi de dysfonctionnements au sein de la chaîne de distribution.

Entre sécheresse et résistance des opérateurs, le marché de la viande rouge est dans l'impasse

Le 24 janvier 2025 à 17h34

Modifié 24 janvier 2025 à 18h39

Malgré les efforts du gouvernement pour stabiliser le marché, le prix de la viande rouge reste à des niveaux élevés. Cette situation résulte d'un enchevêtrement de problèmes structurels liés à l'offre et à la demande, mais aussi de dysfonctionnements au sein de la chaîne de distribution.

Malgré les multiples mesures adoptées par l'État, telles que l'importation de bétail vivant et de viande fraîche ainsi que l'exonération des droits de douane et de la TVA sur ces importations, les prix des viandes rouges restent élevés au Maroc.

Pour en comprendre les raisons, Médias24 a interrogé plusieurs acteurs du secteur. Il en ressort que le sujet est complexe et nécessite d’être abordé en plusieurs volets.

Dans le présent article, nous allons d'abord présenter une vue d'ensemble des principales raisons qui impactent le marché de la viande rouge. D'autres articles suivront pour aborder en profondeur chacune des problématiques évoquées.

Un marché face à trois chocs

D'après les différentes sources consultées par nos soins, le marché de la viande rouge fait face à trois principaux chocs, celui de l'offre, celui de la demande et celui lié à Aïd al-Adha. Ce dernier, bien que ponctuel, consomme une part importante du cheptel, l'empêchant ainsi de se reproduire.

Le choc de l'offre se traduit par une baisse significative du cheptel national, surtout en ce qui concerne les ovins et les caprins. Selon nos informations, l'effectif abattu a chuté de moitié par rapport à une période normale, soit avant les crises qu'a connues le secteur et la succession d'années de sécheresse.

Cette situation s'explique par plusieurs facteurs, à leur tête l'explosion des coûts des aliments composés. Malgré les subventions accordées par le ministère de l'Agriculture, ce volet reste problématique.

L’alimentation des animaux repose sur un équilibre entre les productions locales des éleveurs, les fourrages issus des champs et parcours, ainsi que les compléments alimentaires achetés sur le marché. Toutefois, cette dernière étape, qui se limitait autrefois à deux ou trois mois, s’étend désormais sur toute l’année en raison des sécheresses récurrentes. Les éleveurs se retrouvent ainsi contraints de supporter des coûts d’alimentation sur une période prolongée, ce qui alourdit leurs dépenses et les pousse souvent à vendre leur cheptel.

Déjà affaibli, le cheptel subit annuellement le choc de Aïd al-Adha, aggravant le déclin des effectifs reproducteurs. Cette célébration vient prélever une moyenne d'environ 5 millions de têtes chaque année, que le cheptel ne supporte plus. Cette situation se poursuit au moins depuis trois ans, durant lesquels une partie du noyau reproducteur a été retirée du cheptel, l'empêchant de se reconstituer, ce qui explique en partie son état actuel.

D'après nos informations, en 2024, seulement 900.000 têtes de bétail ont été importées de l’étranger, dont plus de la moitié ont été consommées durant l’Aïd. Il ne restait ainsi qu’environ 400.000 têtes après cette opération, un chiffre représentant une part modeste de la consommation nationale.

Par ailleurs, ces deux dernières années, la fête de l’Aïd a coïncidé avec la saison estivale, marquée par le retour des Marocains résidant à l’étranger (MRE) et l’organisation d’événements tels que les mariages, ce qui a encore accentué la pression sur la demande en viande rouge.

Les éleveurs se retrouvent donc dans un cercle vicieux. Le manque d’animaux reproducteurs, combiné aux effets de la sécheresse, retarde le repeuplement du cheptel. Même avec des années pluvieuses, il faudrait plusieurs cycles pour redresser la situation. En conséquence, la pression sur les éleveurs se maintient, limitant leur capacité à répondre à la demande.

D'un autre côté, le marché de la viande rouge fait face à un choc de la demande. Le ralentissement de la consommation s’explique principalement par un pouvoir d’achat en baisse. Depuis 2021, l’inflation cumulée a atteint environ 17%, alors que le salaire moyen du consommateur marocain tourne autour de 4.000 DH. Les produits comme la viande et le lait, élastiques au revenu, sont donc les premiers à être écartés du panier des ménages moyens et modestes.

Ces trois facteurs combinés font que les prix des viandes rouges restent élevés. Mais pourquoi les nombreuses mesures mises en place par l'État ne réussissent-elles pas à les faire baisser ?

Un marché désorganisé face à la résistance des opérateurs

Selon nos différentes sources, l'anarchie dont pâtit le secteur et la résistance de certains opérateurs annihilent tous les efforts de l'État dans ce secteur.

Nos interlocuteurs nous expliquent par ailleurs qu'il est important de faire la différence entre le marché des bovins et celui des ovins et des caprins. Si le gouvernement a réussi à maintenir les prix de la viande bovine au même niveau depuis le mois de novembre dernier, la viande ovine qui représente 20% à 25% de la consommation marocaine continue, elle, de fluctuer et d'augmenter, comme le montre le graphique suivant :

Cela s'explique par le fait que les petits ruminants restent très chers en Europe, où la viande ovine est qualifiée de viande de luxe. L'ouverture de l'importation de cette dernière n'est donc pas une solution.

En ce qui concerne la viande bovine, elle représente entre 77% et 80% de la consommation marocaine. Certes, les mesures mises en place par le gouvernement sont parvenues à maintenir le prix du kilogramme à environ 100 DH, mais les apports en viande fraîche et en bovins destinés à l'abattage restent limités.

En effet, le ministre de l'Agriculture, Ahmed El Bouari, a déclaré récemment au Parlement qu'environ 167.000 têtes de bovins, 96.000 têtes d'ovins et 1.724 tonnes de viande avaient été importées. Pour la viande, environ 20.000 tonnes étaient ouvertes à l'importation entre novembre et décembre 2024.

Par ailleurs, "les prix pratiqués au niveau des abattoirs oscillent entre 85 et 90 DH/kg, mais ceux pour le consommateur final, notamment à Casablanca, atteignent en moyenne 100 DH/kg", déplorent nos sources, "puisque les chevillards et détaillants augmentent leurs marges pour compenser la perte de clients".

Nos sources pointent également un système oligopolistique et résistant. "La distribution de la viande est dominée par un petit nombre d’opérateurs possédant les capacités financières et logistiques pour acheter localement ou importer et stocker en grande quantité", nous explique-t-on.

"Ces derniers visent donc principalement à rentabiliser leurs opérations. Lorsqu'ils importent de la viande fraîche, par exemple, une marge d'au moins 10 DH/kg est automatiquement ajoutée au prix initial, sans parler des frais de distribution, de transport et de congélation, ainsi que des pertes, de la casse et des rejets qu'ils prennent en considération dans la fixation de leurs marges".

"Ces mêmes acteurs résistent également aux efforts de modernisation des circuits de distribution et à l’importation. De plus, les abattoirs municipaux, sous-utilisés, restent dominés par des pratiques traditionnelles, limitant la transparence et l’efficacité", soulignent nos interlocuteurs.

"Certains opérateurs redoutent même de se heurter à cette résistance. L’importation de nombreuses têtes de bétail ou de grandes quantités de viande rouge nécessite des investissements considérables qui pourraient être perdus si un importateur ne se conforme pas aux règles imposées, notamment par les chevillards".

De plus, de nombreuses transactions dans le secteur échappent aux radars fiscaux et réglementaires. Cette opacité freine toute tentative de structuration et nuit à la stabilité du marché.

Enfin, nos sources déplorent le manque de logistique dédiée à la viande. La capacité frigorifique dont dispose le Royaume est certes grande, mais elle n'est pas détenue par les opérateurs intéressés par la viande.

"On n'a jamais pensé qu'un jour on consommerait, au Maroc, de la viande fraîche importée", nous confie l'une de nos sources. "Les conditions d'importation ne sont donc pas favorables", ajoute-t-elle, soulignant que "nous sommes partis pour une guerre sans armes. Les frigos et les installations dont on dispose sont à la hauteur, mais ils sont destinés à des usages précis, notamment aux fruits et aux légumes exportés partout dans le monde".

L'on conclut alors que l'une des principales mesures à mettre en place pour réduire la pression sur les prix des viandes rouges est l'encadrement des marges. Fixer des plafonds temporaires sur les marges des différents intermédiaires pourrait contribuer à modérer les prix pour les consommateurs, mais une telle mesure s'avère difficile à mettre en œuvre sur le marché marocain, regrettent nos différentes sources. La crise de la viande rouge au Maroc met ainsi en évidence de profondes failles structurelles.

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