Fact-checking. La vraie histoire d'une mirobolante découverte pétrolière au large d'Agadir
1 milliard, 2 milliards de barils de pétrole... Qui dit mieux ? Plusieurs médias nationaux et internationaux ont relayé l'annonce d’une grande découverte de pétrole au large des côtes d'Agadir, certains mentionnant un récent communiqué de l’entreprise "Europa Oil & Gas", tandis que d'autres font référence à un "fameux" journal espagnol qui parle d’une découverte près des Canaries. Qu’en est-il réellement ?

Fact-checking. La vraie histoire d'une mirobolante découverte pétrolière au large d'Agadir
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Amine Bouwafoud
Le 4 janvier 2025 à 13h33
Modifié 5 janvier 2025 à 15h251 milliard, 2 milliards de barils de pétrole... Qui dit mieux ? Plusieurs médias nationaux et internationaux ont relayé l'annonce d’une grande découverte de pétrole au large des côtes d'Agadir, certains mentionnant un récent communiqué de l’entreprise "Europa Oil & Gas", tandis que d'autres font référence à un "fameux" journal espagnol qui parle d’une découverte près des Canaries. Qu’en est-il réellement ?
Du pétrole à Agadir ? Depuis plusieurs décennies, le Maroc poursuit inlassablement ses efforts d’exploration pour découvrir des gisements d'hydrocarbures capables de réduire sa dépendance énergétique. Dernièrement, le Maroc a annoncé des découvertes non négligeables de gaz naturel, une ressource essentielle devant alimenter plusieurs de ses centrales électriques. Ces découvertes prennent une grande importance dans un contexte géopolitique marqué par la flambée des prix du gaz à l'échelle mondiale, conséquence directe du conflit russo-ukrainien.
Cette dynamique récente de découvertes est le fruit d'une dizaine d'années d'efforts de l'ONHYM qui a su attirer des dizaines de compagnies d'exploration, séduites par un code d'hydrocarbures attractif et un environnement d'investissement favorable dans un pays encore sous-exploré.
Durant le mois de décembre 2024, plusieurs médias sont tombés dans le piège d'une fake news récurrente, publiée par un journal espagnol nommé "Ecoticias" il y a plusieurs années déjà. Ce média, spécialisé dans les questions environnementales, diffuse périodiquement cette même intox, dont les dernières versions ont été publiées en octobre 2024 et en décembre 2024, mais c'est cette dernière qui a été massivement partagée et relayée dans des vidéos sur les plateformes YouTube et TikTok, les plus populaires auprès des Marocains.

L’article en question date du 10 décembre 2024, et annonce que "l’Espagne dispose d’un grand gisement de pétrole et qu’elle ne veut pas exploiter pour le moment, et que le Maroc a découvert un grand gisement de pétrole avec des réserves prouvées de 1 milliard de tonnes" .
Cet article a été repris par plusieurs médias nationaux, citant soit directement ce journal, soit d'autres médias ayant annoncé que la compagnie Europa Oil & Gas a publié un communiqué de presse annonçant cette découverte. Cette information s’est propagée très rapidement, d’autant que plusieurs créateurs de contenus dans les médias sociaux ont repris l’information sans s’assurer de sa véracité.
Pour couper court à ces rumeurs, nous allons expliquer pourquoi une découverte de pétrole n'est actuellement pas possible au large d'Agadir.
Peut-on confirmer qu'il existe actuellement des activités d'exploration pétrolière au large d'Agadir ?
Plusieurs compagnies pétrolières mènent des explorations pétrolières le long des côtes marocaines, du nord au sud. Au large d'Agadir, trois compagnies sont particulièrement actives :
- Genel Energy, sur le bloc offshore de Lagzira;
- Hunt Oil, présente sur le bloc offshore de Mogador,
- ESSO, filiale d'ExxonMobil, qui a récemment fait son entrée sur le marché marocain en acquérant le bloc offshore d'Agadir-Ifni.
Toutes ces informations sont disponibles sur le site de l'ONHYM, où tout le monde peut consulter les données relatives aux blocs offshore attribués et ceux disponibles pour l'exploration, en toute transparence.
Ci-dessous, la carte mise à jour de l'ONHYM indiquant la localisation de tous les permis de recherche d'hydrocarbures. Les blocs ouverts à l'investissement sont représentés en jaune, tandis que les autres sont attribués à des compagnies d'exploration agréées.
Cependant, l'examen de la carte de l'ONHYM ne révèle aucun bloc offshore nommé "Inezgane" au large d'Agadir, ni de bloc détenu par la compagnie Europa Oil & Gas sur cette zone.
Ci-dessous une carte interactive pour explorer tous les permis de recherche d'hydrocarbures et leur localisation :
Est-ce que la compagnie Europa Oil & Gas est présente au Maroc ?
Conformément au code des hydrocarbures (Loi 21-90), les travaux de reconnaissance ou d'exploration sont subordonnés à l'obtention préalable d'un permis de recherche ou d'une concession d'exploitation, lesquels ne peuvent être accordés qu'après la conclusion d'un accord pétrolier avec l'État et la publication de l'octroi du permis au Bulletin officiel.
La compagnie britannique Europa Oil & Gas a démarré officiellement ses activités d'exploration pétrolière au Maroc en novembre 2019. À cette date, le ministère marocain de l'Énergie, des Mines et de l'Environnement lui a accordé six permis de recherche d'hydrocarbures offshore, couvrant une zone nommée Inezgane, pour une durée initiale de trois ans à compter du 17 novembre 2019.
À l'échéance de ces trois ans, la compagnie britannique d'exploration a décidé de ne pas renouveler son permis et a quitté le Maroc pour des raisons de restructuration financière. Elle a toutefois annoncé l'existence d'un potentiel pétrolier significatif dans cette zone, une information publiée par Médias24 le 22 novembre 2022.
En juillet 2024, l'ONHYM et Esso Exploration ont signé un accord pour le lancement des travaux de reconnaissance d'hydrocarbures en offshore, qui devraient couvrir deux zones situées dans l'océan Atlantique : la zone offshore Safi-Essaouira et la zone offshore Agadir-Ifni. Cette dernière est d'une superficie totale d'environ 109.246 km², elle inclut désormais la licence "Inezgane" d'une superficie moindre de 11.228 km² précédemment détenue par Europa Oil & Gas.
Existe-il vraiment des ressources dans la licence d’Inezgane ?
Les travaux menés par Europa Oil & Gas ont mis en évidence un potentiel pétrolier, mais n'ont pas permis d'identifier des ressources certifiées. Seuls le forage de puits, suivi d'une certification des découvertes, sont capables de déterminer si des hydrocarbures ou d'autres fluides sont présents, une étape qui n'a pas été franchie.
Europa Oil & Gas s'est appuyé sur des données sismiques et sur les résultats de puits environnants à la licence, tous infructueux, pour identifier "un potentiel pétrolier significatif dans la zone". Leur espoir de trouver le "jackpot" est d’atteindre un niveau ignoré par les anciens forages d’exploration, une formation d'âge Crétacé Inférieur.
Les travaux de prospection, fondés sur des données sismiques et les résultats d'études précédentes, ont permis d'identifier quatorze (14) prospects présentant différents types de structures pouvant piéger les hydrocarbures, notamment des failles et des dômes de sel. Ces derniers, abondants dans cette zone, présentent des similitudes structurales avec plusieurs champs pétroliers offshore en Afrique de l'Ouest.
Grâce au traitement des données sismiques, Europa Oil & Gas a évalué un potentiel initial de deux milliards de barils d'équivalent pétrole répartis sur les 14 prospects identifiés.
Cette estimation ne considère ni les difficultés d’exploitation, ni le contenu pouvant être présents dans un système pétrolier. Outre le pétrole, on peut trouver du gaz naturel, de l'eau ainsi que d'autres fluides, dont la présence peut significativement modifier les résultats finaux.

Les campagnes de forage menées précédemment à proximité de la licence d'Inezgane, notamment celles de Shell (bloc offshore Taghazout, 2004), Kosmos (bloc offshore d'Agadir, 2014) et Cairn Energy (bloc offshore Bas Draa, 2013), se sont soldées toutes par un échec sans révéler aucune trace d’hydrocarbures.
En revanche, des traces de pétrole ont été détectées lors de forages plus au sud. Notamment, un puits foré par Genel Energy en 2014 qui a intersecté une formation pétrolifère au large de Sidi Ifni, mais les tests de production n'ont pas permis d'obtenir des débits économiquement viables.
Par ailleurs, un autre forage, situé au large de Tarfaya (environ 600 kilomètres au sud d'Agadir), a mis au jour du pétrole lourd, dont la récupération posait des défis techniques et économiques.
Du côté espagnol, plusieurs forages ont été réalisés dans des blocs offshore situés aux alentours des îles canariennes de Lanzarote et Fuerteventura, en direction des côtes marocaines. Ces explorations se sont révélées, pour la plupart, infructueuses.
Seule la compagnie espagnole Repsol a découvert en 2015 des traces de gaz naturel, mais en quantités trop faibles pour être économiquement exploitables.
En l'absence d'un puits qui permettra de trancher le contenu de ces pièges, toute information concernant une découverte de pétrole reste à vérifier.
L'exemple le plus concret est celui de la Mauritanie, où des forages d'exploration sauvage (Wildcat Drilling) ont permis la découverte du gisement de Birallah, dont les ressources sont estimées à environ 1,4 trillions de mètres cubes. Toutefois, ce type de forage risqué ne peut être mené que par de grandes compagnies pétrolières disposant des capacités financières nécessaires pour investir dans de tels risques.
Actuellement, la zone d'Inezgane est reprise par Esso Exploration qui devrait commencer prochainement ses travaux de reconnaissance, puis d'exploration dans une zone offshore plus vaste allant d'Agadir à Sidi Ifni.
Depuis l'épuisement des champs pétroliers de la région de Sidi Kacem et de petites exploitations de la région d'Essaouira, aucun champ exploitable n'a été découvert au Maroc hormis la présence de condensats (hydrocarbures liquides et légers récupérés lors de l'extraction de gaz) dans le champ de Meskala, ou bien les schistes bitumineux de Timahdit et de Tarfaya nécessitant plus de coûts pour leur transformation en pétrole.
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