“Nayda” de Saïd Naciri : entre succès populaire sur YouTube et polémique cinématographique
Le film "Nayda", réalisé par l’acteur et réalisateur marocain Saïd Naciri, a rencontré un succès retentissant sur la plateforme YouTube, enregistrant 12,8 millions de vues, six jours seulement après sa mise en ligne sur la chaîne officielle de l'acteur.

“Nayda” de Saïd Naciri : entre succès populaire sur YouTube et polémique cinématographique
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Nawfal Kaiss
Le 12 décembre 2024 à 14h00
Modifié 12 décembre 2024 à 17h18Le film "Nayda", réalisé par l’acteur et réalisateur marocain Saïd Naciri, a rencontré un succès retentissant sur la plateforme YouTube, enregistrant 12,8 millions de vues, six jours seulement après sa mise en ligne sur la chaîne officielle de l'acteur.
Le long métrage, intitulé Nayda : kebberha tsghar, a suscité l’attention du public marocain de par une histoire mêlant drames sociaux et comédie tout en exprimant des revendications sociales. En un temps record, le film a approché les 13 millions de vues sur YouTube.
L’intrigue suit le personnage de Saïd et de ses amis, résidant dans un quartier populaire de Casablanca et confrontés à l’absence des droits sociaux et économiques les plus élémentaires. Après des tentatives infructueuses pour transmettre leurs revendications au chef du gouvernement, ils décident de passer à l’action en prenant en otage un groupe de diplomates et de personnalités politiques de haut rang. Cependant, les événements leur échappent rapidement, transformant de simples citoyens qui réclamaient leurs droits en terroristes présumés.
Des similarités douteuses avec un film égyptien
Dans le monde du cinéma, comme dans toute forme d'art, l'innovation et l'honnêteté artistiques sont des éléments clés du succès, capables d’attirer le public et de maintenir son intérêt. Le film Nayda, diffusé sur YouTube, soulève des débats parmi les cinéphiles, notamment en raison de certaines ressemblances avec des œuvres cinématographiques antérieures.
Le film égyptien Al Irhab wa lkabab, sorti en 1992, relate l’histoire d’Ahmed, un citoyen se rendant au complexe administratif du Caire pour régler des formalités, avant que les événements ne prennent une tournure inattendue, aboutissant à une prise d’otages. Cette satire dénonçait avec humour la bureaucratie et la corruption gouvernementales.
De son côté, Nayda s’inscrit dans un contexte marocain avec une intrigue présentant certaines similarités, notamment un protagoniste confronté à des mésaventures administratives. Bien que ces ressemblances puissent être perçues comme des hommages ou des inspirations, elles interrogent sur la frontière entre la réutilisation créative et une dépendance à des idées préexistantes.
Par le passé, Saïd Naciri avait fait l’objet de critiques pour des choix narratifs similaires à des œuvres internationales, avec Sara, évoquant des parallèles avec Curly Sue, ou encore Abdou à l’époque des Almohades, rappelant Black Knight. Ces œuvres avaient été présentées comme des adaptations ou des relectures, bien que le débat sur leur originalité ait persisté.
Dans Nayda, Saïd Naciri a su, dans une démarche populiste, jouer sur la corde sensible du sentiment d'aigreur face à la marginalisation et à la pauvreté dans certains quartiers défavorisés du Royaume, suscitant ainsi un engouement inédit autour du film.
Les chiffres de Nayda dans les salles de cinéma
Contrairement à ce qui a été rapporté, les rumeurs qui affirment que le film Nayda aurait été interdit de diffusion au cinéma sont fausses. Le film a été distribué dans les salles depuis le 25 octobre 2023.
La programmation dépend des distributeurs et des exploitants de salles, qui se fondent uniquement sur la rentabilité financière. Nayda disposait bien de l'autorisation du Centre cinématographique marocain (CCM) pour une diffusion en salle. Si le film a été à un certain moment retiré des salles, cela relève d'une décision des exploitants, généralement motivée par une baisse de la fréquentation.
Selon le bilan 2023 du CCM sur l'exploitation, la production, la promotion et le soutien cinématographique, le long métrage Nayda s’est classé troisième au box-office des films marocains, avec 85.353 entrées et 4.526.666 DH de recettes. Il est devancé par le film Daddos de Abdelouahed Mjahed, qui a attiré 164.934 spectateurs pour des recettes de 8.706.829 DH, et par Houma Li Bqaw-Jouj, qui a enregistré 93.536 spectateurs et 4.929 587 DH de recettes.
Comme le veut l'usage, la répartition des recettes de Nayda s'effectue entre plusieurs parties : le producteur Saïd Naciri, les exploitants des salles de cinéma et le distributeur. Le CCM, pour sa part, ne perçoit aucune recette, n’ayant pas participé au financement du film via le Fonds d'aide.
L'interdiction de la diffusion sur la télévision publique
Quant à la diffusion sur la télévision publique marocaine, elle obéit à une procédure légale bien définie, connue de tous les professionnels du cinéma au Maroc, précise dans une déclaration à Médias24 Ahmed Eddaferi, professeur universitaire spécialisé dans le cinéma et la télévision. Chaque année, un appel d’offres est lancé pour l’achat de films (courts et longs métrages). Les sociétés de production intéressées doivent soumettre deux dossiers :
- Un dossier administratif, qui inclut les documents prouvant que l’entreprise opère légalement, paie ses impôts, inscrit ses employés à la sécurité sociale, et dispose d’une licence d’exploitation.
- Un dossier technique et artistique, comprenant le scénario ou une copie électronique du film si celui-ci est déjà produit.
Selon Ahmed Eddaferi, Saïd Naciri avait, par le passé, soumis des candidatures pour que ses films soient diffusés sur la télévision publique. "Cependant, son dossier administratif était incomplet et manquait de documents essentiels, comme ceux provenant des impôts ou de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS)".
Les sociétés de production qui remportent les appels d’offres sont ensuite soumises à "une vérification par la Cour des comptes, notamment en ce qui concerne leurs dossiers administratifs et la gestion financière".
Ainsi, toute entreprise souhaitant voir ses films diffusés sur la télévision publique doit respecter un ensemble de conditions administratives et légales rigoureuses, auxquelles celle de Said Naciri ne répondait vraisemblablement pas. Loin des versions de l'acteur où il affirme avoir été écarté de la télévision marocaine, en raison d'un "boycott qu'il subit de la part des responsables des chaînes télévisées à son encontre", et qui serait lié, selon lui, à "ses critiques ouvertes sur la médiocrité qu'il percevait dans la télévision et le cinéma marocains", et parce qu'il serait, comme il aime si bien se désigner, "ould chaâb" [enfant du peuple].
Sa nature franche et le passage à des plateformes alternatives comme YouTube témoignent, selon lui, d'une "rupture significative avec les médias établis au Maroc".
"5 millions de followers pour pouvoir créer une chaîne satellitaire"
Dix jours avant la sortie du film Nayda sur YouTube, Saïd Naciri déclarait dans une vidéo promotionnelle qu’il avait besoin du soutien des internautes pour atteindre le seuil de 5 millions d’abonnés (aujourd'hui 2,4 millions) en vue de "transformer" sa chaîne YouTube en chaîne satellitaire qu'il nommerait "Kanate ould chaâb"[la chaîne du fils du peuple]. Une affirmation qui, selon Ahmed Eddaferi, "n’a absolument aucun sens", estimant qu’il s’agit simplement d’une "autre stratégie de Naciri pour attirer davantage de followers et augmenter ses revenus sur la plateforme".
Le spécialiste du cinéma et de la télévision rappelle que la création d’une chaîne satellitaire repose sur des critères bien définis et stricts, indépendants du nombre d’abonnés sur les réseaux sociaux. "Le dossier à soumettre à la Haute Autorité de la communication audiovisuelle (HACA) doit répondre à un cahier des charges rigoureux, incluant des aspects techniques, humains et financiers détaillés, jusqu’au dernier dirham", précise-t-il.
Par ailleurs, si Saïd Naciri décide de concrétiser cette ambition en déposant une demande officielle, "son historique dans des affaires de plagiat" pourrait, selon notre interlocuteur, jouer en sa défaveur. "Cette réputation pourrait peser sur la décision de la HACA, qui évalue attentivement la crédibilité et la conformité des demandeurs avant d’octroyer une autorisation pour la création d’une chaîne satellitaire", conclut Ahmed Eddaferi.