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Aujjar et la gauche dans les institutions. La lecture de Nadia Bernoussi, “loin de tout essentialisme” (2/2)

Mohamed Aujjar (RNI) est au centre d'une polémique concernant l’homogénéité politique des présidences des institutions constitutionnelles. Ses propos soulèvent des interrogations quant à l’indépendance de ces institutions. Ces interrogations sont à la fois d'ordre politique que constitutionnel. Médias24 a donné la parole à Nadia Bernoussi, professeure de droit constitutionnel, et à Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS. Analyse.

Aujjar et la gauche dans les institutions. La lecture de Nadia Bernoussi, “loin de tout essentialisme” (2/2)

Le 27 novembre 2024 à 13h00

Modifié 27 novembre 2024 à 16h25

Mohamed Aujjar (RNI) est au centre d'une polémique concernant l’homogénéité politique des présidences des institutions constitutionnelles. Ses propos soulèvent des interrogations quant à l’indépendance de ces institutions. Ces interrogations sont à la fois d'ordre politique que constitutionnel. Médias24 a donné la parole à Nadia Bernoussi, professeure de droit constitutionnel, et à Nabil Benabdallah, secrétaire général du PPS. Analyse.

Que penser des récents propos de l'ex-ministre de la Justice Mohamed Aujjar selon lesquels « toutes les institutions de gouvernance sont dirigées par des personnalités appartenant au même courant politique, à savoir la gauche » ?

Sur l'aspect politique de ces propos, Nabil Benabdallah, estime que l’intervention de Mohamed Aujjar était une “sortie partisane” et ”étroite” qui “n’avait pas lieu d’être”.

L'analyse de Nadia Bernoussi

Toutefois, le débat concerne des institutions constitutionnelles. Nous avons interrogé Nadia Bernoussi, professeure de droit constitutionnel, qui nous livre ci-dessous son analyse qu'elle intitule : "loin de tout essentialisme".

Voici l'intégralité de son analyse :

"Est-ce un hasard, une nécessité ou un choix délibéré ? Est-ce rédhibitoire de nommer des personnalités toutes marquées à gauche ? Et si l’on nommait des personnalités toutes marquées à droite, est-ce que cela serait également problématique ? Que penser d’une institution de gouvernance composée uniquement de femmes ? Ou uniquement d’hommes ? Faut-il essentialiser le débat ? Les trois autres instances en attente d’un président, seront-t-elles forcément dirigées par une personnalité de gauche ?

"Parle-t-il des institutions constitutionnelles indépendantes ou de toutes les instances de gouvernance, y compris celles qui ne sont pas consacrées par la Constitution ?

"Si le propos embrasse large et inclut également les autorités indépendantes extraconstitutionnelles, il ne semble pas qu’elles aient été, ou soient actuellement dirigées par un homme ou une femme de gauche.

"Et si ce choix était délibéré (ce qui reste à prouver), il ne constituerait pas une monstruosité démocratique dans la mesure où de telles instances indépendantes censées évaluer les pouvoirs publics en place, en l’occurrence la droite actuellement aux commandes, s’imposeraient dans une logique d’équilibre et de checks and balances.

"Qui sont ces nouvelles institutions de gouvernance et de protection des droits de l’homme au nombre de dix énumérées dans la Constitution de 2011 ? Elles se sont imposées dans un contexte international néolibéral préoccupé par l’obligation de résultat, en quête d’expertise, découvrant les vertus de la démocratie participative et en phase avec les mutations de la nature de l’Etat, devenu régulateur, stratège, développeur, droitdelhommiste et social. La légitimité électorale s’est retrouvée "dépassée" par la légitimité professionnelle et civile à même d’asseoir plus de crédibilité, d’effectivité et de confiance.

"Quelques pistes de réflexion à partager avec les lecteurs.

"1-Il existe deux types de nominations dans la haute fonction publique et autres autorités

"Il convient de souligner la différence entre les fonctions d’autorité (ambassadeurs, walis, recteurs) qui appliquent la politique du Gouvernement (et dont la nomination se fait en Conseil de ministres avec dahir contresigné) et les fonctions de responsabilité à savoir les juges constitutionnels et les présidents d’ICI qui n’appliquent pas la politique du Gouvernement mais au contraire sont censés  la contrôler, ce qui explique la nomination de la présidente de la HACA ou du président de la Conseil de la concurrence hors Conseil des ministres.

"S’agissant de la question de la nomination des membres par le chef de l’Etat, la pratique française est édifiante concernant  les présidents nommés par décret par le chef de l’Etat en dehors du Conseil des ministres (Halde, CSA, marché financier, Conseil de la concurrence); ceci a donné lieu à une polémique, certains pensant que ceci n’est pas conforme à la Constitution et que le passage en Conseil des ministres est obligatoire, d’autres défendant que la pratique n’est pas contraire à la Constitution; en dernier ressort, le Conseil d’Etat a avalisé l’état de fait.

"Idem au Maroc où la désignation se fait par le Roi en dehors du Conseil des ministres, les Instances Constitutionnelles Indépendantes (ICI) ne figurant pas dans la liste des 39 emplois stratégiques énumérés initialement dans la loi organique les concernant.

"2-On n’échappe jamais à la critique politique

"Qu’il s’agisse de la composition des cours constitutionnelles ou de celle des institutions constitutionnelles indépendantes, il y a toujours le biais de l’appartenance politique qui pourrait entacher le principe de l’indépendance de l’institution et de ses membres. Pour protéger ces derniers contre toute forme de critique justifiée ou non, le législateur a mis en place des garde fous et un statut consolidé déterminant la collégialité, exigeant la compétence, définissant les règles de composition, de désignation, de non renouvellement, d’incompatibilités, de lutte contre tout conflit d’intérêts, bref, tout un ensemble procédural que l’on retrouve énuméré dans les critères de Paris.

"Les ICI au Maroc, émargent toutes aux critères de Paris dont le pluralisme, l’expertise, le genre, la représentativité de la société civile, etc.. Si le président se trouvait être ou avoir été de gauche, il va présider une assemblée plurielle, composée de membres de bords différents et de personnalités techniques qu’il devra gérer et recentrer autour du droit et de la recherche du consensus. Quel que soit son leadership et son assise politique, en tant que président, il est avant tout un modérateur, un coordonnateur et un facilitateur et il parait difficile de voir dans la gestion de ses équipes, un quelconque avantage accordé à telle désignation ou à telle option ou décision.

"Les principes de Paris[1] qui visent la composition et le mode de désignation des ICI en charge de la protection et la promotion des droits de l’homme ont comme objectif de garantir autant que possible leur indépendance et leur caractère pluraliste. Ainsi, sont énumérées les conditions suivantes :

"La composition de l'institution nationale et la désignation de ses membres, par voie élective ou non, doivent être établies selon une procédure présentant toutes les garanties nécessaires pour assurer la représentation pluraliste des forces sociales (de la société civile) concernées par la protection et la promotion des droits de l'homme, notamment par des pouvoirs permettant d'établir une coopération effective avec, ou par la présence, de représentants;

"- Des organisations non gouvernementales compétentes dans le domaine des droits de l'homme et de la lutte contre la discrimination raciale, des syndicats, des organisations socio-professionnelles intéressées, notamment de juristes, médecins, journalistes et personnalités scientifiques;

"- Des courants de pensées philosophiques et religieux;

"- D'universitaires et d'experts qualifiés;

"- Du Parlement;

"- Des administrations (s'ils sont inclus, ces représentants ne participent aux délibérations qu'à titre consultatif).»

"3- Le critère de l’indépendance

"Celui-ci a été consacré par la Constitution[2], la loi et le juge constitutionnel. Il est utile de rappeler la position du juge constitutionnel en la matière ; ainsi, il "a précisé dans sa décision n° 924 du 22 août 2013 la portée et la finalité de l’indépendance des institutions et instances prévues aux articles 161 à 170 de la Constitution, dont l’APALD objet de cet avis. Le Conseil constitutionnel a considéré que «la consolidation et le renforcement des institutions d’un Etat moderne est une finalité constitutionnelle tel qu’indiqué dans le préambule de la Constitution. Cette finalité implique que les institutions et les instances prévues par la Constitution doivent jouir d’une indépendance à même de leur permettre de s’acquitter des missions et attributions que la Constitution leur a conférées ».

"Elles sont pour la plupart dotées de la personnalité morale, échappent à l’autorité hiérarchique du Gouvernement et sont indépendantes des pouvoir exécutif et législatif. Par souci d’indépendance, les Présidents et Secrétaires généraux  sont nommés par le Roi.

"L’indépendance a l’avantage de la constance ; « en effet, les missions de régulation, de médiation et de protection des droits et libertés ne doivent connaître aucune solution de discontinuité, ni être marquées par les échéances électorales. Les autorités administratives indépendantes, comme les juridictions, échappent à ces incertitudes, apportant une stabilité source de confiance. »[3]

"4-Indépendance vs Consultation

"A ceux qui critiquent leur indépendance et l’étendue de leurs pouvoirs, il est utile de rappeler que de telles institutions et instances ne sont pour la plupart d’entre elles, que des instances consultatives, mais non dénuées de redevabilité dans la mesure où elles produisent un rapport présenté au Parlement.

"5- Election vs Nomination

"Au parlement, le registre de la représentation, aux ICI, celui de la représentativité ; au premier, la légitimité des urnes, aux seconds, celles de la technicité et de la société civile…Les présidents sont choisis en fonction de leur compétences, de leur expertise, de leur parcours en  lien avec la mission de l’institution qu’ils vont présider, des universitaires chevronnés et des militants reconnus également en dehors de nos frontières.

"Enfin, quelle que soit la couleur politique du président, puisque le débat a tourné sur cette étiquette, il sera en définitive, le président d’une ICI et non d’un parti politique.

"Si l’ICI n’était composée que de personnalités de gauche, il y aurait à ce moment-là un vrai sujet de désignations exclusives et discriminantes. Mais on en n’est pas là, fort heureusement.  Dès sa nomination par le Roi, le président de l’ICI devient le président d’une institution indépendante fonctionnant au-dessus des contingences politiques, et est tenu de mettre de côté son appartenance politique pour se consacrer à une mission neutre de réflexion, anticipation, délibération, prospection, promotion, protection, veille et régulation en lien avec l’ADN de l’institution qu’il préside".


[1] Les principes de Paris. Principes concernant le statut et le fonctionnement des institutions nationales pour la protection et la promotion des droits de l’homme. AG. Résolution  A/RES/48/134 du 20 décembre 1993.

[2] Constitution du Royaume, 2011, art 159

[3] Rapport du Sénat 2020. Opcit.

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