Les douars, ces espaces invisibilisés sur la scène institutionnelle marocaine
Un webinaire, organisé ce jeudi 10 octobre par l'initiative citoyenne OTED, s'est penché sur l'invisibilisation des douars sur la scène institutionnelle nationale. Un focus a été fait à cette occasion sur les douars impactés par le séisme d'Al Haouz. Impossibilité de reconstruction, émergence des douars post-séisme et efficacité des aides étatiques sont les principaux points dégagés.
Les douars, ces espaces invisibilisés sur la scène institutionnelle marocaine
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Basma Khirchi
Le 10 octobre 2024 à 18h59
Modifié 11 octobre 2024 à 8h13Un webinaire, organisé ce jeudi 10 octobre par l'initiative citoyenne OTED, s'est penché sur l'invisibilisation des douars sur la scène institutionnelle nationale. Un focus a été fait à cette occasion sur les douars impactés par le séisme d'Al Haouz. Impossibilité de reconstruction, émergence des douars post-séisme et efficacité des aides étatiques sont les principaux points dégagés.
Le Maroc compte 42.000 douars où vivent près de la moitié des citoyens issus du milieu rural. Malgré leur rôle central, ces espaces ne disposent pas d'une reconnaissance institutionnelle clairement établie. C'est le constat émis par l'initiative OTED, à l'occasion d'une nouvelle édition de son webinaire "Parlons territoires" sur le thème "Les Douars : entre patrimoine socioculturel et dilution institutionnelle", organisée ce jeudi 10 octobre.
"Ces espaces se retrouvent soit dans l'invisibilisation, diluée dans ce que nous appelons maintenant 'des communautés territoriales', soit dans la négation de leur essence. Quelques chiffres : dans la littérature et dans les documents administratifs, nous parlons d'environ 34.000 douars. Le nombre augmente si on y ajoute les ksour", déplore Samira Mizbar, socio-économiste et docteur en dynamique comparée des sociétés en développement.
Une grille de lecture territoriale défaillante, héritage des protectorats français et espagnol
"Les protectorats français et espagnol ont imposé une grille de lecture de l'espace marocain qui ne correspond en rien à la philosophie d'occupation de l'espace par sa population. C'est un fait. Nous avons ainsi une grille de lecture du territoire qui est motivée par la volonté de contrôler, à la fois espace et population", explique l'intervenante.
Je remets en question toute la philosophie de lecture de l'espace
"Cette grille a été matérialisée en un découpage territorial dont la logique continue de perdurer. On fait bouger les limites communales au gré des promotions ou des classements des territoires, au gré des rapports de force locaux et leur relations avec le pouvoir central, et puis évidemment aussi, au gré des ambitions individuelles. Au niveau local, il y a toujours des rapports de force qui font qu'un certain nombre de décisions sont prises, et qui peuvent de manière directe ou indirecte, présider au destin de ces territoires", enchaîne la socio-économiste.
"Je remets en question toute la philosophie de lecture de l'espace qui fait qu'il y a beaucoup d'agglomérations humaines qui sont complètement invisibilisées et effacées même du système de gouvernance. Nous avons en conséquence une organisation territoriale qui n'a de sens que d'un point de vue gestionnaire", précise-t-elle.
Les quatre moments fatidiques pour le douar marocain
Intervenant également au webinaire, Mohamed Tozy, professeur des universités et directeur délégué à la recherche à Science Po Aix, est revenu sur les quatre moments fatidiques pour le douar marocain.
L'idée était de ne pas considérer la tribu comme niveau de représentation politique et d'installer la commune comme une structure politique désincarnée. Nous avons, de ce fait, complètement évacué le douar sur le plan politique
"Nous avons opté pour la commune comme premier niveau de représentation politique, en essayant de la dissocier totalement de l'entité tribale. Bien sûr que nous n'y sommes pas arrivés. Il y a des communes qui correspondent à des fractions de tribu, mais l'idée était de ne pas considérer la tribu comme niveau de représentation politique et d'installer, en revanche, la commune comme une structure politique désincarnée. Nous avons, de ce fait, complètement évacué le douar sur le plan politique. Nous l'avons aussi invisibilisé sur le plan administratif", note Tozy.
"Il y a eu aussi cette politique catastrophique du déploiement de l'école dans les douars à travers ce que nous appelons les classes isolées, une fois que la demande démographique permet d'installer une classe en préfabriqué au niveau de chaque groupement d'habitations, sans faire intervenir d'aucune façon la population qui est bénéficiaire de ces écoles. Or, nous oublions que cette dernière gérait par le passé le Msid et mobilisait les moyens pour ce faire", souligne-t-il.
"Deuxième moment, c'est quand le douar est devenu une entité statistique dans le recensement. Là aussi, le recensement se faisait auparavant, il y a de cela trente ans, au niveau des douars qui ont été abandonnés comme entité statistique au fur et à mesure, au profit du district de recensement qui regroupe jusqu'à trois douars. Pour nous, sociologues et démographes, la reconstitution longitudinale de la dynamique du douar est une opération très compliquée. Pour retrouver un douar X, il faut faire un travail de recoupement qui est extrêmement compliqué et difficile".
"Autre moment fatidique pour le douar, c'est quand l'ONEE l'avait considéré comme unité d'électrification au lieu de la commune, établissant sa première liste exhaustive géolocalisés de douars, utilisée plus tard par le secteur des télécommunications. La séquence la plus récente est le plaidoyer important fait par la Commission chargée du territoire dans le cadre du Nouveau Modèle de développement, qui met l'accent sur l'importance du douar dans le dispositif de la mise en place des politiques publiques".
Focus sur les douars touchés par le séisme d'Al Haouz
Le récent séisme tragique a mis en lumière l'importance des douars dans la gestion des crises, mais aussi dans la préservation du patrimoine national, qu'il soit naturel ou immatériel. Un focus a été fait à ce titre sur les douars touchés par le séisme d'Al Haouz, à l'occasion du webinaire "Parlons territoires".
Nous avons des douars totalement détruits et qui seront rayés de la carte puisqu'il n'y a aucune possibilité de les reconstruire
"Toute l'attention a été portée sur la reconstruction. Nous ne savons presque rien sur les équipements collectifs, notamment les anciennes mosquées, les pressoirs à olive, les mausolées... Et même sur le plan de la reconstruction, nous avons eu des narratifs très contrastés. D'un côté, le narratif des officiels qui se voulaient rassurants à travers leurs statistiques et, d'un autre, celui des sociétés civiles qui était plutôt alarmiste", note Mohamed Mahdi, professeur de sociologie rurale et membre de l’association Targa Aide et du CRESC.
"Ce qui est sûr, c'est que nous avons des douars totalement détruits et qui seront rayés de la carte puisqu'il n'y a aucune possibilité de les reconstruire. Or, comment reconstruire, en quelque temps seulement, ce que la population a mis des siècles pour bâtir, d'autant qu'il n'est pas possible de retrouver les plans de ces douars ? C'est une mission impossible. Nous aurons ainsi des populations qui seront transplantées dans de nouveaux lieux et de nouveaux douars, notamment des 'douars post-séisme'. Reste à savoir maintenant quels liens les populations de ces nouveaux douars auront avec les douars d'origine. Est-ce qu'il y aura une reprise de l'activité agricole ou pas ? Les aides en bétail accordées par l'Etat suffiront-elles pour relancer l'activité agricole ?", s'interroge ce dernier.
"Certaines victimes du séisme ont même appris à vivre entre les ruines. Des familles ont bravé le danger et sont revenues vivre dans des maisons fissurées parce qu’aucune aide ne leur a été attribuée", déplore le professeur de sociologie rurale.
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