ANALYSE. Marché de l'emploi : des chiffres qui alimentent un vif débat
Malgré des chiffres officiels indiquant une augmentation notable du nombre d'emplois crées au Maroc entre le premier et le deuxième trimestre 2024, l’analyse de la data révèle encore des fragilités sous-jacentes. La prédominance d'emplois non rémunérés ou précaires, le déclin continu de l'emploi rural, la saisonnalité marquée du travail agricole et un taux de chômage alarmant chez les jeunes ne cessent de susciter le débat sur les défis structurels majeurs auxquels fait face l'économie marocaine.
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Badr Elhamzaoui
Le 8 octobre 2024 à 10h47
Modifié 8 octobre 2024 à 10h47Malgré des chiffres officiels indiquant une augmentation notable du nombre d'emplois crées au Maroc entre le premier et le deuxième trimestre 2024, l’analyse de la data révèle encore des fragilités sous-jacentes. La prédominance d'emplois non rémunérés ou précaires, le déclin continu de l'emploi rural, la saisonnalité marquée du travail agricole et un taux de chômage alarmant chez les jeunes ne cessent de susciter le débat sur les défis structurels majeurs auxquels fait face l'économie marocaine.
Depuis toujours, l'économie et la politique forment un tandem indissociable. Dans le contexte des régimes économiques modernes, où l'État s'affirme comme un acteur central, l'économie demeure un pilier omniprésent et incontournable des débats politiques et sociaux.
Au Maroc, la question du marché de l'emploi, qu'il s'agisse des chiffres de l'emploi ou du chômage, s'impose comme le sujet central des discussions, des analyses et des débats politiques. Cette situation est exacerbée par les défis structurels auxquels ce marché est confronté.
Dans ce sens, Médias24 a publié plusieurs analyses sur la dynamique du marché de l'emploi au Maroc. Récemment, notre journal a choisi d'examiner cette problématique avec une approche "out of the box", privilégiant une lecture en effectifs, trimestre par trimestre, et s'éloignant des analyses mainstream basées sur les glissements annuels et les taux conventionnels et grandeurs relatives. Cette méthode a permis de révéler de nouvelles perspectives sur la capacité de l'économie marocaine à générer des emplois à court terme. Elle a également suscité un mélange d'incrédulité et d'interrogations.
Cependant, selon cette approche, les données du haut-commissariat au Plan (HCP) indiquent que l'économie marocaine a créé 521.000 nouveaux emplois entre le premier et le deuxième trimestre 2024, portant le nombre total d'emplois à 10.858.000 au T2 2024, contre 10.337.000 au T1 2024.
Cette augmentation spectaculaire a suscité de nombreuses réactions et commentaires quant à la capacité réelle de l'économie marocaine à engendrer une telle création d'emplois. "C'est inimaginable", nous dit un économiste connu qui veut prendre le temps d'étudier les données. Cette hausse soulève toutefois des questions fondamentales sur la nature et la qualité des emplois générés.
Derrière cette dynamique apparente de création d'emplois se dissimulent de profondes failles structurelles. Une proportion considérable de ces emplois nouvellement créés sont précaires ou non rémunérés, souvent associés à des secteurs économiques peu productifs et vulnérables. En effet, sur les 521.000 emplois créés entre le T1 et le T2 2024, près de 192.733 sont des emplois non rémunérés. Pour les emplois rémunérés, 291.524 sont des auto-emplois, et seulement 36.743 concernent des salariés (7%), mettant en lumière les défis persistants liés à la qualité de l'emploi créé dans l'économie marocaine.
Les défis structurels du marché de l'emploi marocain
Analyser la dynamique du marché de l'emploi au Maroc est une entreprise complexe, exigeant de prendre en compte une multitude de variables souvent difficiles à quantifier en raison du manque de données précises et détaillées. Cependant, certains points saillants méritent une attention particulière :
- Conformité aux normes internationales : Le haut-commissariat au Plan (HCP) s'aligne sur les normes du Bureau international du travail (BIT) pour définir et mesurer les indicateurs du marché du travail, garantissant ainsi une cohérence méthodologique dans l'analyse des statistiques de l'emploi.
- Déclin inexorable de l'emploi rural : Le milieu rural, principalement composé d'emplois non rémunérés et d'activités agricoles familiales, connaît un déclin continu en raison des sécheresses récurrentes qui frappent le Maroc. Entre 2016 et 2023, plus d'un million d'emplois ruraux ont été perdus, soulignant la fragilité de l'économie rurale marocaine face aux défis climatiques et économiques.
- Saisonnalité de l'emploi rural : L'évolution de l'emploi rural suit une saisonnalité étroitement liée aux cycles agricoles. Les périodes de semis et de récolte, correspondant aux deuxième et quatrième trimestres, enregistrent une hausse de l'activité, tandis que les premier et troisième trimestres connaissent une baisse significative de la demande de main-d'œuvre.
- Précarité de l'emploi : La population active est majoritairement constituée d'emplois précaires, de sous-emplois (travailleurs à temps partiel cherchant à augmenter leur nombre d'heures de travail) et de travailleurs du secteur informel. Selon le récent rapport de l'OCDE, ces derniers représentent 68% de la main-d'œuvre active, une proportion alarmante qui entrave la formalisation et le développement durable de l'économie marocaine.
- Chômage des jeunes : Le taux de chômage des jeunes atteint des niveaux préoccupants, avec près de 48,8% des jeunes âgés de 15 à 24 ans en milieu urbain sans emploi. Ce constat reflète la difficulté persistante pour cette tranche de la population à intégrer le marché du travail, malgré les efforts consentis en matière d'éducation et de formation professionnelle. De surcroît, les dernières statistiques indiquent que plus de 1,5 million de jeunes de cette même tranche d'âge se trouvent dans une situation de NEET (ni en emploi, ni en éducation, ni en formation), soulignant ainsi un défi majeur pour l'intégration socio-économique de la jeunesse marocaine.
Des interrogations persistantes
De nombreuses interrogations subsistent concernant le marché de l'emploi au Maroc, parmi lesquelles :
- Peut-on réellement parler de création nette d'emplois ? L'économie marocaine, malgré une croissance modeste, est-elle réellement en mesure de créer plus de 500.000 emplois dans un délai aussi court, ou assiste-t-on à un simple phénomène de rebond saisonnier, voire à des biais statistiques relatifs à la représentativité des échantillons d'enquêtes ? Ou bien un mélange des deux?
- Quelle dynamique sous-tend les fluctuations de la population active ? : Celle-ci augmente régulièrement au deuxième trimestre entre 2022 et 2024, atteignant les 12,4 millions, alors qu'elle reste en dessous des 12,2 millions sur tous les autres trimestres.
- Quelle est la véritable dynamique de l'auto-emploi ? : L'évolution de l'auto-emploi entre les T1 2022 et T2 2024 semble aléatoire et volatile. Une mise en perspective des chiffres et une analyse des politiques fiscales ainsi que des aides sociales pourraient offrir des explications plus précises sur ces variations.
- Le défi de l'intégration de la jeunesse sur le marché du travail : Comment le Maroc peut-il intégrer efficacement les jeunes dans un marché de l'emploi en pleine mutation, tout en réduisant la précarité et en augmentant la qualité des emplois créés ?
Le marché de l'emploi marocain, malgré ses récentes performances en matière de création d'emplois, reste un défi majeur pour l'économie nationale. Les disparités régionales, la prévalence de l'emploi non rémunéré et informel, ainsi que le chômage élevé des jeunes soulignent la nécessité d'une refonte des politiques économiques et sociales pour stimuler une croissance inclusive et durable.
Ci-dessous, notre dashboard comprenant 19 pages de visualisations. Feuilletez-le pour explorer par vous-mêmes l'emploi et le chômage. N'oubliez pas : votre avis nous intéresse, n'hésitez pas à nous adresser vos réflexions et contributions au débat sur [email protected]