Le chanvre textile, une filière à forte rentabilité grandement attendue par les industriels

Plusieurs professionnels du domaine textile ont vu dans les premiers pas vers la légalisation du cannabis une opportunité pour mettre en place une filière à 100% marocaine pour le chanvre textile. Sondés par Médias24, trois grands industriels estiment néanmoins que le chemin est encore long pour sa mise en place au regard de nombreuses difficultés rencontrées sur le terrain.

Le chanvre textile, une filière à forte rentabilité grandement attendue par les industriels

Le 17 septembre 2024 à 13h09

Modifié 17 septembre 2024 à 12h11

Plusieurs professionnels du domaine textile ont vu dans les premiers pas vers la légalisation du cannabis une opportunité pour mettre en place une filière à 100% marocaine pour le chanvre textile. Sondés par Médias24, trois grands industriels estiment néanmoins que le chemin est encore long pour sa mise en place au regard de nombreuses difficultés rencontrées sur le terrain.

Avec la mise en place en 2021 de l’Agence nationale de réglementation des activités relatives au cannabis (ANRAC), l'espoir a surgi parmi les professionnels du textile quant à la création d'une filière entièrement marocaine, de l’amont jusqu’à l’aval, pour le chanvre textile.

Très profitable, cette matière première a tout pour séduire : écologique, antimicrobienne et ultra-résistante. Extraite d'une variété de plante de l'espèce Cannabis Sativa presque dépourvue de la molécule psychotrope THC, elle présente en outre un fort potentiel de rentabilité.

Pour savoir où en est la mise en place de cette filière stratégique, Médias24 a contacté trois grands industriels, fervents connaisseurs du dossier. S'il est vrai que le chanvre textile peut-être une solution à la faiblesse de l'amont textile national, cette fibre végétale a néanmoins encore du chemin à parcourir pour trouver sa juste place dans la chaine de valeur marocaine du textile, s'accordent nos trois interlocuteurs.

D'abord, des problèmes liés à la réglementation 

Deux des trois opérateurs sondés affirment que la mise en place de cette filière attend la promulgation de la réglementation des activités relatives au chanvre industriel.

"Aux dernières nouvelles, les autorisations accordées par l'ANRAC dans le nord ne concernent pour le moment que le chanvre à usage médical. L'usage thérapeutique de cette plante diffère de son exploitation dans le secteur du textile. Le chanvre à usage médical est cultivé pour sa fleur tandis que le chanvre textile est exploité pour sa tige qui est plus grande par rapport à celle du chanvre médical. La tige du chanvre textile permet en effet d'avoir des fibres textiles longues", explique notre premier industriel.

Il ajoute : "Je pense que la réglementation du chanvre progresse petit à petit. Le chanvre à usage médical est une première étape. C'est déjà une bonne chose. Maintenant, nous espérons que les autorisations soient élargies aux chanvre industriel".

Pour sa part, un deuxième opérateur souligne qu'il est difficile de cultiver le chanvre industriel là où les autorisations sont accordées actuellement, notamment dans le Nord, compte tenu de contraintes de rentabilité financière et de faisabilité technique.

Il explique : "Le chanvre industriel, et par extension, le chanvre industriel à usage textile, est un marché que nous aurions pu prétendre au Maroc. Maintenant, sur le terrain, la tâche est compliquée. Selon l'ANRAC, la culture du chanvre industriel ne peut pas se faire dans la zone historique par contrainte de rentabilité. Cette fibre textile reste moins rentable que le cannabidiol (CBD) ou le tétrahydrocannabinol (THC) et ne pourrait offrir un revenu supérieur à 20.000 ou 30.000 DH par hectare aux agriculteurs chamalis. Avec la culture du cannabis CBD ou THC, ces derniers peuvent en effet atteindre 100.000 DH".

"Il est également difficile, d'un point de vue agronomique, de cultiver le chanvre industriel dans le Nord car les terrains sont vallonnés et que la plupart des surfaces sont petites (4.000 m2 à 5.000 m2). Or, le chanvre industriel a besoin d'être cultivé sur de grandes surfaces, notamment sur des superficies qui s'étalent sur plusieurs hectares. Pour toutes ces raisons, le chanvre industriel n'est donc pas fait pour être cultivé dans le Nord", précise-t-il.

Les régions alternatives comme solution?

La plantation du chanvre industriel dans d'autres régions du Maroc peut être néanmoins envisagée comme solution. Des tests réussis sur le terrain, il y en a déjà eu.

En 2010, l’entrepreneur marocain, Omar Sefraoui, PDG de Chanvrières industrielles du Maroc (CIM), avait réalisé des essais dans quatre régions du Maroc, sous le contrôle des services de la Gendarmerie royale. Les résultats avaient démontré des rendements exceptionnels dans la région d’Afourar, où il a obtenu une récolte de 24 tonnes/ha en 67 jours, soit trois plus en quantité, en deux fois moins de temps comparé à la France où les chiffres sont de 8 tonnes/ha en 120 jours. L'explication réside dans les conditions climatiques qu’offre cette région et son ensoleillement idéal.

L'opérateur sondé par Médias24 estime que le Nord reste, pour le moment, prioritaire. Il affirme : "On comprend que, pour l'ANRAC, le Nord reste prioritaire. Dans cette région, le Maroc n'est pas uniquement en train d'investir dans une filière, mais il est aussi et surtout en train de s'occuper de toute la problématique sociétale du Nord".

Le manque d'investissement dans la R&D, l'autre dysfonctionnement 

Un troisième opérateur sollicité par Médias24 estime quant à lui que le Maroc est loin d'être qualifié aujourd'hui pour mettre en place une filière pour le chanvre textile, en raison du manque d'investissement dans la R&D.

"Pour mettre en place une filière pour le chanvre textile, il faut que celle-ci soit accompagnée d'un écosystème complet, c'est-à-dire des compétences et des centres de recherche. Il est aussi question de transformer le chanvre en une matière appréciée par les consommateurs. Pour ce faire, il faut un travail d'amont sur les compétences, l'innovation, la maîtrise technologique, la maîtrise des produits et la création... sujets sur lesquels nous sommes faibles, comme le Maroc n'est pas très fort en amont", déplore ce dernier.

Il conclut : "L'amont textile marocain est catastrophique. Et pour cause, il ne répond pas aux standards de la qualité. Le peu des matières premières produites localement est malheureusement d'une très mauvaise qualité. Nous sommes ainsi contraint d'importer pour être dans les standards internationaux et même nationaux. Plus de 90% des habits exportés par le Maroc sont faits à partir de matières premières importées".

Le chanvre textile, une solution à la dépendance du Maroc des matières premières importées ?

Si les industriels du textile placent autant d’espoir dans cette fibre exceptionnelle, c'est parce qu'elle peut également servir à limiter notre dépendance des matières premières importées.

"Ce qu'il faut savoir c'est qu'il y a déjà des industriels marocains qui utilisent le chanvre à usage textile importé depuis l'Union européenne et l'Asie. Il est surtout exploité dans les industries des habits et des textiles techniques dans le bâtiment. Même si le recours à cette matière première demeure inférieur par rapport à l'utilisation du coton, le chanvre textile devient de plus en plus prisé. Aujourd'hui, certains industriels marocains de l'habillement proposent même des collections à base de mélange coton-chanvre", rebondit le premier industriel.

"Les industriels savent désormais que le chanvre est une option idéale pour, d'abord, s'inscrire dans tout ce qui est circularité et durabilité, du fait qu'il s'agit d'une plante naturelle, recyclable et conforme aux normes. Avoir une filière 100% marocaine du chanvre textile permettra, au-delà d'apporter une plus-value en matière de normes écologiques, de créer toute la chaîne de valeur localement. A partir de cette plante, on pourra en effet faire naître des filatures, des tissages et tout un amont qui n'existe pas aujourd'hui au Maroc", explique-t-il.

Notre deuxième opérateur converge dans le même sens : "Dans les années à venir, si le Maroc continue à importer ses matières premières depuis la Chine et autres pays lointains, nous risquons de ne plus pouvoir exporter en Europe. Produire une matière première localement nous permettrait de rester sur les marchés européens qui sont exigeants en termes de bilan carbone et nous permettrait ainsi d'être plus compétitifs".

Le but du chanvre industriel étant de rester vert, c'est-à-dire de rester dans un bilan carbone intéressant, faute de quoi le chanvre produit ne sera pas vendu.

Un fort potentiel à l'export

Le chanvre textile c'est également un fort potentiel à l'export. "Aujourd'hui, le volume mondial de transactions liées au chanvre industriel est entre 4 et 5 milliards de dollars et d’après les prévisions cela atteindra les 40 milliards de dollars. C’est dommage que le Maroc ne puisse pas profiter de cette industrie en pleine croissance", déplore une de nos sources.

Le Maroc pourrait d'ici une dizaine d’années construire toute une industrie autour du chanvre avec un chiffre d’affaires à l’export de 10 à 15 milliards de dirhams, estimait dans un précédent article Omar Sefraoui. Le secteur textile national à lui seul peut absorber toute la production locale, tandis que le secteur de la construction peut utiliser le reste de la tige, expliquait-t-il.

Aujourd’hui, cette culture est parfaitement légale en Europe. Les Etats-Unis visent même 100.000 hectares à l’horizon 2030. C’est donc une compétition mondiale qui s’annonce, et le Maroc a tout le potentiel d’intégrer le top 5, assurait l’entrepreneur marocain.

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